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‘ L’Etat a compris que le Net était plus pratique qu’un paquet de brochures ‘

Professionnels de la communication, Jessica Scale et Jean-Marc Benoît publient ‘ Bleu Blanc, Pub ‘, un livre qui retrace 30 ans de communication gouvernementale. Entretien.

01net. : Dans Bleu Blanc Pub sur 30 ans de communication gouvernementale, vous retenez deux grandes opérations sur le Web : l’ouverture du site du Premier ministre en 1996 et la
déclaration des impôts en ligne en 2004. En un peu plus de dix ans, n’est-ce pas un peu léger ?



Jean-Marc Benoît et Jessica Scale : Oui et non. Ces deux opérations montrent qu’avec Internet, l’Etat se montre réactif. Il a lancé son premier site dès 1996, c’est-à-dire l’antiquité du Web. Il était largement en
avance sur de nombreux acteurs privés. Deux ans plus tard, pour la communication sur la mise en place des 35 heures, il existe toute une utilisation d’Internet en direction des entreprises et des salariés. L’Etat a compris que le Net
pouvait être bien plus pratique qu’un paquet de brochures. Concernant les impôts, il montre qu’il sait se servir d’Internet, pas seulement comme d’un outil de communication, mais aussi de production et de simplification.Et depuis, que s’est-il passé de notable ?


Il y a eu une utilisation extrêmement intéressante lors du Grenelle de l’Environnement, où Internet a servi d’outil de démocratie participative. En nombre d’intervenants et de contributions, le résultat a été considérablement supérieur à
ce qui est sorti des tables rondes régionales.Est-ce que l’Etat utilise mieux la Toile que les partis politiques, qui s’y sont convertis surtout lors de la dernière présidentielle ?


On ne peut pas vraiment comparer, les opportunités qu’offre le Web aux partis politiques ne sont pas de même nature. A l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis, les partis vont apprendre à utiliser Internet pour lever des fonds et
mobiliser des militants. Ce n’est pas du tout la logique de l’Etat, qui est dans l’exercice du pouvoir et non dans sa conquête. Et puis si l’Etat a des points forts, comme la réactivité, il affiche aussi des points faibles.


Il est extrêmement peu coordonné. D’un côté, ce qu’il fait avec Internet pour l’administration fiscale est impressionnant. De l’autre, côté éducation nationale, nous en sommes aux balbutiements. On commence tout juste à voir des
bulletins scolaires mis en ligne, quand d’autres pays le font depuis longtemps.


Rien qu’au sein du ministère de l’Economie et des Finances, les disparités existent. Le professionnalisme mis au service de l’information fiscale ne se retrouve pas pour le budget ou les douanes. Si un internaute veut comprendre le
budget de la France, ce sera très difficile. Idem pour la DGCCRF (1), qui concerne directement le consommateur : il n’y a pas le même niveau de performances, de service.Pourquoi de telles disparités ?


On dit toujours que l’Etat français est centralisé, mais il n’y a pas d’approche transversale, pas d’échanges d’informations et d’expériences entre ministères. L’Etat est organisé de façon morcelée. Par exemple, en 1996, il y a eu un usage
très intéressant d’Internet pour le recrutement dans l’Armée de terre. Or, dans le même temps, ce qui s’est fait en matière à l’Education nationale s’est avéré très décevant.Comment jugez-vous les sites des différents ministères ?


On retrouve toute la palette possible, du site vitrine plan-plan à des sites d’information très bien conçus, qui permettent de rendre accessible une information habituellement rebutante. Et le meilleur exemple en est encore une fois
impots.gouv.fr.Est-ce que l’Etat a les moyens techniques de ses ambitions ? On se souvient que la déclaration d’impôts en ligne avait eu tant de succès que le site avait planté.


C’est l’histoire d’Internet : il est normal d’essuyer les plâtres, qu’il y ait des problèmes de bande passante. Ce n’était pas facile de prévoir du premier coup le succès de l’opération. Et les problèmes ont quand même été vite
corrigés. Cette expérience a profité directement au projet de la fiscalité sur Internet. Mais je ne suis pas sûr qu’elle ait profité à d’autres, du fait de cette organisation morcelée.


Dans votre livre, vous rappelez que Claude Evin, ministre de la Santé en 1991, avait décidé de détourner l’image du cow-boy Marlboro pour lutter contre le tabagisme. L’idée étant de frapper fort une industrie ayant bien plus de
moyens que l’Etat. Aujourd’hui, l’Etat ne pourrait-il pas se servir davantage d’Internet, un média très puissant ?



Si on garde l’exemple de la lutte antitabac, il y a eu en 2005-2006 une stratégie Web
avec le film ToxiCorp. Ce spot est passé à la télévision, mais à l’origine, il avait été lancé exclusivement sur Internet, avec de l’achat d’espace et aussi du marketing viral.
Quand il est arrivé à la télévision, tous les moins de trente ans le connaissaient.Actuellement, le gouvernement envisage de
mettre en place une WebTV, pour communiquer sur sa politique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?C’est un outil naturel, on peut le comprendre, mais ce n’est pas fondamental. Cela ne relève pas des enjeux de la révolution numérique.


(1) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

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Propos recueillis par Arnaud Devillard