Passer au contenu

Le dégroupage américain escamoté par les Baby Bells

Les opérateurs alternatifs américains ont tous fait faillite. L’accès DSL est désormais dominé par les opérateurs historiques, qui détiennent aujourd’hui près de 84 % de parts du marché national.

En l’espace de six mois, la concurrence sur le marché du DSL nord-américain a pratiquement disparu, avec les faillites successives de NorthPoint Communications, Rythms Net Connections et, finalement, Covad. Les grands vainqueurs sont les opérateurs historiques, les fameuses Baby Bells (SBC, Verizon et BellSouth). Ils dominent désormais l’accès DSL, avec près de 84 % de parts de marché, selon le cabinet TeleChoice.Ce monopole de fait leur a permis d’instaurer des augmentations de prix, jusqu’à 25 %, sur leur offre d’accès de base, tout en retardant la mise en place de services à valeur ajoutée comme la voix sur DSL. En effet, ce dernier viendrait concurrencer leur offre voix traditionnelle, leur principale source de revenus et de profits. Mais cet échec de la déréglementation américaine pour le déploiement des services d’accès à large bande était couru d’avance. “La FCC n’a rien imposé aux Baby Bells, qui étaient livrées à elles-mêmes pour assurer le dégroupage et l’accès à leurs lignes téléphoniques vers l’utilisateur. Cela a conduit à de nombreux excès”, affirme Hans-Erhard Reiter, responsable au DSL Forum.

Le DSL dans tous ses états

Contrairement aux communications voix longue distance, les opérateurs historiques fixaient les tarifs d’accès à leur infrastructure pour les services DSL. En Californie, par exemple, alors que Pacific Bell proposait son offre DSL grand public à 40 $, il n’hésitait pas à facturer près de 30 $ aux autres opérateurs pour l’interconnexion.“Pour survivre, il nous faudrait ensuite revendre l’accès DSL à 60 $. C’est impossible car nous perdrions tous en faveur de PacBell”, se lamente Hossein Farmani, président d’aNet Communications, un petit FAI (fournisseur d’accès à Internet) de Los Angeles. Ce dernier fait d’ailleurs partie des nombreux FAI californiens à s’être plaints de cette situation à l’autorité de régulation locale. Les délais dans l’installation des lignes DSL ont également été sous-estimés. “La loi oblige seulement les opérateurs historiques à ouvrir l’accès à leur infrastructure régionale, sans pour autant fixer de délai maximal pour la mise en place de cet accès”, insiste Zeus Kerravala, analyste au Yankee Group. C’était ainsi devenu une pratique courante, pour ces opérateurs historiques, de prendre plusieurs mois pour installer une malheureuse prise chez l’utilisateur final, en se retranchant derrière la complexité de la man?”uvre. Les fournisseurs d’accès DSL, tel Covad, n’avaient pas d’autres choix que d’attendre et de se plaindre auprès des gouvernements locaux de la mauvaise volonté des opérateurs. D’ailleurs, certains États américains, comme ceux de New York ou de l’Illinois, imposent désormais des amendes, qui peuvent atteindre plusieurs centaines de millions de dollars par an, aux opérateurs coupables d’une attitude anticoncurrentielle. Certains États envisagent même de diviser à nouveau les Baby Bells, afin de séparer leur infrastructure de leurs activités de vente et de services. Une action que l’état du Maryland pourrait voter l’année prochaine. Mais, jusqu’à présent, les opérateurs ont réussi à retarder l’échéance.

Chronique d’un échec annoncé

Pour éviter d’en arriver là, le californien PacBell a créé une filiale indépendante, Advanced Services, qui assure la vente en gros des lignes DSL aux autres FAI de la région. Mais, dans la pratique, le client final se retrouve avec le FAI de l’opérateur, PacBell Internet, aux dépens des autres FAI indépendants. La disparition des start-up DSL, comme Covad ou Rythms, n’est pas seulement due à la mauvaise volonté des opérateurs ni à leur monopole sur l’infrastructure. “Économiquement, ce n’était tout simplement pas viable. D’abord, aucune industrie n’a survécu en ne vendant qu’un seul produit, et, pour ces entreprises, cela se résumait à l’accès DSL. Ensuite, le coût d’acquisition atteignait 2 000 $ par utilisateur. Et, même s’ils pouvaient facturer 150 $ par mois, il aurait fallu plus de quarante mois pour rentabiliser la ligne, alors que la durée typique de la relation avec un client est d’environ trente-six mois. Sans espoir de gagner de l’argent, le projet était naturellement voué à l’échec”, rappelle Tony Abate, de Battery Ventures, société de capital-risque.Malgré les récentes faillites, les Baby Bells ne sont cependant pas les seules à offrir l’accès DSL aux États-Unis. AT&T, qui a racheté l’équipement de feu NorthPoint installé dans près de deux mille CO (Central offices), et Qwest sont deux sérieux concurrents, avec une couverture nationale. Récemment, Qwest a signé un contrat avec AOL et MSN, qui offriront des accès DSL résidentiels. Il existe aussi plusieurs acteurs régionaux, (Focal Communications, New Edge Networks, Time Warner Telecom, ou XO Communications) qui se concentrent plus sur les accès DSL professionnels pour PME-PMI. Sur ce marché, la technologie ADSL possède une longueur d’avance sur le SDSL. “D’une part, les PME qui n’hébergent pas elles-mêmes leurs serveurs Web choisissent souvent l’ADSL car il est moins cher.D’autre part, SDSL n’est pas un standard et disparaîtra rapidement au profit du G.SHDSL dès que les nouveaux équipements seront disponibles. L’Europe fera de même puisque les opérateurs ont réussi à bloquer le déploiement du SDSL en invoquant des problèmes d’interférence”, insiste Dave Burstein, spécialiste du marché DSL américain et éditeur du site DSL Prime.Désormais, le marché du DSL connaît un certain ralentissement en raison des nombreuses faillites. Les utilisateurs ont été nombreux à être coupés sans se voir proposer d’offre de migration rapide vers un autre opérateur DSL, tandis que d’autres clients ont tout simplement opté pour une autre technologie (câble, radio ou satellite). Les États-Unis comptent déjà près de 3,3 millions de lignes DSL, et les analystes de TeleChoice prédisent que ce chiffre atteindra 13,9 millions en 2004.

Nortel est le seul à être totalement sorti du DSL

“Les opérateurs historiques enregistrent environ cinq cent mille nouveaux clients par trimestre pour leur service DSL”, confirme Dan Reingold, analyste chez Credit Suisse First Boston. Et les premiers à en avoir profité sont les équipementiers comme Alcatel ou Cisco, principaux fournisseurs de DSLam aux États-Unis. “Nortel est le seul à être totalement sorti du DSL. Les autres ont externalisé leur production de modems DSL, qui est devenue un marché de masse à l’instar des téléphones mobiles ou des PC. Sur ce marché, les Taïwanais sont bien mieux placés”, conclut Gary Morgenthaler, président de la firme de capital-risque du même nom.* dans la Silicon Valley

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Jean-Baptiste Su*