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Les chercheurs truffent notre quotidien d’objets communicants

A l’occasion du colloque ” Cinquante ans d’informatique ” organisé par le CNRS à Grenoble, 01 Informatique, partenaire de la manifestation, a rencontré ces chercheurs qui créent les systèmes d’information de demain.

Tranquillement assis dans le bus qui le ramène chez lui, un jeune étudiant prend quelques notes sur un carnet posé sur ses genoux. Rien de très original, a priori. Le stylo qu’il utilise glisse sur le papier et inscrit des suites de mots. Mais, en réalité, notre étudiant s’est connecté à son ordinateur, la simple pression d’un bouton lui permet d’envoyer ses nouvelles idées sous forme de mail, en attendant de télécharger son mémoire plus tard depuis le stylo vers son PC. Il a même esquissé un dessin invisible dans les airs… Les prémices d’une maquette 3D de bâtiment qu’il présentera le lendemain à son directeur de recherche. Plus étonnant encore, rien de tout cela ne se passe en 2025. Et notre personnage n’a rien d’un agent secret. Nous sommes bel et bien dans un simple autobus, quelque part en France aux alentours de 2005…

3Des objets capables de se reconnaître

Car ce stylo est d’ores et déjà en gestation dans les laboratoires grenoblois du CNRS. Il est même au coeur d’une thématique émergeante de recherche : les objets communicants. Mais point de téléphones mobiles ou de PDA derrière ce concept. Celui-ci désigne tous les objets de notre quotidien auxquels on aura simplement ajouté de l’électronique. Un réfrigérateur, une automobile, une chaîne hifi, mais aussi des vêtements ou un livre. Tous peuvent tenir un rôle fonctionnel dans le système d’information de demain. Alors qu’aujourd’hui c’est l’inverse, on amène le réel dans l’ordinateur, mais on doit s’asseoir devant un poste de travail qui impose son mode de fonctionnement au travers d’un écran et d’un clavier. Avec les objets communicants, c’est l’inverse. L’ordinateur disparaît et l’informatique se fond dans le monde réel.Les chercheurs du CNRS n’ont pas encore de définition précise pour ce nouveau champ de recherche. Mais il répond déjà à un certain nombre de critères. En premier lieu, et c’est essentiel, l’objet communicant est un élément du quotidien exploité dans sa fonction habituelle. “Le mot clé est ” intuitif”, insiste Gérard Bailly, directeur de recherches à l’Institut de la communication parlée (ICP). Le cybermonde profite de la fonction intuitive des objets.” Notre personnage assis dans le bus écrit bel et bien sur son carnet de la façon la plus classique qui soit. Mais le stylo qu’il utilise interagit aussi bien avec lui qu’avec d’autres objets. C’est la deuxième caractéristique de ces objets : ils sont équipés pour communiquer. Et pour cela ?” troisième critère ?”, ils savent se situer géographiquement : ils sont en mesure d’identifier l’environnement le plus proche. Le stylo en présence du PC allumé de son propriétaire pourrait, par exemple, déclencher une synchronisation de données ou l’envoi des mails préparés à distance. Ces objets qui se localisent et prennent conscience de leur environnement sont aussi capables de s’y intégrer. En effet, pour que l’utilisateur ne soit pas obligé de communiquer successivement avec chacun de ces objets, les chercheurs travaillent également sur le concept connexe d’agent communicant. Médiateur, celui-ci identifiera l’ensemble du réseau d’objets communicants d’un périmètre donné et jouera le rôle d’interface entre cet ensemble et l’être humain.

Inclure des capteurs jusque dans les fibres du tissus

Ce tout nouveau concept s’est en particulier imposé comme le plus petit dénominateur commun des laboratoires de recherche et des services de R&D du bassin grenoblois. Nanotechnologies et micro-systèmes, en premier lieu bien sûr, qui visent à ramener l’électronique à une dimension telle qu’inclure des capteurs ou actionneurs dans n’importe quel objet posera de moins en moins de problème. Jusque dans les fibres du tissus, par exemple. Or, la ville de Crolles, proche de Grenoble, vient tout juste de voir s’agrandir son pôle de recherche industriel dédié aux technologies nanométriques adaptées aux puces (Crolles 2). Motorola y a rejoint en septembre dernier STMicroelectronics et Philips pour un investissement total proche de 1,4 milliard de dollars d’ici 2005 et des dépenses en R&D de 1,2 milliard de dollars. Crolles 2 travaille avec la technopole grenobloise de Minatec, initiative du CEA-Leti (Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information), de l’INPG (Institut national polytechnique grenoblois), du conseil général de l’Isère, autour des micro et nanotechnologies.

Clonage virtuel pour réunion à distance

Avec la miniaturisation des mécanismes électroniques, la base des objets communicants est jetée. Mais nombre de questions demeurent, qui relèvent du traitement du signal, de l’étude des interfaces homme-machine, du décodage d’algorithmes, de la biométrie, de l’autonomie énergétique, etc. Sans oublier qu’un tel sujet sort même du champ de l’électronique et de l’informatique. Il engage des disciplines aussi variées que la linguistique, l’ergonomie, la cognition située, le droit, l’éthique, etc. Trois fédérations de laboratoires régionales qui possèdent ce type de compétences travaillent déjà sur l’objet communicant : l’Imag (Institut informatique et mathématiques appliquées de Grenoble) pour l’informatique, l’Elesa pour l’automatique, l’énergie et les signaux, et, enfin, le FMNT-RA (Fédération micro et nanotechnologies Rhônes-Alpes) pour les micro et nanotechnologies. Outre le stylo communicant (lire encadré), nombre de projets bouillonnent déjà. Gérard Bailly et l’ICP s’intéressent ainsi aux modes de communication avec ces objets. Le directeur de recherche étudie le comportement des signaux exploitables par un objet et, plus précisément, la parole associée au visage. “Un visage qui parle est plus compréhensible qu’une voix seule, avance-t-il. On s’investit davantage dans un dialogue lorsque l’on a quelqu’un en face de soi.” Phonéticiens, linguistes, accousticiens, psychologues cogniticiens et spécialistes du traitement du signal et de l’image se côtoient sur des projets comme Tempovalse (avec France Télécom R&D). Il s’agit, lors d’une visioconférence, par exemple, plutôt que d’envoyer à chacun l’image des autres personnes connectées, de transporter dans une salle commune virtuelle les clones de chacun des participants. Chacun de ces derniers voit donc l’ensemble de la scène. Chaque visage cloné est initialisé une fois pour toute au démarrage de la réunion et reçoit une quantité minimale de paramètres pour bouger et parler en même temps que son original : les mouvements du visage et les sons. Chaque participant est équipé d’un casque avec micro et mini-caméra qui permettent l’animation du clone. Outre la simplicité d’utilisation, Tempovalse se contentera ainsi d’une transmission de type GSM.

Des badges qui parlent avec les murs

De son coté, le laboratoire Clips (Communication langagière et interaction personne-système) de l’Imag (Institut d’informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble) travaille sur les interactions homme-machine et le traitement des informations de type langue, parole et images. Il étudie le principe des étiquettes actives. Une personne est munie d’un badge équipé d’une puce. Celle-ci l’identifie, mais elle est également sensible aux antennes électromagnétiques : chaque fois que le badge passe près d’une antenne, un objet lui-même ” étiqueté ” avec une puce est en mesure de lui envoyer des données personnalisées ou d’en recevoir.Steven Spielberg a utilisé ce type de recherche dans son dernier film, Minority Report. Lorsque le détective John Anderton pénètre dans un hall de centre commercial, chaque mur devant lequel il passe s’adresse à lui et lui envoie un message publicitaire. “On peut imaginer que lors d’une visite de musée, une puce soit accolée derrière chaque pièce exposée, raconte Jean Caelen, directeur du Clips. En s’approchant, le PDA d’un visiteur pourra réagir et récupérer des informations personnalisées pour son propriétaire.” L’extension la plus évidente de ce projet se trouve dans la domotique. Une puce dans la porte d’entrée reconnaît le badge du propriétaire. Lorsque celui-ci rentre, la lumière s’allume, le chauffage monte, une douce musique se fait entendre… Mais, comme il n’existe pas vraiment de frontière entre personnalisation et surveillance active, les chercheurs examinent les implications de leurs travaux. Ainsi, les équipes de Jean Caelen étudient les limites d’un système de télémonitoring pour personnes âgées. “Truffer l’appartement de composants électroniques ne suffit pas”, note le chercheur. Ce projet vise, par exemple, à équiper les personnes âgées d’un accéléromètre capable de détecter une chute et d’un outil de mesure de pression cardiaque. En cas de malaise, les capteurs réagissent, et une alerte est envoyée au service compétent. Or dans ce type de service d’assistance qui se traduit par une ” surveillance ” quotidienne, il importe en premier lieu de fixer des limites éthiques. Il faut être en mesure ensuite d’assurer une fiabilité des instruments de mesure et d’alerte irréprochable. Difficile, en effet, de mobiliser les services d’urgence sur de fausses alertes. Ces précautions sont indispensables car, si de tels objets doivent faciliter sans nul doute nos vies d’ici deux ou trois ans, ils posent nombre de questions d’ordre sociétale et morale.

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Emmanuelle Delsol