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L’erreur du héros solitaire

Le héros, ou superprogrammeur, sert de jambes aux services informatiques mal organisés. Mais, quand les jambes se substituent au corps, l’absence de tête se fait ressentir.

” Quand on n’a pas de tête, il faut des jambes “, disaient nos grands-mères, toujours bien inspirées. Et quand on n’est pas organisé, il faut un héros. A la fois génie du logiciel, superprogrammeur superpro et gourou diaboliquement brillant, le héros sait tout faire. C’est votre informaticien fétiche, c’est peut-être vous, c’est sûrement celui que vous voudriez être. En tout cas, vous en connaissez forcément un, et si ça se trouve il est même fort sympathique. Mais répandre son culte se révèle la plupart du temps désastreux.Pourquoi ? Parce que, à moins de se contenter de développer sa page personnelle ou de se transformer en hacker masqué dans une cabine téléphonique, il va être intégré à une équipe. Pour peu que cette dernière soit adepte de ” l’improvisation constante “?” un doux euphémisme et la norme d’un grand nombre de services informatiques ?”, notre héros risque de se retrouver bien seul.Au grand dam de ses malheureux pairs, réduits au rang de témoins. Le héros, malgré lui, ne vaut en effet que s’il a des spectateurs. Minables man?”uvres travaillant à ses côtés, ” pissant ” du code façon ” force brute “, alors que l’Autre, là, Il est éclatant ! Il consacre Son temps à un travail sublime, Lui. Tout le service informatique, tout le projet, repose sur lui. S’il part, tout s’écroule.La position délicate du superprogrammeur s’épanouit dans une organisation défectueuse. Ce chef de projet, anciennement informaticien dans un bureau d’études en hydrologie, décrit ses six ans de cauchemar :“Notre fonctionnement favorisait les profils héroïques. Pas le temps de documenter nos programmes ; le cahier des charges, toujours succinct, précédait directement le codage ; les délais devaient couramment être multipliés par deux ou trois par rapport aux prévisions ; quant aux installations de nos…?”uvres, c’était chaud : la maintenance de nos propres programmes interrompait constamment les projets en cours de développement.”Ici, le héros joue les pompiers en permanence. Quand il part, puisqu’il part forcément, impossible de réutiliser ses lignes de code, qu’il n’a pas eu le temps de documenter.Alors, question : faut-il brûler ses héros ? Faux problème. La vraie interrogation, c’est : que se passe-t-il quand le héros n’est plus là ? Si votre sueur devient plus froide à cette idée, si vous n’avez plus faim, si le sommeil vous fait défaut, vous souffrez de langoisse pathologique du défaut de héros. Appliquez le second principe de grand-mère : ” Pour soigner la tête, guérissez votre héros de la solitude”.Prochaine chronique le lundi 12 février 2001

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Philippe Billard