Passer au contenu

L’Europe du semiconducteur vacille

Philips a récemment déclaré qu’il n’investira plus jamais seul dans une usine de semiconducteurs avancée et a laissé entendre qu’il confiera de plus en plus de fabrications à des sociétés communes asiatiques. Parallèlement, Infineon
développera sa technologie 65 nm avec Chartered, IBM et Samsung, la production correspondante étant confiée à Chartered.

Cela fait maintenant vingt ans que nous posons régulièrement la question à des responsables de sociétés de semiconducteurs : ‘ Le prix des usines augmente plus vite que le marché du semiconducteur. Quel sera
donc le paysage industriel du secteur dans dix ou vingt ans ? ‘
La réponse a toujours été : ‘ Il y aura de moins en moins d’acteurs. Seuls les meilleurs sur vivront. Pour telle ou telle bonne
raison. ‘
Mais, depuis vingt ans, aucun grand acteur n’est mort. Tout juste a-t-on pu assister à quelques regroupements au Japon (qui abritait encore, il y a dix ans, onze grands fabricants de semi-conducteurs). A l’inverse, de nouveaux acteurs
sont nés à Taïwan puis, plus récemment, en Chine.Les autres, hormis Intel et Samsung, se sont associés pour produire, les associations comportant en général au moins un fondeur asiatique… qui bénéficie des recherches technologiques des autres, souvent financées d’ailleurs en
grande partie par des contribuables.A ce jour, hors Japon, les associations les plus connues sont STMicroelectronics-Philips-Freescale-TSMC et IBM-Chartered-Infineon, le tout se complexifiant du fait de recherches communes entre IBM et AMD, ou IBM et UMC par exemple, et
d’accords de productions communes entre Infineon et Smic, ST et Hynix, Philips et TSMC, etc.Les grands bénéficiaires de cette importante phase de transition sont clairement les fondeurs, au premier rang desquels TSMC : directement ou indirectement, il est de l’intérêt de ses clients de lui fournir leurs technologies afin
qu’ils puissent lui sous-traiter la fabrication de leurs circuits, en particulier les plus avancés, ceux qui demandent le plus d’investissements pour être fabriqués.Aujourd’hui, non seulement les fondeurs produisent à des coûts inférieurs de 15 % à ceux des fabricants traditionnels, mais ils dépensent moins qu’eux en R&D technologique. Si bien que les fabricants de semiconducteurs n’ont
pratiquement plus intérêt à produire eux-mêmes quand l’offre est supérieure à la demande : ils peuvent sous-traiter ailleurs presque au même coût que s’ils fabriquaient, du moins pour les fameuses technologies avancées. Rien de surprenant,
donc, à ce que TI, Freescale, Philips… n’investissent plus que 10 % de leur chiffre d’affaires.Pour Philips et Infineon (hors mémoires), nous ne serions pas étonnés de voir passer ce taux nettement en deçà de 10 % dans les années à venir compte tenu de leurs récentes déclarations. Mais que devient le semiconducteur européen
dans tout ça, notre industrie fer de lance et symbole de la nouvelle implication de l’Europe dans les technologies porteuses d’avenir ?

Abandonner la production de grandes séries de semiconducteurs ?

Cela sent pour le moins le roussi. Nous n’avons que trois sociétés européennes parmi les grands du semiconducteur ; toutes trois présentent un chiffre d’affaires honorable mais des bénéfices insuffisants, porteurs d’un
sous-investissement à venir. Pour Infineon et Philips, c’est clair : demain, les productions se feront de plus en plus en Asie, chez des fondeurs à qui ils fourniront la technologie, ou au sein de sociétés conjointes. ST, lui, n’a fait aucune
annonce en ce sens, du moins pour les technologies les plus avancées. Son usine de Crolles 2 est même le siège des efforts de ST, Philips et Freescale en technologies 65 nm et 45 nm…Mais Philips et, dans une moindre mesure, Freescale doivent impérativement faire encore des économies, de même d’ailleurs que ST : le rêve d’un retour à une marge brute structurelle de 40 % est encore loin. Or Crolles 2
produit moins de 1 500 tranches par semaine, avec un plan d’extension sur lequel ST n’est guère disert. A titre de comparaison, le seul plan d’extension de la seule Fab 14 du fondeur TSMC se monte, lui, à 4 700 tranches par
semaine (pour porter la capacité de cette usine moderne à 23 000 tranches par semaine).Il s’agit donc de regarder la situation froidement : 1 $ investi en Europe dans une usine de semiconducteurs rapporte déjà environ 20 % de moins que 1 $ investi par TSMC ; une tranche coûte 15 % de moins à
produire chez TSMC que chez nous. Pour des raisons connues de tous. A cela est donc en train de s’ajouter un facteur d’échelle, déjà chiffré de longue date par Philips, du temps où il fabriquait de plus en plus de tubes cathodiques :
‘ Chaque fois que nous multiplions les quantités par dix dans une usine, nous diminuons nos coûts unitaires de 20 %. ‘En semiconducteurs, les économies ainsi réalisées n’ont pas été chiffrées officiellement, mais un spécialiste du secteur nous a confirmé que le gain devrait probablement être supérieur. Mark Liu, vice-président opérationnel chez TSMC, a
récemment déclaré que, avec d’énormes usines, d’importants gains d’échelle étaient obtenus grâce à l’amortissement plus facile de la gestion du matériel, en grande partie automatisée, à la diminution des goulots d’étranglement, au moindre impact des
pannes, à des coûts d’achats plus faibles, à des études mieux amorties, etc.Demain, donc, l’écart de coût Europe-TSMC risque de se rapprocher de 30 %. Enlevant tout espoir de réaliser des opérations de productions bénéficiaires en Europe. Certains nous rétorquerons qu’avec la qualité de nos ingénieurs nous
n’avons rien à craindre : les bons circuits se vendent cher.C’est certain, mais à la condition qu’ils arrivent au bon moment. Nous avons eu récemment plusieurs exemples de circuits conçus en Europe et meilleurs que ceux de la concurrence, mais arrivés avec trois mois de retard sur le marché. Ce
ne sont donc pas ceux-là qui ont été choisis…Et quand ils le seront ?” s’ils devaient l’être un jour ?”, ce sera à un prix de marché qui étranglera les bénéfices. La raison est structurelle et n’a rien à voir avec les coûts salariaux : chez Samsung par exemple,
les ingénieurs n’hésitent pas à venir travailler le week-end pour tenir les délais imposés…A court terme, la situation va probablement être sauvée par des capacités de production mondiales insuffisantes, donc par des prix de circuits intégrés qui vont remonter. Mais à moyen terme ? Si vous avez des idées pour remonter le
moral du chroniqueur de service, c’est [email protected]. Si ces idées sont pertinentes, nous vous en ferons part et nous les transmettrons à qui de droit. Promis.* Rédacteur en chef d’ Electronique International

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Jean-Pierre Della Mussia*