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Le phénomène Twitter

Le service de microblogging américain connaît une croissance fulgurante, dopée par les médias et la réactivité des internautes. Découverte d’un raz-de-marée communautaire.

Les “ gazouillis ” de Twitter s’amplifient sur le Web, saturent les portables, assourdissent les rédactions. Ce bouche-à-oreille numérique n’en finit pas de se propager par le biais de courts messages de 140 caractères maximum (soit une ou deux phrases brèves) : les tweets (ou gazouillis en français). Le service de microblogging, qui est en passe de devenir le phénomène Web 2.0 du moment, permet des échanges brefs entre amis ou membres d’une même famille en réponse à un simple questionnement : “ Qu’êtes-vous en train de faire ? ” Les messages fusent en temps réel via un ordinateur, ou par SMS sur un téléphone portable. Le blogueur (ou twitteur) fait part à ses contacts (ou followers : suiveurs en français) de ses occupations quotidiennes, son actualité, ses rencontres, ses sorties, ses états d’âme, le tout dans un style bref et concis. À l’usage, les réseaux se sont étendus et les échanges se sont diversifiés à la diffusion ou la recherche d’informations, la publicité, les témoignages sur un événement ou un spectacle donné. Après les utilisateurs anonymes, les personnalités de la politique, du show-business et du sport s’y sont mis, surfant sur la vague de ce succès : Barack Obama lors de sa campagne électorale (plus de 100 000 followers), le groupe Coldplay, Britney Spears ou encore le cycliste Lance Amstrong. C’est grâce à un message diffusé sur toute la communauté Twitter que ce dernier a ainsi pu retrouver le vélo d’une valeur de 10 000 dollars qu’on lui avait dérobé. En France, des membres du gouvernement comme Nathalie Kosciusko-Morizet et Michel Barnier ont ouvert un compte sur Twitter qu’ils alimentent régulièrement.“ Il y a autant d’utilisateurs que d’utilisations. C’est la culture zapping : de l’info à tout va, concise, brute, réactive, qui donne une perception accrue de la réalité du quotidien ”, commente Valéry-Xavier Lentz (voir p. 46), utilisateur de la première heure du site. Cet engouement collectif plus qu’improbable pour ce canal de diffusion instantané ultrasimple et ultrarapide n’en finit pas d’étonner.

Un relais de transmission

Twitter a été créé et lancé en 2006 dans le cadre d’un projet de recherche et développement de la start-up américaine Odeo. Son logo : un petit oiseau, symbole du gazouillis qui lui a donné son nom. Ce service de microblogging gratuit, à mi-chemin entre le tchat, le blog et le réseau social, avait pour postulat de départ de se nourrir de l’instant présent dans ce qu’il a de plus anecdotique (“ Je vais dîner ”, “ Je pars au cinéma ”…). Le besoin d’être connecté aux autres, de faire partie d’une chaîne, apparaît comme son principal moteur. Les échanges sont publics et restent stockés sur le site. Le flot de tweets est incessant et on peut les retrouver grâce à un moteur de recherche.Devant tant de simplicité et de vacuité, la première réaction est d’être sceptique sur l’utilité d’un tel concept. Pourtant, le service s’est développé de manière fulgurante. En janvier 2009, il alignait 6 millions d’utilisateurs dans le monde, pour passer à plus de 14 millions au mois de mars, principalement aux États-Unis (la moitié des utilisateurs), puis en Europe et en Asie. Ce qui en fait la communauté qui croît le plus rapidement sur Internet. La France représente 6 % des membres non-Américains (source ComScore). “ Au début, révèle Amélie, 26 ans, une accro à Twitter, j’ai juste voulu tester le nouvel outil dont parlaient beaucoup les blogs. Ensuite, je me suis prise au jeu et j’ai affiné mes recherches sur des thèmes qui m’intéressent, comme la musique. Je publie des liens vers des infos précises ou je “ retwitte ” celles que j’ai reçues. C’est sans fin… ” En parallèle, l’utilisation de Twitter a également beaucoup évolué, enrichie par les internautes eux-mêmes. De simple outil de communication basique, il est devenu un véritable canal de transmission d’informations en temps réel : les attentats de Bombay ont été relayés dès les premières heures et dans le monde entier par les milliers de tweets envoyés par des témoins présents sur place.

L’actu en temps réel

Deux twitteurs réagissent : “ On est toujours un peu exhibitionniste et voyeur à la fois ” ; “ On veut être le premier à donner une info sans contrainte ”. Une liberté qui n’est pas passée inaperçue auprès des utilisateurs chinois, qui profitent de ce nouveau service pour faire passer l’information en contournant la censure. Plusieurs applications libres sont venues renforcer la plate-forme telles que la diffusion de photos, de vidéos et de musiques, ainsi que la traduction des messages dans une autre langue.Le moteur de recherche de Twitter donne accès à une foule d’informations issues d’une multitude de sources. À partir d’un mot-clé que l’on rentre sur le site (un hashtag précédé du symbole #), les commentaires publiés par les membres du réseau sur le thème recherché affluent en vrac. Ici, pas de traitement ni de vérification de l’information, mais une actualité publiée à chaud, une mine de renseignements sur tout ce qui se passe dans le monde en temps réel. C’est ainsi que CNN et l’Amérique ont découvert l’amerrissage en catastrophe de l’Airbus A320 d’US Airways à New York, en janvier dernier.

Centre d’appel… à témoins

Des témoins ont immédiatement diffusé l’information sur Twitter, avec photo de l’avion flottant sur l’Hudson, info vérifiée et retransmise dans la foulée par la chaîne de télévision. Les médias se sont rapidement intéressés à cet outil très réactif, à la fois pour la diffusion de l’actualité, mais aussi pour retrouver rapidement les témoins d’un événement. Dernier exemple en date, France 24 a pu localiser, 52 minutes après le drame, une jeune femme témoin de la fusillade de l’école de Winneden, en Allemagne. Elle a aussitôt été interviewée en direct à l’antenne.

Attention aux leurres

Sur son blog dans l’Express.fr, l’économiste Jacques Attali analyse le phénomène : “ D’abord, le plus extraordinaire sondage permanent possible de la planète entière. En écoutant, lisant, suivant Twitter, on peut avoir le miroir d’un monde de plus en plus sommaire, global, intégré, qui fera peut-être ainsi bientôt converser télégraphiquement, gratuitement, simultanément, en permanence, plus de 100 millions de personnes. Mais un monde aussi de plus en plus envahi de leurres, car il sera difficile d’éviter les publicités, les spams, les mensonges, les voleurs d’identité. ” Car, revers de la médaille, la communauté Twitter est confrontée à toutes sortes de malversations, parmi lesquelles le trafic d’identité (cybersquatting), dont la chaîne américaine CNN a été la cible récemment. Le psychologue John Grohol, qui a mis en ligne The Psychology of Twitter, pointe d’autres aspects négatifs : “ Entre les blogs, les flux RSS, les news, le mail, les updates de Face-book et maintenant Twitter, beaucoup de personnes vont commencer à ressembler à des zombies en essayant de traiter toute l’information qui leur arrive. La bonne information nous aide (elle permet d’être plus productif, de rester informé, etc.), tandis que la mauvaise information produit une perte de temps et de ressources cognitives. Mais des outils comme Twitter ne font aucune différence, passant sans cesse des douzaines (ou des centaines !) d’updates sous nos yeux. ”Du “ zombie ” accro à ses tweets à l’internaute butinant des infos sur le Web en passant par le journaliste à l’affût d’un scoop, Twitter rallie une palette très variée d’utilisateurs fascinés par son pouvoir de réactivité. Alors, média révolutionnaire ou engouement de geek ? Il est encore un peu tôt pour en juger. Laissons au gazouillis le temps de donner de la voix.

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Frédérique Crépin