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Les cartes prépayées dans la tourmente

S’il est un marché qui a été très bousculé en France au cours de cette année 2000, c’est bien celui des cartes téléphoniques prépayées. Trois explications peuvent être avancées au phénomène.

Signe le plus apparent de la turbulence qui a saisi le marché français des cartes prépayées : plusieurs acteurs, et non des moindres, ont jeté l’éponge. Intercall, qui fut à la fois le pionnier et le leader du secteur, vient ainsi d’être placé en règlement judiciaire. GTS Omnicom, son plus sérieux challenger en nombre d’unités vendues par mois, a décidé de se défaire de cette activité, mais n’a toujours pas trouvé de repreneur à ce jour. Preuve que la crise est sérieuse.D’autres acteurs se sont retirés plus discrètement, sans faire les gros titres de la presse : Cegetel, Kertel, Netnet et One.Tel, mais aussi Kast Télécom, qui a cédé ses cartes Eurotel à son confrère Delta Multimédia dès le début de l’année, avec la mission de les écouler jusqu’à l’épuisement des stocks…L’hécatombe est impressionnante : elle a frappé des sociétés qui, en 1999, avaient réalisé près de 80 % du chiffre d’affaires du marché français des cartes prépayées.La première responsable est évidemment la ” taxe cabine ” de 25 cts ht/min, instaurée le 1er novembre 1999 par France Télécom avec la bénédiction de l’ART. ” Nous l’appelons la taxe assassine “, affirme Nicolas Saubié, directeur de Delta Multimédia Europe SA et président, depuis avril dernier, de la commission Cartes de l’organisation professionnelle Ténor. “France Télécom la perçoit sur tous les appels composés dans ses cabines à partir de nos cartes, même si ces appels n’aboutissent pas, ce qui arrive souvent parce que le correspondant est occupé ou absent, mais aussi parce que le réseau est encombré.”“C’est une taxe assassine, poursuit Nicolas Saubié, parce qu’elle est très lourde et qu’elle n’est pas en rapport avec notre chiffre d’affaires. Elle doit être payée tous les mois sans la moindre facilité de paiement.”Comme on sait, cette taxe est destinée à financer l’entretien des cabines, alors que tous les éditeurs de cartes contribuent déjà, par ailleurs, au financement du service universel, dans lequel cet entretien est inclus.Mais la commission Cartes du groupement Ténor n’est pas au bout de son étonnement : récemment, l’ART a estimé que cette taxe n’était pas prédatrice, et que, en conséquence, elle pouvait être augmentée à 30 cts ht/min en 2001.Dès la fin 1999, la commission avait déposé un recours en mesure conservatoire auprès du Conseil de la concurrence, qui l’a rejeté, mais qui a néanmoins demandé une enquête à la DGCCRF (Direction générale à la consommation, la concurrence et la répression des fraudes). Cette enquête, menée auprès de la plupart des opérateurs, est sur le point d’aboutir. Elle pourrait conclure à l’invalidation de la taxe, dès avant la fin de l’année.Les effets pervers de cette“taxe cabine” ont ensuite été amplifiés par le retournement du marché financier. Depuis plusieurs mois, en effet, celui-ci ne juge plus les jeunes pousses d’après leur chiffre d’affaires, mais d’après leurs résultats. Suite logique : le cours en Bourse de GTS, d’Intercall et de beaucoup d’autres s’est effondré. Ne pouvant plus se financer auprès du marché boursier comme auprès de leurs actionnaires, ils ont eu les jambes coupées.Dans ce contexte, l’attitude de Bouygues Telecom envers Intercall n’a donc été qu’un épiphénomène : l’opérateur mobile n’avait aucune raison de financer par des délais de paiements anormaux une société dont il n’est pas actionnaire.

Des clients et des détaillants trop volatils

La “taxe cabine” a sans doute torpillé le marché des cartes prépayées. Mais elle ne doit pas masquer les contraintes propres à cette activité, qui, dans le fond, n’a jamais été très facile. Au nombre de ces contraintes, il y a surtout la volatilité, non seulement des consommateurs, mais également des distributeurs. Difficile, en effet, de fidéliser les acheteurs sur une marque. Le succès des mobiles, notamment auprès des jeunes, a visiblement réduit le nombre des consommateurs potentiels, sauf, peut-être, dans la clientèle dite ” ethnique ” qui, pour sa part, est surtout intéressée par des tarifs économiques sur des destinations lointaines.Pour fidéliser leurs détaillants (bureaux de tabac par exemple), certains éditeurs de cartes leur ont accordé des marges très élevées (jusqu’à 40 % du prix de vente). Mais qu’en est-il, alors, de leur propre marge ? Souvent, d’ailleurs, ces efforts de fidélisation des détaillants ont été réduits à néant par l’introduction de nouveaux produits comme les cartes rechargeables, sans doute très avantageuses pour le consommateur, mais qui avaient pour effet de démotiver complètement le détaillant, puisque celui-ci ne vend plus qu’une seule carte par consommateur.En conséquence, il vaut peut-être mieux s’en tenir à des produits basiques. Delta Multimédia résiste à la tourmente avec 25 000 cartes grand public par mois. “Nos atouts, explique Nicolas Saubié, sont d’être beaucoup plus petit, de maîtriser toute la chaîne de distribution et de vendre nos cartes directement aux diffuseurs de presse, après les avoir démarchés un à un. Ceux qui ont été trop pressés ont déjà dû arrêter.”Delta Multimédia Europe SA (75013 Paris) revend également sous sa propre marque les services de téléphonie longue distance de Worldcom. ( www.delta-multimedia.com) ( www.cegetel.fr) ( www.kasteurope.net) ( http://netnet.eu.com) ( www.kertel.com) ( www.intercall.fr).

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Jean-Claude Streicher