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Le futur fragile des écoles internet

Télé-médecine à Castres, sécurité à Bourges… Les villes s’attellent à la formation d’ingénieurs pour soutenir une dynamique locale. Utopies, projets visionnaires ? La suite de notre enquête.

Marseille fait des émules ! Quelques mois à peine après l’ouverture de la première école de l’internet française, baptisée Institut des applications avancées de l’internet, une demi-douzaine de projets similaires sont en gestation : Bourges a ouvert cette année un Master en sécurité informatique et déploiera sa filière “Sciences et technologies de l’information” à la rentrée, tandis que Tourcoing, Castres, Caen ou encore Nîmes espèrent être sur les rangs dès 2003. Des villes qui ont vu dans le blanc-seing donné par Lionel Jospin aux écoles de l’internet, en juillet 2000 à Marseille, c’est-à-dire en pleine euphorie “start-upienne”, leur salut économique.Deux ans et un e-krach plus tard, le réseau est resté synonyme d’Eldorado pour les élus, et les écoles de l’internet des passerelles vers une restructuration industrielle. “Pour conserver nos entreprises textiles, leur donner une vraie valeur ajoutée face à la concurrence asiatique, il faut pouvoir répondre à une demande personnalisée, établie sur le web par le consommateur et livrer dans des délais très courts, analyse Jean-Pierre Balduyck, maire de Tourcoing et député du Nord. Les ingénieurs qui sortiront de notre future école, orientée textile et distribution, sauront faire cela.” Même espoir à Caen où Olivier Lamiraux, chef de projet “école de l’internet”, ne cache pas que “la future formation au net s’inscrit dans la recherche de nouveaux axes de développement pour la ville, déclinante depuis la fermeture des usines Moulinex.”

Liées à l’industrie

Si chaque collectivité locale se flatte d’avoir mandaté les experts idoines pour valider son projet et jure avoir noué des contacts avec les entreprises et universités locales, l’ampleur des enjeux a parfois nui à l’objectivité requise : “Lorsque nous avons été mandatés pour examiner l’opportunité de monter une école de l’internet à Bourges, on nous a fait clairement comprendre que les conclusions ne pouvaient être que favorables à son implantation”, lâche Gilles Laurent Rayssac, directeur général du cabinet de conseil en développement territorial Quat’alyse, avant d’ajouter, beau joueur, que “cette école, axée sur la sécurité, avait de fait sa justification à Bourges, où sont installés l’Aérospatiale et le Centre de formation en informatique de la Délégation générale pour l’armement.” Chaque ville a, il est vrai, pris le parti d’associer à sa future école une spécialisation cohérente avec l’industrie locale : textile à Tourcoing, transports intelligents à Marseille, télé-médecine à Castres…Mais est-il vraiment raisonnable d’installer de nouvelles écoles d’ingénieurs ? Oui, répond le Groupement des écoles de télécoms (GET), impliqué dans plusieurs projets d’écoles de l’internet : “Il manque 60 000 ingénieurs, en particulier dans le domaine des réseaux”, assure Claude Guéguen, son directeur scientifique. “Un chiffre sujet à caution, estime de son côté François Belorgey, rapporteur au Conseil stratégique des technologies de l’information (CSTI), structure qui a validé la Charte des écoles de l’internet (voir encadré). Car il est tiré d’une étude réalisée en 2000 par un cabinet de conseil en informatique [Pierre Audouin Conseil, ndlr], donc partie prenante. Il semble qu’aujourd’hui, au niveau bac + 5, l’offre ne soit pas loin de répondre à la demande.”

Le verdict du marché

Deux ans ont suffi à geler les politiques d’embauche des entreprises : ” Nous n’avons eu qu’une dizaine de demandes d’experts de l’internet sur les douze derniers mois, constate Franck Pasquet, directeur au cabinet de recrutement Michael Page, et les profils demandés ?” des informaticiens teintés web ?” sont désormais pourvus par les formations d’ingénieurs traditionnelles, toutes passées à l’ère des réseaux.” Nul besoin d’écoles de l’internet, donc ? “Leur positionnement, au carrefour des métiers techniques et commerciaux, répondra, peut-être, après la crise, à de nouveaux développements autour des contenus et des usages”, avance prudemment le recruteur. “Nous ne sommes qu’à la préhistoire de services en ligne, renchérit Denis Lafont, membre du directoire de l’agence web Fi System, l’informatique devient de plus en plus orientée réseaux, ouverte sur l’extérieur ; nous allons avoir besoin d’ingénieurs capables d’adapter les systèmes d’information à chaque contexte, à chaque besoin d’utilisation. Les écoles de l’internet devraient y pourvoir.” Confirmation dans moins d’un an, avec l’arrivée sur le marché des premiers diplômés de l’école de Marseille…

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Sophie Janvier-Godat