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” Les disparités juridiques persisteront sur Internet “

Vice-président de la Chambre des notaires de Paris, Bernard Reynis revient sur la récente reconnaissance par la France de la signature électronique et rappelle que, au-delà de la mondialisation des échanges, la nouvelle économie ne pourra se construire que sur de solides bases juridiques.

01net. : Avec le développement du commerce électronique et des échanges d’informations sur Internet, les législations nationales semblent inadaptées, voire désarmées, et les risques de conflit juridique vont croissant. Internet serait-il aujourd’hui une zone de ” non-droit ” ?

Bernard Reynis : Il n’existe pas aujourd’hui de droit propre à Internet. Pour y remédier, deux traditions s’opposent. D’un côté, les Anglo-Saxons sont partisans de l’autorégulation. De l’autre, l’Europe continentale reste fidèle à sa tradition de codification. Une harmonisation des règles juridiques est nécessaire. Elle se traduira, à terme, par la mise en place de conventions internationales. Cependant, nous en sommes loin. N’oublions pas que le droit peut devenir un instrument de conquête économique, or Internet est aujourd’hui un réseau essentiellement anglophone.Avec la circulation de l’information, se pose la question du droit de la preuve et de sa nécessaire adaptation aux nouveaux médias avec, par exemple, la reconnaissance annoncée de la signature électronique…Dans ce domaine, la directive européenne qui a été publiée fin 1999 est une démarche a minima. Le Parlement français vient à son tour de légiférer sur la signature électronique. Il s’agit d’un acte fondateur, qui place notre pays à l’avant-garde du progrès juridique. Il appartient maintenant à l’ensemble des praticiens du droit de développer des solutions techniques viables et, si possible, universelles. Mais d’autres pays comme l’Allemagne et l’Italie se sont aussi penchés sur la signature électronique. Avec des conclusions diamétralement opposées. La législation germanique s’inspire largement du droit américain, et notamment de l’Etat de d’Utah, où le système de preuve repose sur le simple témoignage. De son côté, l’Italie a introduit un modèle beaucoup plus proche de l’exemple français. Le droit est une affaire de spécialistes, réservé en France à des professions bien réglementées.Or, avec l’émergence d’Internet comme nouveau vecteur de communication, ne craignez-vous pas une recrudescence des ” consultations juridiques ” en tout genre sur le Réseau, à l’image de ce qui peut exister aujourd’hui pour le ” conseil médical ” ?Nous avons constaté que certains sites proposaient des ” prestations juridiques ” en ligne à partir d’autres pays de l’Union tel que la Belgique. Je ne suis pas sûr qu’il existe une véritable demande pour ce type d’activité. Car, ce que le consommateur attend, c’est un rôle de conseil et, par-dessus tout, une garantie. Deux éléments qu’il ne retrouve pas nécessairement sur Internet. De plus, une telle délocalisation de la prestation juridique pose d’autres problèmes, notamment en termes de concurrence déloyale. En effet, que dire d’un officier ministériel, comme le notaire, qui, en France, voit son travail taxé à 20,6 %, en comparaison d’un site basé aux Bahamas qui ne serait pas soumis à un tel régime. C’est toute la question de la délocalisation de la prestation juridique. Mais ce qui est valable pour le droit l’est aussi pour le commerce électronique.Comment la profession notariale a-t-elle vécu l’arrivée d’Internet ?Internet est un formidable outil de communication. Pour nous, notaires, c’est un excellent moyen de présenter la profession à un plus large public. Certains confrères se sont empressés de construire leur propre site Web. Mais d’un point de vue général, tout cela nous pose un problème de déontologie, car, en France, la publicité des activités juridiques est réglementée. Malgré tout, pour ce qui touche à Internet, le droit français reste flou. A Paris, nous sommes parvenus à un modus vivendi. Pour éviter tout référencement sauvage sur Internet, un annuaire est disponible sur le site de la Compagnie des notaires de Paris.Outre des sites Internet, quelles ont été les autres réalisations ?Nous avons mis en place Real, un réseau intranet sécurisé accessible par carte à puce qui couvre en France l’ensemble de la profession. Ce réseau qui comprend des bases de données (et bientôt le cadastre) nous assure une sécurité maximale dans la transmission des documents. Il a été développé à partir du projet européen Oscar et nous entendons bien le généraliser à l’échelle du continent. Par ailleurs, nous n’excluons pas la création d’un réseau extranet – pour assurer une certification des documents – à destination de nos principaux clients, essentiellement des entreprises. Mais ce qui intéresse le notaire, c’est aussi la conservation des actes et, dans ce domaine, les nouvelles technologies ne nous apportent pas de réelle réponse. Avec l’évolution des formats, aucun technicien ne peut aujourd’hui nous garantir la conservation dun document sur trente ans, le délai de rigueur en droit français.

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Propos recueillis par Philippe Crouzillacq, 01net.