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Les portes grandes ouvertes de l’interdiction américaine

Les casinos en ligne sont officiellement interdits aux États-Unis. Mais tous les internautes peuvent jouer… en visitant les sites en anglais installés à l’étranger. Et rien n’empêche de se connecter à un site américain… qui sait surfer avec la loi.

Fatigué de prendre une voiture pour aller au casino du coin ? Énervé quand vous devez vous garer à un kilomètre de l’entrée ? Las de respirer l’air enfumé des salles de jeu ? Ne vous inquiétez plus. Jouez autant que vous voulez, chez vous. Asseyez-vous, prenez un verre, branchez votre stéréo et essayez notre casino.” Tentant, non ? C’est l’invitation que l’on peut lire sur la première page de Fcasino.net, l’un des multiples sites de jeux en ligne sur lesquels se précipitent 4 millions d’internautes, parmi lesquels une bonne moitié d’Américains. Il suffit le plus souvent de laisser un dépôt de 100 dollars, avec sa carte de crédit. Et la roulette, le black jack, le poker, le baccara… se retrouvent à portée de clavier.Officiellement, le casino en ligne est bel et bien interdit aux États-Unis, au nom du Federal Wire Act (loi qui bannit l’usage de tout moyen de communication filaire entre les États américains, ou avec l’étranger, pour parier), passé en… 1960. Et bon nombre d’États ont jugé bon de rappeler cette interdiction au cours des dernières années. Mais l’internaute américain n’en a cure. Il n’a jamais été poursuivi en justice pour jeu illégal. Et il se rend comme si de rien n’était sur les sites… installés à l’étranger. Il lui arrive même de visiter un site, construit sur le territoire américain. Car les sociétés de jeu en ligne ont vite appris à surfer sur les clairs-obscurs de la loi. La loterie, les courses de chevaux, les paris sur les événements sportifs sont tolérés, de même que les jeux de casino pour le fun. “Juste pour s’amuser. “

La prolifération des casinos virtuels

Marc Falcone, l’analyste de la société de Bourse new-yorkaise Bear Stearns, a ainsi constaté l’explosion du nombre de sites de jeux, à la fin des années 1990. Au milieu de cette décennie, ils étaient tout juste une poignée, mais en l’an 2000, l’expert financier en a repéré 700 et, aujourd’hui, il estime que les joueurs invétérés peuvent s’amuser sur 1 200 à 1 400 sites. “ Il y a foule sur le marché“, constate-t-il. Il prédit une forte montée en puissance de cette industrie : en 2001, le chiffre d’affaires des jeux en ligne devrait tourner aux alentours de 2,46 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros), frôler les 3,5 milliards l’année suivante et atteindre 5 milliards de dollars en 2003.Les sites étrangers, souvent animés par des hommes d’affaires américains, ont amorcé le mouvement. Au départ, l’amateurisme était roi. Une bande de copains étudiants s’embarquait pour les Caraïbes avec 150 000 dollars en poche et un PC. Cette belle époque est révolue. Maintenant, les professionnels du casino sont aux commandes, ils se sont solidement installés en Australie, à Antigua, au Costa Rica, Saint Kitts, Curaçao… dans des pays favorables aux jeux, où l’on paie très officiellement des licences de 100 000 à 150 000 dollars et des royalties annuelles.

Requins et censeurs

Antigua est ainsi devenue une capitale mondiale du jeu virtuel : ce morceau de paradis perdu dans les Caraïbes sert de refuge à 90 sites et réalise aujourd’hui 25 % de son PNB dans l’hôtellerie, le tourisme et le casino en ligne. Le Costa Rica, lui aussi très joueur, a accueilli moult sites à San Jose. L’Australie enfin affiche 19 licences, parmi lesquels Ubet.com, Ozbet et Lasseters. Les politiciens d’Afrique du Sud, très tentés par un produit d’exportation qui pourrait, croient-ils avec un bel optimisme, rapporter 140 millions de dollars par an, peaufinent leur propre loi de régularisation du jeu.Bien sûr, ces casinos virtuels, échappant aux lois américaines, ne respectent pas toujours les règles du jeu. Selon l’expert de Bear Stearns, 35 % des casinos sur internet ne paient pas la totalité des sommes dues aux gagnants. On s’arrange aussi pour différer d’au moins 24 heures les paiements, car les joueurs invétérés croyant à leur bonne étoile, reviennent vite sur leur site préféré… perdre leurs gains. Les élus américains outrés, représentants les ligues bien pensantes, ont essayé de tuer la poule aux ?”ufs d’or. Les républicains John Kyl et Bob Goodlatte ont mijoté quelques jolis projets de prohibition. Le très conservateur Jim Leach a même eu l’idée de retirer l’aide financière des États-Unis aux pays du tiers-monde qui accueilleraient des casinos virtuels. Dans la foulée, il voulait interdire aux joueurs l’usage de cartes de crédit, le transfert de fonds électroniques et autres paiements virtuels…Las, ces projets législatifs n’ont jamais abouti, et la population des joueurs en ligne n’a cessé de grossir jusqu’à devenir millionnaire. Tant et si bien qu’on peut aujourd’hui tirer un portrait robot du joueur virtuel. Le plus souvent, c’est une femme (55 % des visites de Iwin.com, 56 % chez Lasseters.com, 62 % chez Carribbeangold.com), âgée (19 % des clientes de Lasseter sont à la retraite, 20 % chez Carribbeangold), disposant de rentrées annuelles comprises entre 25 000 et 50 000 dollars (33 % des cas).

Un fromage convoité

Côté business, l’aventure des pionniers du casino par ordinateur devient de plus en plus sérieuse. Les géants du secteur, pesant tous ensemble aux États-Unis 40 milliards de dollars, voient avec inquiétude les nouveaux venus grignoter leur fromage. Les pontes de Las Vegas et Atlantic City, initialement opposés aux casinos en ligne, sont en train de retourner leurs vestes. En février dernier, les représentants de Home Gambling Network sont venus présenter leurs produits au casino Taj Mahal de Donald Trump à Atlantic City dans l’État du New Jersey, près de New York. Tous les cadres de la chaîne Trump étaient là, les élus politiques du New Jersey aussi. Au programme : une démonstration de paris, en temps réel, dans le casino… effectués par des joueurs virtuels. Ils ne sont pas physiquement devant la roulette, mais participent derrière leur écran à toute l’action.Loin d’être en reste, les stars de Las Vegas mijotent leur contre-attaque. En proposant à leurs fidèles un casino en ligne ” pour le plaisir “. En août dernier, la direction de MGM Mirage s’est entendue avec l’expert en logiciels Wager Works pour lancer ses propres jeux. Quelque temps plus tard, le groupe Harrah’s, associé à Iwin.com, faisait de même. Pour ces grands pros du jeu, il est impossible de violer la loi ouvertement, au risque de perdre leur précieuse licence dans l’État du Nevada. Les gagnants reçoivent seulement des points, qu’ils peuvent échanger contre des prix, de joyeuses vacances, des chambres d’hôtel, des spectacles dans les casinos.MGM et Harrah’s installent leurs sentinelles sur internet. Lorsque la loi américaine s’assouplira, ils seront prêts à transformer leurs casinos ” pour le plaisir ” en vrais palaces du jeu. Les élus politiques du Nevada l’ont bien compris. Pour ménager la principale industrie de leur État, ils ont voté, en mai dernier, la première loi autorisant le jeu sur internet. Par 17 voix con-tre 4, ils ont donné leur feu vert à un projet de licence virtuelle de 500 000 dollars, accompagné d’un impôt sur les revenus de 6 %. Le gouverneur du Nevada, le républicain Kenny Guinn, a promis de signer la loi. Les propriétaires de casinos ont applaudi cette avancée majeure. Et tous les internautes se prennent à rêver d’un monde meilleur, où l’on pourrait enfin jouer jusqu’à plus soif, en toute légalité et aux États-Unis. Reste malgré tout quelques points de détail en suspens. Le vieux Federal Wire Act n’a pas encore changé, et les pionniers du Nevada doivent toujours respecter les interdictions des États voisins : il faut que les sites virtuels puissent trier le bon grain de l’ivraie et bannir les internautes habitant dans les États hostiles au jeu, ou les enfants. Pour cela, les fabricants de logiciels planchent sur des projets d’empreintes digitales et de caméras, capables de détecter les mauvais joueurs.

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