Passer au contenu

Les révélations de Snowden ont mis en lumière les faiblesses de l’Europe

Les dirigeants des états européens ont découvert l’ampleur du programme Prism avec les révélations d’Edward Snowden. L’Europe cherche désormais à freiner la collecte de masse sans trop savoir comment.

Les révélations d’Edward Snowden auront au moins eu un effet positif. Elles ont fait prendre conscience aux Européens qu’Internet n’est pas seulement un environnement de culture et de distraction. C’est aussi, et surtout, un espace économique et géostratégique dans lequel ils ne pèsent pas beaucoup face aux Américains.

Malgré leurs services de renseignement, les Européens ont découvert l’ampleur du système d’écoute de la NSA grâce à Snowden. Ils ont découvert que même leurs chefs d’État étaient écoutés par les services américains. L’Europe a pris conscience de ses faiblesses technologiques, économiques et politiques.

Cette réalité a été comme un coup de massue pour l’ensemble des dirigeants des états européens qui, de leur aveu même, ne se doutaient de rien. Pour Nelly Kroes, commissaire européenne chargée de la société numérique, « Snowden nous a donné une piqûre de rappel. »

Pour les Cnil européennes, les choses ont été longues à digérer. Le G29 a réagi trois mois après les révélations de Snowden en interpelant la Commission européenne pour qu’elle mène une enquête.

Des risques de dérives non démocratiques

Lors des Assises de la Souveraineté Numérique qui se sont déroulées à Paris en mai dernier, les révélations d’Edward Snowden ont évidemment été au centre des débats. « Snowden a été un catalyseur de la prise de conscience collective et individuelle de tous les Européens », estime Pierre Paperon dirigeant de CloudWatt.

Pour Bernard Benhamou, enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Panthéon Sorbonne et ancien conseiller aux Nations Unies sur la société de l’information, cette affaire « nous a fait prendre conscience de l’intensité des risques vis-à-vis des grands acteurs de l’Internet par rapport à la protection de la vie privée, et plus encore des risques de prise en main par les États qui avaient été quasiment occultés dans notre imaginaire. Risques de dérives non démocratiques, vers des systèmes où les libertés élémentaires peuvent être remises en cause. »

Désormais, l’Europe a pris toute la dimension du problème. Les données personnelles sont devenues un dossier central au même titre que le chômage, l’énergie, le social, le commerce, l’immigration et la diplomatie. Ce traitement aurait-il été le même sans la découverte des écoutes de la NSA ? Probablement pas !

Un guide des droits de l’internaute européen

Pour l’Europe, la priorité est donc de protéger ses citoyens. Le 16 avril dernier, le Comité des ministres aux États membres a proposé un « Guide des droits de l’homme pour les utilisateurs d’internet ». Ce document est basé sur « la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres conventions et instruments du Conseil de l’Europe qui concernent différents aspects de la protection des droits de l’homme. Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont l’obligation de garantir le respect, la protection et la jouissance des droits et libertés énoncés dans les instruments qu’ils ont ratifiés. »

Il précise que les données personnelles et le respect de la confidentialité des correspondances et des communications est un droit. Dès lors, les internautes européens ne peuvent être soumis à aucune « mesure générale de surveillance ou d’interception des communications. La loi n’autorise la violation de la confidentialité des données personnelles que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple dans le cadre d’enquêtes pénales. »

Ces sujets seront également abordés les 12 et 13 juin à Berlin lors d’une conférence organisée dans le cadre du dialogue européen sur la gouvernance de l’Internet (EuroDIG).

Les géants du Net subiront les répercussions économiques

En attendant, les méthodes américaines n’ont pas uniquement déstabilisé l’Europe. Les victimes collatérales pourraient être, à terme, les géants du Net. Suspectées d’avoir contribué à cet espionnage massif en ouvrant leurs données aux services secrets, Google, Skype, Yahoo et les autres ont d’abord nié, puis indiqué que la surveillance s’est déroulée sans leur accord.

Aujourd’hui, certainement plus par pragmatisme que pour défendre les libertés individuelles, ils appellent le Sénat à mieux respecter la vie privée. Dans une lettre ouverte, ils disent comprendre que « les gouvernements aient le devoir de protéger leurs citoyens. » Ils considèrent toutefois que « la balance a trop penché en faveur de l’état [américain] au détriment des droits des individus. Cela affaiblit les libertés que nous chérissons tous, et cela doit changer. » Pour Nelly Kroes, ce n’est pas la seule raison.

Pour la commissaire européenne, la NSA a aussi fait du tort aux géants du Net. « Si les Européens ne peuvent plus avoir confiance dans le gouvernement américain, ils n’auront plus confiance dans leurs fournisseurs de Cloud. C’est mon intuition. Et si j’ai raison, les répercussions économiques pour les entreprises américaines seront de plusieurs milliards d’euros. Si j’étais un fournisseur américain de Cloud, je serais plutôt frustré par mon gouvernement actuellement »

Reste désormais à savoir où placer le curseur dans la collecte de données par les services d’état. Ce vendredi 6 juin, Viviane Redding, vice-présidente de la Commission, a réagi suite à une nouvelle affaire. L’opérateur Vodaphone vient de révéler que plusieurs gouvernements ont un accès direct à son réseau pour surveiller les communications de ses clients.

Sur ce cas, dans lequel les américains ne semblent pas être les seuls en cause – la France n’est pas citée -, la Commission européenne a une fois encore insisté sur la nécessité de protéger la vie privée des citoyens. Mais, pour Mme Redding, il vaudrait mieux « utiliser des pincettes plutôt que l’aspirateur pour le travail de simple police ». Elle a pris le soin d’ajouter que « les questions relevant de la sécurité nationale sont en revanche hors cadre ».

Lire notre dossier spécial sur l’Affaire Snowden, un an après.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Pascal Samama