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Les SSII européennes dans le creux de la vague

Sur un marché des services informatiques marqué par un décalage de l’Europe par rapport aux Etats-Unis, l’incertitude porte davantage sur le court terme que sur le long terme.

En Europe, la crise économique a tout d’un ricochet en provenance des Etats-Unis : les effets surviennent plus tard, et avec une plus faible amplitude. Entre 2000 et 2001 aux Etats-Unis, les investissements informatiques sont
tombés d’une croissance de 12 % à un recul de -11 %, selon le Bureau of Economics Analysis.Entre 2001 et 2002 en Europe, ils sont passées de +7 % à -4 %, d’après les estimations du cabinet Pierre Audoin Consultants (PAC). ‘ Il faut à peu près deux ans aux Etats-Unis pour exporter leurs
problèmes ‘
, résume avec une pointe d’humour Jean-François Perret, directeur général de PAC.

La France moins touchée par la bulle internet

Par ailleurs, la crise n’est ni synchrone ni d’une intensité égale sur l’ensemble de l’Europe. Les premiers à avoir été touchés, et le plus rudement, ont été le Royaume-Uni et les pays nordiques, puis l’Allemagne et l’Europe de l’Est,
et, enfin, la France et l’Europe du Sud. Comparé au reste de l’Europe, l’axe Londres-Stockholm avait adopté plus rapidement les technologies d’e-business et a donc été davantage atteint par la bulle internet. ‘ Beaucoup d’agences web venaient des Etats-Unis et des pays nordiques ; près du tiers étaient suédoises ou danoises. Les Pays-Bas ont aussi été très touchés, car ils hébergent de nombreuses multinationales : une
société hollandaise réalise typiquement 10 % de son chiffre d’affaires localement et 40 % aux Etats-Unis. La France, en revanche, est moins marquée par les phénomènes internet et moins tournée à l’international ‘,

explique Jean-François Perret.Un autre facteur entre en jeu, plus spécifique aux SSII. Dans les pays anglo-saxons, l’industrie des services informatiques est organisée en couches. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, un grand nombre d’informaticiens indépendants
travaillent pour les grandes sociétés de services. ‘ Ils sont entre cent cinquante mille et deux cent mille aux Etats-Unis, et probablement aux environs de cinq mille en France ‘, estime
Jean-François Perret.Les projets, qu’il s’agisse de conseil, d’intégration de systèmes ou d’assistance technique, sont confiés aux grosses SSII, qui sous-traitent une partie du travail aux indépendants et aux sociétés offshore. Quand le marché se retourne,
les sociétés de services se débarrassent des sous-traitants. Aux Etats-Unis, dès que les entreprises clientes ont commencé à souffrir de la crise, elles ont immédiatement répercuté la pression sur les grosses SSII pour qu’elles abaissent leurs
tarifs. ‘ Il en résulte une rapide réaction en chaîne. En Europe, ce phénomène existe surtout en Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, aux Pays-Bas. Et quasiment pas en France. La pression des clients sur les
fournisseurs s’y ressent, mais sans effet en chaîne ‘,
note Jean-François Perret.Le phénomène d’érosion des prix a atteint un plancher aux Etats-Unis. ‘ Si on dépassait ce seuil, la qualité en serait affectée ‘, estime Chell Smith, vice-président de Cap Gemini
Ernst Young. Pour certains, on est déjà allé trop loin. ‘ Les enchères inversées se multiplient, de même que les propositions de tarifs non viables sur la durée. Un peu comme l’industrie des semi-conducteurs, qui n’a jamais su
vendre de la valeur, l’industrie des services se permet de devenir trop rapidement une commodité, poussée par certaines grandes SSII ‘,
estime Richard Garnick, responsable exécutif de Wipro Technologies pour l’Amérique
du Nord et l’Amérique du Sud.Face aux grandes sociétés de services qui se servent de leur taille pour écarter les concurrents plus modestes de leur chemin, il reste à ces derniers l’arme de la capacité d’adaptation.‘ Nous avons réussi à réduire nos prix de 40 % en rationalisant notre structure, et sans recourir à l’offshore ‘, explique Everett Dyer, vice-président et General Manager
d’Unisys. La pression des prix n’a pas atteint la même ampleur ce côté-ci de l’Atlantique. ‘ L’effet sur les tarifs pourrait rester moindre en Europe. Mais beaucoup d’incertitudes demeurent ‘, souligne
Jean-François Perret.

Les entreprises en attente d’un signe

Le Vieux Continent, où les grandes SSII mondiales telles IBM, EDS ou CSC côtoient les sociétés de services européennes comme T-Systems, Siemens Business Services, Atos Origin, se distingue des Etats-Unis par d’autres aspects. La part
des services dans les dépenses informatiques y est moins importante qu’aux Etats-Unis (28 % contre 33 % en 2001, d’après PAC). L’externalisation est aussi un peu moins pratiquée en Europe (39 % du marché total des services, contre
41 % aux Etats-Unis).Or, c’est la partie des services informatiques qui affiche la meilleure croissance. De plus, l’Europe connaît un phénomène ?” inexistant outre-Atlantique ?” qui limite partiellement la concurrence : une partie
du marché des services d’externalisation (6 %) est captif. De gros clients potentiels sont, en fait, monopolisés par une société de services parente ?” par exemple, en Allemagne, Deutsche Telekom avec sa filiale de services informatiques
T-Systems.En réaction aux dépenses démesurées et souvent encore injustifiées du passé, les SSII ont un peu perdu en crédibilité auprès des entreprises. Avec le resserrement des budgets, on observe chez ces dernières un retour en force du service
achats, penché sur l’épaule du directeur informatique. La part belle est faite aux projets d’optimisation, au détriment des nouvelles mises en ?”uvre. Et cette tendance va se poursuivre en 2003.On voit le bout du tunnel, sans parvenir à estimer la distance qu’il reste à parcourir. ‘ En 2001 et 2002, les ventes glissaient sans cesse sur le calendrier ; les prévisions de projets ne se matérialisaient
pas ‘,
remarque Everett Dyer, d’Unisys. Les besoins sont toujours là. Les entreprises savent même plus précisément aujourd’hui ce qu’elles veulent que par le passé. ‘ Je vois des gros budgets, les entreprises se tiennent prêtes à agir, mais elles restent encore en phase d’observation. Comme si elles attendaient un signe magique pour lâcher la bride des
investissements ‘
, explique Chell Smith, de Cap Gemini Ernst Young. Le bilan du premier trimestre 2003 ?” également le premier trimestre fiscal pour beaucoup de sociétés ?” sera un bon indicateur de
la suite des événements en 2003.Cette année pourrait être celle du début de la reprise aux Etats-Unis, tandis que l’Europe est encore dans le creux de la vague. ‘ On peut envisager, s’il n’y a pas de catastrophe mondiale, un retour à une
croissance à deux chiffres des services informatiques aux Etats-Unis en 2004. Et l’année suivante en France, dans le meilleur des cas ‘
, estime Jean-François Perret.En plus des effets positifs de la déréglementation, l’Europe bénéficiera d’un facteur démographique : ‘ Dans les cinq ans à venir, de 10 à 15 % du personnel informatique des moyennes et grandes
entreprises partira à la retraite. Seuls un tiers ou un quart de ces personnes seront remplacées. Dans certains pays, cela pourrait générer une croissance de 2 à 3 % des services informatiques ‘,
explique
Jean-François Perret.

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Annabelle Bouard