Passer au contenu

Le Conseil d’État veut relier le numérique et les droits fondamentaux

La haute juridiction fait 50 propositions destinées à garantir les libertés tout en préservant l’innovation numérique.

La rentrée littéraire est dense. Après les récents best-sellers, le Conseil d’État a présenté son rapport annuel intitulé « Le numérique et les droits fondamentaux ». Un ouvrage conséquent de près de 500 pages. Comme nous l’expliquait Jacky Richard, président adjoint et rapporteur général de la section du rapport et des études, il était difficile de faire moins. Ainsi, le Conseil d’État a rédigé 50 propositions pour tenter d’appréhender les bouleversements qu’exerce le numérique sur l’économie française et notre société.

« Il était important de travailler sur ce sujet 35 ans après la création de la loi Informatique et Libertés », a indiqué Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État lors de la présentation du document. « Internet est ambivalent avec les droits fondamentaux. Si la Toile nous ouvre à la culture et à l’information, elle présente désormais des risques de discrimination, d’atteinte à la vie privée ou de pratiques anticoncurrentielles. Nous devons désormais enrichir le catalogue des droits fondamentaux. »

Ces propositions font un tour de table plutôt complet des enjeux auquel la France et l’Europe doivent faire face. Le principal enjeu de ce rapport est de proposer des mesures qui n’opposent pas les libertés fondamentales à l’innovation ou à l’économie. Une démarche intéressante, mais qui parfois, contraint à réaliser un véritable numéro d’équilibriste.

Protection des données : un droit à l’autodétermination

La protection des données est l’un des dossiers les plus brulants du rapport. Dans sa proposition numéro un, le Conseil d’État prend une position plutôt originale qui va à l’encontre de ce qui se dit généralement.

« Le droit à la protection des données personnelles [est considéré par le Conseil d’Etat, NDR] comme un droit à l’autodétermination informationnelle, plutôt que comme un droit de propriété, c’est-à-dire « le droit de l’individu de décider de la communication et de l’utilisation de ses données à caractère personnel ».

Cette proposition s’appuie sur un cadre légal : « En l’état du droit, il n’existe pas de droit de propriété de l’individu sur ses données personnelles, mais un dispositif juridique de droits attachés à la personne. Il convient d’écarter l’introduction d’une logique patrimoniale dans la protection des données personnelles, car il n’est certainement pas souhaitable que l’individu, par l’exercice du droit d’aliénation, renonce à toute protection de ses données personnelles. »

Neutralité pour les uns, loyauté pour les autres

Une autre proposition sensible concerne la neutralité d’Internet. Le sujet est épineux car, selon les cas, ce sujet prend un aspect soit philosophique, soit purement économique. Cette fois, le Conseil d’Etat tente de ménager la chèvre et le chou.

D’un côté, il admet que ce principe « le principe selon lequel l’ensemble du trafic Internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application ». En bref, il permet à chacun d’émettre et de recevoir des contenus dans les mêmes conditions.

Toutefois, l’administration ajoute que « tout comme le principe d’égalité, qui admet des différences de traitement lorsqu’elles sont justifiées par des différences de situation ou par un motif d’intérêt général, le principe de neutralité du Net doit laisser aux opérateurs de communications des espaces de différenciation. »

Les opérateurs télécoms ne sont pas les seuls à être concernés par la neutralité. Les plateformes, comme Google, le sont aussi et pour elle, le Conseil d’Etat recommande la création d’une nouvelle catégorie. « Ne pouvant être soumises à la même obligation de neutralité que les opérateurs de communications électroniques, elles devraient plutôt se conformer à une obligation de loyauté envers leurs utilisateurs. » Le texte insiste aussi sur la nécessité de « prendre la mesure du rôle joué par les algorithmes et concevoir l’encadrement de leur utilisation ».

Enfin, sur le droit au déréférencement, qui a été promulgué par la cour de justice de l’Union européenne avec l’affaire Google Spain, le Conseil d’Etat recommande « de donner à la Cnil et à l’ensemble des autorités de protection des données européennes une mission explicite de promotion des technologies renforçant la maîtrise des personnes sur l’utilisation de leurs données ».

Pour Axelle Lemaire, ce rapport arrive à point nommé

Quelques réactions ont déjà été faites sur ces propositions. Pour Christine Balagué, vice-présidente libertés et droits fondamentaux au sein du Conseil national du numérique : « Cette étude est un signal fort adressé aux législateurs européens et nationaux. Nous devons renouveler les cadres de pensée et concourir à ce que l’espace numérique repose sur un modèle économique et sociétal des données, à la fois ouvert et soutenable, qui permette de préserver la souveraineté des Etats ».

Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, a également accueilli favorablement ce rapport. « C’est un document approfondi dont la publication arrive à point nommé puisqu’elle précède de quelques semaines le lancement de la concertation sur les enjeux du numérique par le Premier ministre », a-t-elle expliqué à l’AFP.

Elle « trouve intéressante l’idée de la maîtrise individuelle des données avec le principe d’un droit à l’autodétermination ». Pour ce qui est des algorithmes, Mme Lemaire voudrait porter au niveau européen « la question de leur possible encadrement, ou au moins s’assurer que sont préservées autant la liberté d’entreprendre que la liberté d’expression et d’information ».

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Pascal Samama