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Les nouveaux travaux d’AST-RX

Récemment inauguré, le scanner à rayons X du Muséum national d’histoire naturelle promet de passionnants voyages virtuels au cœur des spécimens des collections.

Du Muséum national d’histoire naturelle, on retient souvent la Grande Galerie de l’évolution, l’étendue de ses collections (68 millions de spécimens accumulés en 300 ans d’existence), et le Jardin des Plantes. C’est oublier que l’établissement abrite aussi 450 scientifiques (sur 1 573 employés). Lesquels répertorient, étudient, analysent les échantillons amassés, dans le but de percer les arcanes de la nature. À cet effet, le Muséum a inauguré, en septembre, un nouvel équipement d’imagerie numérique, AST-RX (pour Accès scientifique à la tomographie à rayons X), présenté comme “ le scanner le plus performant du monde en sciences naturelles ”. La tomographie consiste à reconstruire le volume d’un objet à partir d’une série de vues en coupe. Lesquelles, dans le cas d’AST-RX, sont générées par le passage de rayons X. À partir des mesures enregistrées, quatre puissants serveurs calculent ensuite les coupes correspondantes. Il en découle un modèle numérique, facile à manipuler, de l’objet étudié.

Direction le bâtiment 140, construction moderne bardée de bois

AST-RX est une cabine d’une dizaine de mètres carrés. À l’intérieur, le scanner repose sur une dalle de granit de huit tonnes, afin d’absorber les vibrations. Un coffrage en plomb protège l’extérieur des radiations. AST-RX fonctionne comme un scanner médical, à quelques différences près. Au lieu que l’appareil tourne autour du patient, ce qui exige une mécanique complexe, ici c’est l’objet, placé sur un plateau pivotant, qui tourne à 360°. Autre différence, les spécimens étudiés ne sont pas vivants : augmenter les doses de rayons X afin d’accroître la précision des images ne pose donc aucun souci.

À quoi va servir un tel appareil ?

L’AST-RX permet d’envisager des travaux couvrant toutes les sciences naturelles, qu’il s’agisse d’animaux, de plantes, de roches ou d’ossements, et d’effectuer des dissections virtuelles, d’étudier des échantillons au grossissement souhaité, d’accéder à l’anatomie interne des spécimens sans dégradation… Il répond ainsi au besoin d’observation, fondamental pour les sciences naturelles. La résolution de la machine permet de scruter en détail les spécimens, et même de visualiser l’invisible. Par exemple, l’ambre translucide qui emprisonne les insectes existe aussi sous une forme opaque. “ Ça ressemble à du silex ”, commente Florent Goussard, responsable technique de la plate-forme. Sans le scanner, impossible de savoir ce que renferment les échantillons.

AST-RX contribue à la préservation des collections

Plutôt que de manipuler les spécimens originaux, c’est sur leur double numérique que les chercheurs effectuent des mesures : la souris remplace ainsi le pied à coulisse et l’encéphalomètre, voire parfois le bistouri, quand il s’agit de disséquer les spécimens sans les altérer. Dernier intérêt d’un tel appareil, le gain de temps qu’il offre. Avec la modélisation numérique, le chercheur a très vite à disposition, et sur son ordinateur de travail, les spécimens dont il a besoin pour vérifier une théorie. Avant l’ère numérique, étudier des ossements humains exigeait de se déplacer sur plusieurs sites à l’étranger. Comparer un point d’anatomie précis sur plusieurs crânes, par exemple, pouvait prendre une quinzaine d’années. “ Les études sont plus précises, plus rapides, et portent sur des séries plus grandes ”, témoigne Antoine Balzeau, paléoanthropologue et co-responsable scientifique de la plate-forme.

D’autres techniques d’imagerie existent

Le synchrotron de Grenoble, par exemple, utilise une source de rayons X extrêmement plus puissante, ce qui permet d’obtenir des niveaux de détails encore plus poussés. Outil scientifique d’exception très sollicité, il ne peut accueillir tous les projets de sciences naturelles qui lui sont soumis. “ AST-RX va devenir son antichambre, prédit Antoine Balzeau. Il faudra d’abord prouver ici qu’il y a quelque chose d’intéressant à voir pour utiliser le synchrotron. ”

Radio libre

Le scanner AST-RX fonctionne à partir d’une source de rayons X. Lesquels traversent le spécimen étudié avant de terminer leur course sur une plaque de détection. Contrairement à un scanner médical similaire qui tourne autour du patient, celui-ci reste fixe : le plateau qui accueille le spécimen pivote sur 360°. “ Un objet de 40 x 40 cm représente 30 Go de données brutes ”, précise Florent Goussard, responsable technique de la plate-forme. À partir de ce volume d’informations, quatre serveurs, dotés chacun de 16 Go de mémoire vive, reconstruisent les coupes virtuelles selon les trois plans d’orientation classique. “ En fonction de la quantité de données à traiter, cette reconstruction peut prendre de 15 minutes à plusieurs dizaines de minutes. ” L’opérateur joue sur la tension et l’intensité des rayons X pour, respectivement, traverser plus ou moins l’objet et augmenter le contraste des diverses structures.

Cailloux célestes

Les météorites qui tombent sur la Terre sont des mines d’informations sur la constitution de l’univers. Le scanner sert, par exemple, à localiser les bulles de gaz piégées à l’intérieur afin d’en extraire le précieux contenu.

Collection numérique

Les chercheurs du Muséum consultent directement sur leur ordinateur les doubles virtuels des spécimens. Le modèle numérique conçu par le scanner prend la forme d’une série de photos au format Tiff. Elles correspondent à autant de coupes du spécimen. Encodées en 16 bits afin de garantir une qualité sans perte, elles contiennent des informations supplémentaires grâce auxquelles le logiciel de visionnage recalcule les vues qui s’affichent à l’écran, selon les besoins du scientifique. Il est même possible de visualiser les spécimens numériques en relief, ici grâce au procédé anaglyphique (les lunettes avec deux verres de couleur différente). “ Pour les responsables de collection, désormais, le double numérique fait partie de la collection, au même titre que le spécimen original ”, indique Antoine Balzeau. D’autant plus que la manipulation virtuelle évite d’abîmer l’original.

Affaires classées

Les sciences naturelles décrivent les espèces vivantes afin de les répertorier et de mieux les comprendre. Pour les insectes, la distinction entre deux espèces similaires s’effectue par les organes reproducteurs. Grâce à sa résolution capable d’atteindre le millième de millimètre, le scanner permet de les observer plus facilement. De même, la différence de densité fait apparaître les organes internes, comme ici, en rouge, le tube digestif de cette punaise de Nouvelle-Calédonie.

Portrait mal en point

Cette plaque en ivoire sur laquelle est gravé un mammouth est un objet patrimonial historique de premier plan. Elle a été découverte à Tursac (Dordogne) en 1864. Or à cette époque, la théorie de l’évolution de Darwin est toute fraîche. On commence juste à admettre que des animaux disparus ont pu exister bien avant l’être humain. Cette gravure prouve que l’homme et le mammouth ont cohabité à une même période. Sacrée révélation ! Preuve toutefois fragile : “ l’ivoire se conserve mal, c’est une superposition de couches osseuses, comme un oignon ”, précise Antoine Blazeau. Le passage au scanner révèle l’étendue des dégâts. Dans l’attente de trouver comment restaurer la pièce…

Casse-tête sans douleur

Le scanner distingue les diverses densités présentes dans un spécimen. Il est ainsi possible de les déshabiller couche après couche. Sur ce modèle d’une tête de momie, les bandelettes disparaissent pour découvrir le crâne en dessous. On discerne à l’arrière, en orange, la chaux que les Égyptiens introduisaient au moment de la momification. Les possibilités d’étude vont très loin : la cavité endocrânienne conserve l’empreinte du cerveau. Il devient donc possible de reconstruire le cerveau par impression 3D. Ci-dessus, il s’agit de la réplique de celui d’un homme de Cro-Magnon, avec son réseau veineux bien visible.

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Olivier Lapirot