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L’imaginaire aux sources du concret

Réduction de coûts, diminution du temps de mise sur le marché… L’industrie a rapidement compris que simuler était moins risqué que tester. Avec la réalité virtuelle, demain commence aujourd’hui.

La réalité virtuelle (RV), dont les premières idées remontent à 1968, est l’archétype de la rencontre ratée entre le grand public et la recherche. Ivan Sutherland, chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology), formalisa alors l’idée d’interagir avec un univers fictif de façon sensorielle. 25 ans plus tard, le public, habitué à la qualité des animations 3D des jeux vidéo et films d’animation, attendait beaucoup de la RV. Le manque d’applications satisfaisantes causa une grosse déception dans les années quatre-vingt-dix. Et, depuis, la recherche a bien du mal à se financer.Les scientifiques se sont donc focalisés sur les applications de la RV en milieu industriel, où les considérations sont loin d’être esthétiques : “La réalité virtuelle est avant tout un formidable outil de prise de décision “, estime Laurence Boissieux, chercheur à l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique). L’enjeu est la modélisation et la visualisation de projets à des fins d’aide à la conception et au développement. La tendance est aux antipodes de l’imaginaire du grand public. Par exemple, en architecture, un rendu réaliste importe moins que la présence des cotes sur les bâtiments représentés en 3D.“L’objectif premier de la réalité virtuelle est de dépasser les limites du PC, très réduites en comparaison des capacités de l’être humain”, explique Bruno Raffin, chercheur à l’Inria. La RV s’attache à immerger l’utilisateur dans un environnement autorisant l’usage de ses cinq sens, en rupture avec les technologies des années quatre-vingt-dix. L’immersion d’alors impliquait le port d’un casque. L’image projetée dans cet appareillage était modifiée en fonction des mouvements de la tête, suivis par des capteurs. Mais ces équipements présentaient deux inconvénients. D’une part, les pixels composant une image étaient trop visibles. D’autre part, le temps de latence entre le mouvement de la tête et la restitution d’images par le casque créait une sensation désagréable.

Une grotte immersive

Parallèlement, dès 1992, Caroline Cruz-Neira, chercheur à Chicago, développait le CAVE (Cave Automatic Virtual Environment). Dans un cube de 4 mètres d’arête, d’une surface semi-transparente, plusieurs vidéoprojecteurs recréaient un environnement de réalité virtuelle immersif, où l’utilisateur pouvait se déplacer librement et interagir avec les éléments projetés. Un environnement qui a été décliné en amphithéâtre et en plan de travail, sous forme de table. Bien que très coûteux ?” plusieurs millions d’euros ?” ce type d’équipements a séduit le monde de l’industrie. Le secteur pétrolier l’utilise dans le traitement de données géologiques, et l’industrie automobile s’appuie sur cette technologie pour le design, la conception et le développement de véhicules. Grâce au CAVE, Mercedes ambitionne de réduire de 20 % ses coûts de conception d’une auto.Moins onéreuse que la salle de réalité virtuelle, l’impression d’une image sur la rétine de l’?”il est une alternative séduisante. “Imaginez la présentation d’une maquette de bâtiment. L’impression sur la rétine ne fournirait pas le même type de renseignements visuels à l’électricien, au plombier, à l’architecte, bien que tous visualisent la même scène”, précise Laurence Boissieux, de l’Inria. On parle alors de réalité augmentée, à la croisée des chemins entre le physique et le virtuel. Ce concept pourrait notamment trouver des applications en chirurgie, dans la simulation d’opérations. La limite étant la modélisation, très complexe dès lors qu’on aborde des fluides : “Dans les jeux vidéos, pour de l’eau par exemple, on fait illusion. Mais les propriétés physiques du liquide ne sont pas restituées”, nuance Bruno Raffin.Outre le coût des équipements, la perception sensorielle est problématique en réalité virtuelle. S’il n’est pas difficile de recréer l’impression d’immersion visuelle, la combinaison de la vue avec d’autres sens reste complexe. D’une part, les limites sont d’ordre physiologique. Exciter les cinq sens peut se révéler assez désagréable pour l’utilisateur. D’autre part, développer des applications permettant de restituer cette perception en temps réel est une gageure. “La réalité virtuelle passera nécessairement par une philosophie basée sur un système d’exploitation”, estime Bruno Raffin. Or un tel système fait aujourd’hui défaut. “Pour l’heure, poursuit le chercheur de l’Inria, nous disposons d’outils pour piloter un CAVE, par exemple. La difficulté est le couplage, l’assemblage de divers éléments autour de trois axes : les capteurs, les simulateurs et le rendu, visuel, acoustique et tactile.” Le besoin est tel que l’acteur qui imposera un système d’exploitation pourrait être à la RV ce que Microsoft est devenu à l’informatique grand public. Car il uniformiserait la recherche et populariserait du même coup le développement d’applications. Si l’Open Source (donc le partage des développements) est de mise dans ce domaine, chacun essaie toutefois de creuser sa voie, en fonction de ses propres objectifs.La RV est aussi un sujet d’intérêt dans l’univers des télécoms. Une trentaine de personnes s’y consacrent au sein de la direction des interfaces homme-machine chez France Telecom. Ici, la recherche concerne moins la création de mondes virtuels que la communication de groupe en immersion. Évolution future de la visioconférence, elle se base sur la reconstruction d’avatars tridimensionnels afin de visualiser les interlocuteurs et donner plus de corps à la conférence. Une expérience d’ubiquité qui attendra que soient comblés les besoins massifs en termes de bande passante, dont la 3D en temps réel est particulièrement vorace.

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Christophe Dupont