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Le contenu éditorial devient le pétrole de la Net économie

Le commerce électronique dématérialise l’acte de vente. Pour contrebalancer ce problème, les vendeurs doivent ” tchatcher “, c’est-à-dire communiquer. D’où une surenchère en contenu éditorial (textes, photos, maquette et vidéo), qui se traduit par une course à l’audience prenant des allures de guerre économique.

Prise de contrôle de Time Warner et d’EMI par AOL ; rapprochement de Vivendi et de Vodafone Air Touch ; ouverture de News Corp. (Ruppert Murdoch) à TF1 et à Vivendi… La guerre du contenu éditorial ne fait que commencer. L’enjeu : contrôler les ” tuyaux “, le contenu culturel ou informationnel, la publicité et le commerce électronique. Sur la base de soixante-dix millions d’abonnés au téléphone, à la télévision et à Internet, l’ambition de l’alliance Vivendi-Vodafone est “de battre tous les Yahoo!, de devenir le premier portail européen adapté à la deuxième génération d’Internet : celle où Internet sera accessible de tous les écrans et pourra véhiculer de l’image “, déclarait Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi.
Bref, à l’heure du commerce électronique, pour compenser l’absence de vendeurs en chair et en os, il faut informer, décrire, photographier les produits, les scénariser et les réactualiser en permanence avec un bon argumentaire dans une mise en page alléchante.
Ce contenu éditorial devient le pétrole de la Net économie, l’objet de toutes les convoitises. Et aussi de sulfureuses collusions entre information de libre expression journalistique, communications publicitaires présentées abusivement comme de l’information et commerce électronique.
La principale raison : “La guerre du contenu. C’est la course à l’audience. Et, l’audience, c’est la zone de chalandise sur Internet“, estime Diaa Elyaacoubi, cofondatrice d’e-Brands, une agence conseil qui combine analyse marketing, positionnement des marques et moyens technologiques à mettre en ?”uvre pour les sites commerçants. Derrière les grandes annonces de la sphère financière, le paysage éditorial d’Internet vit une recomposition fondamentale. En effet, même lorsqu’ils se déclinent sur le Web, les médias de la presse traditionnelle voient leur périmètre concurrentiel considérablement élargi.
Ténors de la grande distribution, sites d’affiliation, sites d’e-mails gratuits, portails de moteurs de recherche, portails de communautaires B to B, agrégateurs d’information et fils des cabinets de relations de presse… Autant de nouveaux acteurs qui attaquent les médias sur leur c?”ur de métier : le contenu, le marché publicitaire, les petites annonces d’emploi, et l'” info produit “. Mais la confusion atteint son comble avec les cabinets de relations de presse, qui, de plus en plus nombreux, n’hésitent plus à s’intituler agence de presse de tel annonceur. Rappelons que ces cabinets ont pour vocation de vendre aux annonceurs des services de communication – donc de nature publicitaire -, à savoir des communiqués de presse, des conférences de presse ou des événementiels, en les diffusant gratuitement aux journalistes.

Les sites médias ne doivent pas devenir des boutiques

Fait récent, certaines agences de relations de presse comme PersNews, PRLine ou Cypérus vont jusqu’à diffuser gratuitement des fils quotidiens de communiqués. “En dehors de Cypérus, ils sont d’une agressivité qui frise l’incorrection. Ensuite, ils essaient de nous vendre des prestations très chères, comme de la diffusion vidéo “, avertit Christian Petit, directeur marketing groupe de Cross Systems, spécialisé dans l’Internet mobile.
Entre “info” et “intox”, il y a de quoi perdre son latin. Et, on s’en doute, cet environnement concurrentiel soulève de très nombreuses questions : les sites médias de presse vont-ils concurrencer à leur tour les sites commerciaux, et devenir ainsi des boutiques ? Les professionnels de la presse ont-ils encore vraiment leur place dans le paysage éditorial d’Internet face à des sites qui, à l’instar d’houra. fr, transforment des responsables de boutique en rédacteurs ? Quel sera le poids de la communication commerciale – qui fait vendre, face à l’information de libre opinion, qui peut faire fuir les annonceurs ?
Nous sommes un site éditorial, affirme Laurent Maury, directeur délégué de 01net. fr (Vivendi). Les journalistes sont des “psychorigides” sur tout ce qui touche au contenu objectif. Et tant mieux ! En presse écrite, les règles déontologiques sont strictes. Internet les casse. Mais ce n’est pas une raison pour ouvrir la porte à n’importe quelle exploitation commerciale. Notre modèle économique est celui de l’information gratuite, rémunérée par la pub. En particulier le bandeau, qui est un modèle linéaire. En fait, nous vendons du CMM (coût moyen au mille), qui vaut, sur le marché, de 100 à 450 francs en fonction des pages vues. Cela génère peu de recettes. En revanche, l’espace publicitaire dépend énormément de l’audience. Plus celle-ci est élevée, plus on peut vendre de campagnes publicitaires. Et cette année, pour la première fois, tous les annonceurs ont un budget pour le Web.”

Reste que, sous l’influence de sites commerçants et de professionnels de la communication, dont le nombre ne cesse d’augmenter, la confusion des genres bat son plein. Les grands éditeurs de presse tiennent, sur ce point, un discours similaire : “A chacun son métier. La distance entre l’éditorial pur et la Carte Bleue doit être la plus longue possible. C’est l’intérêt de chacun. Plus vous empiétez sur les services des autres, plus vous risquez de mal le faire. Notre modèle économique consiste essentiellement à générer des recettes publicitaires en publiant de l’information à la télé, dans la presse, sur le Web ou sur le WAP… “, vitupère Julien Jacob, directeur de ZDnet France (Ziff Davis). Il précise également : “Quand on offre aux internautes des explications sur les nouvelles technologies avec des comparatifs issus du laboratoire de tests et des témoignages d’utilisateurs, à un moment donné, le lecteur veut acheter le produit. Du coup, on passe la main à kelkoo. com, qui agrège les sites de revendeurs et permet de comparer les prix. A son tour, kelkoo passe la main aux revendeurs. Toute notre crédibilité est assise sur l’objectivité de l’information.
Une chose est sûre, la concurrence éditoriale sur Internet engendre de nouvelles pratiques dans l’édition de contenu. A commencer par la valeur ajoutée technologique. Témoins, les “e-brokers” (sites de Bourse en ligne) comme e-Trade, SelfTrade, Fimatex ou Capitol éditent de l’actualité et des analyses financières – souvent excellentes – afin de faciliter le trading grand public, et de se rémunérer au passage en prélevant des commissions sur les ordres de Bourse. “On ne peut pas vendre des commissions sans divulguer de l’info. Notre originalité, c’est les valeurs européennes et l’agenda des introductions européennes, avec la possibilité de réserver des achats en franco de courtage, lance Dominique Velter, présidente de Capitol. Et nous avons le premier Web Call Center en Europe sur ce marché. Un client peut dialoguer en direct via le “chat”, et il reçoit une réponse instantanée. Avec Voix sur IP, il peut discuter avec un chargé d’affaires.” Côté cour, l’équipe de trois analystes publie deux éditions par jour. Mais, à la différence des journalistes, ils ne vont jamais sur le terrain…

La guerre des salaires bat son plein

Il n’empêche. Cette concurrence hors média pose question aux éditeurs de presse et… même aux fournisseurs ! “Nos ennemis ne sont pas le Nasdaq, la Bourse de Londres ou de Paris, mais plutôt des sites comme AOL ou Yahoo!“, commente Georges Ugeux, responsable des relations internationales au Nyse (New York Stock Exchange, la Bourse de Wall Street). Une menace qui pèse également sur les grandes enseignes de la distribution. “Elles risquent de perdre la possibilité stratégique d’être un point d’entrée privilégié pour les clients. Dans ce contexte, le contenu éditorial n’est peut-être qu’un élément, mais il est essentiel “, avertit Diaa Elyaacoubi.
Et force est de constater que la plupart des sites marchands bricolent le contenu avec des équipes de moins de dix personnes. A une exception près : les 3Suisses, qui ont investi 75 millions de francs dans la construction de la Cité numérique. Celle-ci rassemble, près de Lille, tous les métiers de la création de Web et de multimédia afin d’offrir ses services en sous-traitance. L’enseigne va jusqu’à financer un service de recherche-développement en e-commerce.
Comme pour le pétrole, la quête de ressources éditoriales prend des allures de guerre économique. L’Américain GlobalNet, qui développe des sites d’information boursière dans toute l’Europe “ pour localiser l’information “, n’hésite pas à débaucher les journalistes chevronnés en les payant deux fois, voire trois fois plus cher que dans la presse. “Notre problème, c’est de garder nos équipes, reconna”t Julien Jacob. Certains de nos collaborateurs ont pu tripler leur salaire en deux ans, car ils ont pris très rapidement des responsabilités.

La chasse à l’information gratuite

Conséquence prévisible, les médias ne pourront pas tenir longtemps avec des équipes qui se vident de leur sang à cause de salaires trop bas. Surtout les journaux papier. “D’autant que l’on se moque de la carte de presse. Ce qui compte, c’est le fric ! “, avoue un jeune journaliste passé dans le camp du Web commercial. On peut le comprendre : 1 500 francs nets la journée pour un rédacteur débutant, c’est alléchant ! Et les sites de commerce électronique comptent bien exploiter cette hémorragie sociale, car la demande en compétences est furieusement plus importante que l’offre. Du jamais vu !
En parallèle, pour calmer ce jeu inflationniste sur les salaires, la chasse au contenu gratuit excite les partenariats de rediffusion qui se multiplient entre sites médias et moteurs de recherche, sites d’e-mails gratuits, portails communautaires, ou encore, agrégateurs de contenu, comme Net2One, Nfactory ou Mediapps. Objectif : structurer et élargir l’audience. “Nous allons livrer sur des portails et des intranets d’entreprise jusqu’à vingt mille sources d’information. Et 70 % d’entre elles seront gratuites. Mais, d’ici à deux ans, ce rapport devrait s’inverser, parce que les gens vont prendre l’habitude de consommer de l’information avec Internet. Et il va bien falloir compenser un jour la baisse des ventes du papier par la vente en ligne “, confie Benjamin Caller, directeur marketing et communication de Mediapps, qui a gagné 4 millions de francs en neuf mois avec ses logiciels de portail et ses abonnements en intranet. “On est sûr de diffuser le contenu d’une source à une personne qui s’y intéresse. A terme, le journaliste touchera 100 % des lecteurs intéressés.
L’infomédiation attire la concurrence. Dernière en date à s’y livrer, en France, Presse+, connue jusqu’ici pour ses revues de presse destinées aux entreprises, se lance dans la diffusion de sources d’information personnalisées sur les intranets d’entreprise et d’administration : “Mes clients ont des besoins de plus en plus larges en termes d’information de presse, et il y a de plus en plus de médias. Dans le même temps, ils ont de moins en moins le loisir de la traiter. Les entreprises repensent les modalités d’information de leurs collaborateurs, analyse Thierry Delahaie, le PDG de Presse+. Le management et le middle management sont très demandeurs. C’est une occasion très importante comparée à la situation où seuls les managers de haut niveau étaient informés. Plus ces collaborateurs seront au contact de l’information, et plus on aura de chances de développer une culture de consommation de l’information et plus ils seront acheteurs. C’est une opportunité à saisir rapidement pour les producteurs de contenu en langue française. Sous peine de perdre des parts de marché face aux contenus anglo-saxon, asiatique ou sud-américain.

Les médias face aux infomédiaires

Dans ce paysage, qui gagne quoi ? Les “infomédiaires”, nouveaux commerçants d’information et de communication, vendent leurs technologies propriétaires et prélèvent une commission sur les abonnements payants. Par exemple, Mediapps vend aux alentours de 25 000 francs son serveur d’agrégation pour intranets et prend de 5 à 50 % de commission sur les abonnements payants qu’elle diffuse. De leur côté, les médias développent leur audience : “ Nous avons des partenariats de rediffusion avec AOL, Excite, Yahoo!, Lycos et d’autres sont en cours. C’est du troc. Nous donnons le titre et l’accroche, et le site renvoie l’audience chez nous pour consulter l’intégralité de l’article. Tout le monde est gagnant. Nous avons en tout une cinquantaine de partenariats, reprend Julien Jacob. Aujourd’hui, nous ne travaillons avec personne pour diffuser nos informations dans les intranets d’entreprise. Mais nous discutons avec tous les acteurs. Tous les groupes de presse republient leurs archives dans des bases de données et les font payer. C’est un marché classique. Comme on entre dans l’entreprise, on ne peut pas vendre de la pub. Alors, on vend les articles à la pièce – de 25 centimes à 5 000 francs. L’intranet est un nouvel espace de vente, qui offre un meilleur contrôle de la diffusion. Quand un papier est consommé cent cinquante fois, on le sait. Fini le “photocopillage”.”

A y regarder de plus près, ces négociations ne sont pas si simples. Certains infomédiaires comme Net2One ont aspiré des sites entiers pour les remettre en forme et en vendre, à bon compte, le contenu… “Les infomédiaires nous posent des problèmes, explique Laurent Maury, de 01net. fr. J’ai rencontré le patron de Net2One. Il collecte de l’information sur les sites Web, puis il en fait des newsboards, et il les revend dans le dos des éditeurs… ” Plus délicat : lorsque l’infomédiaire diffuse les informations sur des intranets, pas question d’y mettre de la publicité. Dans ce cas, le partenariat se fait sur la base de la revente d’articles à la pièce. Ce qui pose des problèmes de ” pricing ” et de comptage des clics. Mais les choses avancent vite : “Nous sommes en train de développer une technologie de comptage pour savoir qui consulte quoi”, dévoile Thierry Delahaie, de Presse+.

La technologie reste en retard

Encore embryonnaire, un nouveau marché technologique s’ouvre : celui du Web Content Management. “Il n’y a pas d’offre cohérente, malgré la présence d’une centaine d’offreurs. Il y a, d’un côté, des outils qui s’apparentent à la gestion documentaire (Documentum, Broadvision, Vignette, etc. ) ; et, de l’autre, des outils de gestion des ventes. Mais, le problème, c’est que les deux ne sont pas liés “, explique Christopher Harris-Jones, chargé de recherche au cabinet d’analyse Ovum, qui vient de publier la première étude du genre sur ce sujet.
D’autres outils, fort précieux, existent. Citons le système collaboratif de publication sur Web et intranet du Français InStranet et l’outil de l’Américain Keynote, qui dispose d’un réseau unique au monde de neuf cents ordinateurs. Ces derniers mesurent, à une cadence allant de cinq minutes à une heure, l’accessibilité aux sites Web.
Si l’affichage complet de la page ne se fait pas dans les huit secondes, l’internaute fuit. En France, on compte entre neuf et onze secondes ! C’est dire s’il y a du chemin à parcourir, souligne Olivier Carron de la Carrière, le vice-président Europe de Keynote. Ce qui fait la différence entre les sites, c’est donc la qualité de service. L’utilisateur doit vraiment avoir la sensation que l’on s’occupe de lui. Côté webmestre, on va dire : c’est votre serveur qui flanche, votre réseau d’accès, votre base de données, votre maquette ou votre organisation informationnelle. Certes, de bonnes performances n’augmentent pas le business. Mais de mauvaises performances le tuent.
Dans le maelström de l’information en continu, “la pression sur le journaliste va s’accentuer. Il devra encore mieux vérifier ses informations et établir un dialogue direct avec son public, prophétise Walter Bender, directeur associé du Media Laboratory au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Avec Internet, le travail d’analyse et de commentaire des journalistes sera de plus en plus nécessaire”

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Erick Haehnsen