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Le Net va-t-il tuer La Poste ?

La meilleure défense, c’est l’attaque. La Poste, qui l’a bien compris, veut devenir un ” acteur majeur du web “. Question de survie. Mais réussira-t-elle à contrer le développement de l’e-mail et des banques en ligne ?

Il y a vingt ans qu’elle vend des timbres dans le bureau de poste d’Avesnes-le-Comte, petite bourgade située à mi-chemin entre Arras et Le Touquet, dans le Pas-de-Calais. Ciel gris et champs de betteraves pour unique horizon. Bernadette (c’est un pseudo) a toujours été guichetière.Ici, on est loin de l’ambiance dotcom : pas le moindre accès public à l’internet et, s’il y a bien un Minitel, il ne sert qu’à consulter les comptes bancaires. Qu’importe, les villageois se pressent toujours aussi nombreux. Mais pour combien de temps ? A-t-on encore vraiment besoin des services du bureau d’Avesnes-le-Comte quand on peut envoyer des e-mails plutôt que des lettres, des e-mailings plutôt que des mailings, et quand les sociétés rivalisent d’imagination pour trouver des points de livraison qui court-circuitent les postiers ?” Sauvez la Poste “. En 1997, le sénateur Gérard Larcher expliquait dans son rapport pourquoi La Poste pouvait carrément mourir. À l’époque, pourtant, l’internet balbutiait. L’e-mail ne faisait pas encore trembler le courrier papier, l’e-commerce ne poussait pas les opérateurs postaux à l’international. Et les banques en ligne ne concurrençaient pas encore leurs aînées.

Madame Michu envoie toujours sa carte postale, mais l’e-mail fait mal

Pourtant, le rapport Larcher soulignait déjà la rentabilité fragile de La Poste, le coût prohibitif de ses missions d’intérêt général et l’absence flagrante de moyens pour devenir un acteur international. L’internet portera-t-il le coup de grâce ? Pas sûr. Certes, toutes les activités de La Poste (courrier, messagerie et finances) sont bousculées. D’ailleurs, dès 1998, le contrat de plan prévoyait d’“inscrire les nouvelles technologies au c?”ur de [ses] métiers”. Si l’on en croit les dernières campagnes de pub de l’opérateur, l’objectif serait atteint : “Ce que l’avenir vous promet, La Poste vous l’apporte.” Le vieux service public se présente carrément comme LE nouvel acteur du Net. Au lieu de tuer les ” petites dames des PTT “, l’internet volerait à leur secours. Perspective réaliste ou abus de méthode Coué ? La Poste est attaquée sur trois fronts.D’abord, sur son flanc ” courrier ” (62 % du chiffre d’affaires), où l’e-mail remplace le papier. Certes, si Madame Michu continue à envoyer de vraies cartes postales depuis sa Bretagne natale, l’ensemble du courrier des particuliers ne représente que 10 % des 16 milliards d’euros réalisés grâce à cette activité en 2000. Les 90 % restants concernent le courrier interentreprises.

La carte Vitale a fait disparaître 60 millions d’euros de recettes

Et là, l’e-mail fait mal, chasse aux coûts oblige. Déjà, la carte Vitale se substitue aux feuilles de maladie : La Poste y a laissé 60 millions d’euros de recettes en 2000 et sûrement 180 millions par an à partir de 2003. D’après le Gartner Group, 40 % des facturations interentreprises devraient être électroniques dès 2003 (2010 pour les factures des entreprises aux particuliers). Certes, la substitution n’est pas totale : “Les campagnes e-mail de La Redoute accroissent la demande de catalogues papier”, souligne Bernard Bonneton, directeur de la branche courrier. Pourtant, en 2000, l’activité courrier de La Poste n’a progressé que de 1,3 % contre 4 % en 1999 ; et l’américain US Postal envisage de suspendre ses tournées du samedi.La Poste, heureusement, a réagi en se développant sur des marchés porteurs. MediaPost est en train de racheter Delta Diffusion, une filiale de Vivendi, pour renforcer sa force de frappe en matière de publicité ciblée en boîtes aux lettres. À terme, l’objectif est en effet de coupler l’e-mail et le papier (on recevrait un e-mail et un prospectus Yves Rocher…). Grâce à ses 90 000 préposés ?” les ” facteurs “?”, La Poste peut actualiser une base d’adresses physiques unique en France. Pour y associer des adresses e-mail, elle a donné aux internautes potentiels la possibilité d’avoir une adresse e-mail avec @laposte.fr depuis août 1999. “Celui qui maîtrise l’adresse physique a le potentiel pour remporter le marché de la publicité ciblée”, affirme Yann Castaignet, consultant chez CSC Peat Marwick.Autre secteur porteur : la gestion des données informatiques des entreprises, qu’il s’agisse d’échanges purs d’octets (téléprocédures) ou de la transformation des octets en papier (courrier hybride). Par exemple, une banque qui veut envoyer des relevés à ses clients confie ses données informatiques à La Poste, qui les transforme. Ici aussi, les filiales de l’opérateur ont cherché des alliés : Datapost avec Mikros, ou Certinomis avec la Sagem.Mais qu’il s’agisse de publicité ou de gestion de données, La Poste n’en est qu’à ses débuts : Somepost, le plus gros chiffre d’affaires des nouveaux services, réalise 50 millions d’euros, alors que la carte Vitale en a coûté 60 en 2000. Mais bon, il y a du potentiel.Pas de répit non plus sur le deuxième chantier, les produits financiers (24 % du chiffre d’affaires). La Poste est aujourd’hui le premier gérant de comptes-chèques en France. Mais, en juin 2000, JP Morgan prévoyait que 21 % des comptes bancaires français seraient en ligne d’ici à 2003. La Poste n’a réagi qu’en décembre 2000 en permettant à ses clients de gérer leur compte-chèques sur lapostefinance.fr. Et ce n’est pas l’e-cohue : en avril 2001, le trafic du site est trop faible pour être référencé par NetValue. Quant au service de Bourse en ligne, il ne sera disponible qu’en octobre 2001.

Un atout pour l’e-commerce : le réseau de 17 000 guichets

En fait, La Poste gère ses contraintes : comme le reconnaît Patrick Werner, directeur des clientèles financières, ses clients sont “plus âgés et souvent moins fortunés” que ceux des autres banques. Et même s’ils ne sont “ni ringards ni rétifs au Net”, quelques signes ne trompent pas : seulement 6 des 20 millions de détenteurs de livret A sont passés à Postépargne, la carte magnétique lancée en 1988, qui remplacera à terme le livret papier. Mais le web ne pourrait-il pas contribuer à rajeunir cette clientèle ? ” Pas évident, car les jeunes veulent des crédits à la consommation et des prêts personnels, que notre statut nous interdit de proposer “, répond Patrick Werner. Le statut, toujours le statut…Reste le troisième front, celui des colis ?” la ” messagerie ” en langage de transporteur ?” qui représente 14 % du chiffre d’affaires (en hausse de 15,9 %). Il était urgent que La Poste s’internationalise, car si les gros clients traditionnels souhaitaient depuis longtemps traiter avec un opérateur mondial, les e-commerçants, eux, l’exigent. Et même si cette clientèle ne pèse pas très lourd, l’e-commerce de biens physiques pourrait atteindre 230 milliards d’euros d’ici à 2003 (selon La Poste), dont 10 % réalisés par la logistique. La réponse de notre service public préféré ? Devenir le premier transporteur pour les e-commerçants en Europe. Pour cela, La Poste s’appuie déjà, en France, sur ses 17 000 points de contact et sur une gamme de produits complète : Chronopost, Colissimo et la livraison par tranches horaires grâce à Chrono e-liko, créé en novembre 2000. De plus, sa filiale Esipost s’adresse aux ” grands ” ( amazon.fr, fnac.com et travelprice.com sont des clients de laposte.fr) comme aux PME : le service Axepro va de la création et l’hébergement de sites au paiement sécurisé, en passant par le transport et la logistique. Résultat ? “Esipost est un démultiplicateur d’activité pour les autres services : en 2001, la filiale devrait apporter 30 millions d’euros à la branche colis et logistique”, explique Jacques David, PDG de la filiale. Enfin, à l’échelle mondiale, Chronopost a signé un accord avec FEdex fin 2000 et se rapproche des services postaux du sud de l’Europe, tandis que sa maison mère s’est offert DPD en février 2001, le deuxième opérateur du colis interentreprises en Allemagne. Elle s’est ainsi hissée au troisième rang européen sur les colis.Le Net n’a donc pas tué La Poste. Mais, il l’oblige à bouger. Il l’a même revivifiée, si l’on en croit ses dernières campagnes de pub. Finies les starlettes franchouillardes ébaubies devant cette Poste où ” on a tous à y gagner “. Au placard les acteurs sur le retour martelant leur front d’un subtil : ” Y a pas écrit La Poste, là ! ” 2001 a marqué un virage spectaculaire. “Ce que l’avenir vous promet, La Poste vous l’apporte”, récitent les nouvelles campagnes. En clair, l’e-commerce n’est rien sans La Poste pour livrer les colis. Et bien malin qui reconnaîtrait l’opérateur dans sa tasse de café à moitié virtuelle ou son pigeon voyageur intelligent ! Le patron lui-même a montré l’exemple : Martin Vial a étonné tout le monde en publiant La Lettre et la Toile, un essai qui installe La Poste en acteur majeur du web. “Personne ne s’y attendait, à l’intérieur comme à l’extérieur”, avoue l’intéressé. Et pour cause : son plaidoyer pour une poste décomplexée face au Net n’est pas l’image que Madame Michu a de ses guichets. La Poste essaierait-elle de s’autoconvaincre ?Faisons la part des choses. Avant que l’hypermodernité des campagnes (de pub) rejoigne la réalité de nos campagnes, il faudra surmonter trois handicaps : la morphologie de l’entreprise tout d’abord, c’est-à-dire 300 000 personnes ?” le premier employeur marchand de France ?” et une longue tradition d’administration. La Poste a réagi au Net, certes, mais, à défaut de pouvoir le diffuser dans l’entreprise, elle a lancé une myriade de services et de filiales. Résultat : “C’est encore le désordre, avoue Jean-Frédéric de Leusse, directeur des Nouveaux Services. Nous sommes en train de réorganiser nos marques.” Une autre manifestation de cette ” internetisation ” à marche forcée : les services sont créés, mais La Poste oublie d’en parler ! Lorsque Martin Vial a annoncé le lancement des adresses @laposte.fr en août 2000, le service existait depuis un an ! Idem pour le portail de La Poste, illiclic.com : créé en novembre 2000, il est toujours inconnu.

Le défi : réduire à cinq minutes l’attente aux guichets. Un rêve ?

Deuxième boulet : le réseau, c’est-à-dire les bureaux. S’il représente un atout dans l’e-commerce, il coûte 4,5 milliards de francs par an en entretien et n’est pas franchement high-tech : à Noël 2000, par exemple, 5 000 bureaux ont vendu des portables mais, faute d’un système d’information moderne, personne ne pouvait suivre les stocks au jour le jour ! Autre hic : 62 % des points de contact de La Poste se trouvent dans des zones qui ne regroupent que 25 % de la population, comme l’a noté le premier rapport Larcher.Et s’ils connaissent par c?”ur leurs usagers, ils connaissent moins bien la ” culture client ” : ” Notre objectif est de réduire à cinq minutes le temps d’attente aux guichets d’ici à 2003 “, rappelle Martin Vial. Il y a du boulot. Enfin, La Poste manque de gros sous. Elle a beau essayer de faire des économies en externalisant la gestion de ses 48 000 véhicules et, pourquoi pas, en vendant une partie de son parc immobilier, ses missions d’intérêt général lui coûtent 8 milliards de francs par an (aides de l’État déduites) et ses bénéfices sont symboliques : 139 millions d’euros en 2000 contre 1,53 milliard pour la Deutsche Post. Du coup, pas question d’envisager des acquisitions majeures. DPD en février dernier a été une exception. Elle doit se contenter d’accords commerciaux ?” avec FedEx ou les Postes du Sud ?”, par définition fragiles.“Un accord avec la poste portugaise était prévu, mais cette dernière va se tourner vers la poste néerlandaise”, remarque Gérard Larcher. Les concurrents, eux, rachètent à tout va : la Deutsche Post a acquis DHL, la poste néerlandaise Jet Services…Il y a bien du Coué dans la tasse de café virtuelle. Tant mieux si cela modifie l’image de La Poste auprès du public… et des postiers eux-mêmes. Car la vieille dame possède un vrai potentiel face aux nouvelles technologies. Mais elle manque de moyens et de flexibilité. La solution ? Devenir une société anonyme avec participation de l’État, comme la plupart de ses concurrentes européennes. “La question n’est pas à l’ordre du jour”, rétorque Martin Vial. Pas plus que l’éventuelle fermeture du guichet d’Avesnes : l’aménagement du territoire est une des missions d’intérêt général de La Poste. La transformation de Bernadette en accro du web, elle, peut bien attendre.

La face cachée techno de La Poste ? Sept filiales déjà opérationnelles












































































































 
 Nom     Activité     Commentaires 
 Certinomis 
 (CA 2000 : ns*) 
   Autorité de certification pour les échanges électroniques (signature électronique, authentification…).     Certinomis est le premier organisme certificateur agréé par les pouvoirs publics : La Poste veut reproduire en ligne son ” cachet “, qui ” fait foi ” dans l’ancienne économie. 
         
 Datapost/Mikros 
 (CA 2000 : 20 MF) 
   Gestion électronique de documents et transformation de données en courrier papier : service Mailev@ pour les PME.     Numéro un français, Datapost-Mikros devrait être rentable en 2003. Le marché est neuf (Mailev@ a été lancé en septembre 1999), mais il est porteur, puisque les sociétés traitent de plus en plus leurs données informatiquement. 
         
 Post@xess 
 (CA 2000 : ns*) 
   Échange de factures électroniques interentreprises.     Ce service récent s’adresse exclusivement aux grandes et aux moyennes entreprises. 
         
 Esipost  
 (CA 2001 : 20 MF) 
   Développement, commercialisation de produits et services intégrés pour l’e-commerce.     Les colis des e-commerçants représentent 1 % des envois, mais l’offre d’Esipost est l’une des rares à être globale : la prise en charge se fait de la commande à la livraison. 
         
 Groupe Somepost 
 (CA 2000 : 273 MF) 
   Services et ingénierie en informatique et logistique.     C’est la filiale ” SSII ” de La Poste. Elle regroupe Somepost Informatique, Selisa (ingénierie de systèmes en temps réel), Somepost Logistique (conseil et études) et Sofrepost (conseil).  
         
 MediaPost 
 (CA : 500 MF) 
   Publicité en boîtes aux lettres ciblée géographiquement mais non adressée.     C’est le numéro un français du secteur. Il s’apprête à racheter Delta Diffusion, filiale de Vivendi Universal, spécialiste des publicités ciblées en boîtes aux lettres. 
 ,         
 Seres 
 (CA 2000 : 24 MF) 
   Solutions d’échange électronique de données interentreprises.     Numéro un en France et numéro trois en Europe, Seres gère notamment l’activité EDI de la grande distribution.  
 
* ns: non significatif.

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Fabiola Flex