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Le numérique fait peur

Les discours alarmistes se multiplient au sujet des technologies numériques. Avec le risque d’amalgamer n’importe quoi.

Feuilletons les journaux, lisons des livres, écoutons la radio : les technologies numériques font peur. Le téléphone mobile donne le cancer du cerveau. Les nazis vendent des objets d’un goût douteux sur Yahoo!. Les achats en ligne ne sont pas sûrs. Les terroristes utilisent le chiffrement pour préparer leurs attentats. L’espionnage est partout. Les pédophiles font leurs sales affaires sur le Réseau. La jeunesse va être corrompue par les images de fesses. Et j’en oublie…Je vais vous le dire : ça m’énerve. Question cancer, les émissions délétères des bagnoles m’inquiètent plus que les ondes du GSM. C’est bien joli d’essayer de bloquer l’accès à certaines enchères sur Yahoo!, mais pendant ce temps dans le monde réel (dans ma rue pour être précis) une librairie vend des horreurs pour nostalgiques du IIIe Reich. Le tourisme sexuel en Asie n’a pas attendu Internet. Le plus génial reste le filtrage de contenu pour ne pas choquer les petits enfants : n’importe quel gosse qui regarde la devanture d’un marchand de journaux ou la télévision voit la même chose.Il y a autour des technologies numériques une cristallisation des peurs de l’époque qui n’a rien de surprenant. L’objet est nouveau et puissant, il inquiète. En psychopathologie, on constate que certains délires intègrent les dernières trouvailles scientifiques et technologiques. Le président Schreber, célèbre psychotique du XIXe siècle, s’était approprié les découvertes de son temps sur la biologie du cerveau pour construire son système délirant1. Avec la radio, puis la télévision, on a vu apparaître des délires connectés, des gens qui parlaient avec l’une ou l’autre divinité par le biais des ondes.Je ne doute pas que, aujourd’hui, on trouve des délires fondés sur Internet, des victimes d’un ” Internet dit du mal de moi “. L’ensemble des gens normaux n’en sont pas moins réceptifs aux représentations étranges qu’engendre le numérique : la trame serrée des puces, les flux d’information qui nous entourent, l’aspect magique du fonctionnement des machines. Le tissu binaire grésille à nos oreilles. Et faute de le comprendre, nous en venons parfois à lui donner une figure menaçante, à condenser en lui nos angoisses.Il me semble qu’on se trompe de problème. Le monde numérique est encore en bas âge. Les dangers qu’il présente sont mineurs comparés à des risques bien plus concrets et immédiats, comme l’affaire de la vache folle et celle du réchauffement du climat viennent nous le rappeler. Mettre l’accent sur les dangers du monde numérique, c’est détourner l’attention à bon compte, ou pire : ramener sur le tapis de vieilles valeurs.Il n’y a pas beaucoup d’écart entre le filtrage des contenus pour protection de la pureté de l’enfance et le filtrage de l’information non conforme à la ligne politique d’un parti tel qu’il se pratique en Chine. Il n’y a pas beaucoup de différences entre interdire l’accès à des sites étrangers, au demeurant pour d’excellentes raisons, et la possibilité de mettre un veto à la liberté de circulation des internautes. Faudrait peut-être pas se tromper de peur.Prenez votre temps.1 – Daniel Paul Schreber, Mémoires dun névropathe, Points Seuil.
Sigmund Freud, Cinq Psychanalyses, PUF.Prochaine chronique le jeudi 7 décembre

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Renaud Bonnet