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Les juges-voyageurs vont poser leurs valises

Saint-Pierre-et-Miquelon, l’archipel français au large de Terre-Neuve, subit des carences récurrentes en matière judiciaire. Avec la visioconférence, des juges siègent “devant” leurs prévenus, à 4 000 kilomètres de distance…

Un petit bras de France situé à 3 700 kilomètres de Brest, et à une vingtaine au sud de Terre-Neuve. C’est ainsi que l’on repère sur une carte l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Des indications précieuses pour trouver dans l’immense Atlantique Nord les 240 kilomètres carrés occupés par ces morceaux d’îles. Pas franchement un lieu de villégiature.En raison du climat, tout d’abord. Ici, la moyenne de la température annuelle n’est que de 6 degrés Celsius. Au programme, des neiges persistantes en hiver, des mois de juin et juillet sous la brume et des coups de vent à partir de la mi-août. Sans oublier une humidité particulièrement pénétrante. Pourtant, pas de quoi effrayer les quelque 6 000 Saint-Pierrais, parmi lesquels de nombreux pêcheurs de morue, la principale activité économique de ce territoire reculé de l’Hexagone.Le tourisme ?” une activité qui concerne essentiellement des Américains et des Canadiens à Saint-Pierre-et-Miquelon ?” commence seulement à faire son apparition. Malgré l’éloignement et les intempéries, tout ce petit monde reste soumis à l’autorité de l’État français. L’archipel est d’ailleurs placé sous la responsabilité d’un préfet, et l’ordre assuré par une quinzaine de gendarmes. Mais l’administration elle-même est obligée de s’adapter aux particularismes insulaires. Par exemple, en matière de justice, cinq magistrats sont actuellement en poste dans l’archipel. Si on tient compte des arrêts maladie des uns, des nécessaires périodes de formation continue des autres, voire des incompatibilités qui peuvent par exemple interdire à un juge de siéger dans un procès dont il a assuré l’instruction, le calendrier judiciaire peut être chahuté. Une situation que l’on réglait tant bien que mal depuis le xixe siècle en sollicitant de Paris l’envoi de magistrats à titre temporaire, ce qui obligeait à regrouper les affaires, et, comme dans le film de Patrice Leconte, La Veuve de Saint-Pierre, contraignait la population à attendre de longues semaines l’arrivée de l’émissaire parisien.”Un lien de communication audiovisuelle“. C’est ce que prévoient désormais les articles L-952-7 et L-952-11 du Nouveau Code de procédure pénale pour pallier les éventuelles carences judiciaires à Saint-Pierre-et-Miquelon. Une innovation légale qui date de 1998, même si les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés. De quoi s’agit-il ? “D’un dispositif de visioconférence qui relie la salle d’audience de Saint-Pierre à une annexe du tribunal parisien, raconte Étienne Diximier, conseiller à la cour d’appel de Paris. Deux caméras sont montées sur un point fixe, et des micros restituent la totalité des mouvements sonores émis dans la pièce “. Histoire que les magistrats puissent tout entendre comme s’ils étaient sur place. Les images sont ensuite diffusées sur deux téléviseurs. Le premier procès réalisé sous cette forme est intervenu à la fin de l’année 2000. Il concernait un délit de diffamation : le ministère public et le prévenu étaient à Saint-Pierre, tandis que les magistrats du siège, le greffier et les avocats étaient installés à Paris. Pour respecter les délais de prescription, il n’était pas question d’attendre qu’un juge parisien soit désigné et envoyé là-bas. En ce qui concerne la technique, la transmission se fait par ligne Numéris, afin d’assurer une qualité constante de connexion. Et les parties se communiquent les documents en utilisant un télécopieur sécurisé.

Recours simplifié à la justice ?

Depuis novembre, nous avons procédé à six procès en visioconférence, précise Bernard Keime Robert-Houdin, le secrétaire général de la cour d’appel de Paris. Et le rythme semble s’accélérer. ” Comme si l’arrivée de la technologie simplifiait le recours à la justice, et que l’on était moins réticent à entamer un contentieux dès lors qu’il ne serait pas jugé par l’un des habitants de l’île. Reste à savoir si cette intrusion high-tech dans l’enceinte judiciaire connaîtra d’autres développements, à l’instar de l’Italie, qui l’utilise déjà pour éviter le transfert intempestif de ses détenus les plus coriaces. Pour l’instant, Paris envisage toujours d’expédier un magistrat dès lors que trois affaires sont en souffrance. Les juges-voyageurs n’ont donc pas encore dit leur dernier mot.

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Nicolas Arpagian