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Le Canadien Nortel emblème d’un secteur sinistré

Après Lucent en fin 2000, c’est au tour de l’équipementier canadien de chuter. En cause, l’arrêt des commandes des opérateurs, notamment dans les infrastructures optiques, clé de voûte de sa stratégie.

Nortel n’en finit plus de plonger. Les résultats de son troisième trimestre montrent, une fois de plus, que tous les clignotants sont au rouge : vingt mille emplois supplémentaires supprimés, une perte moins abyssale que celle du deuxième trimestre, mais qui atteint quand même 3,47 milliards de dollars (19,2 milliards trois mois plus tôt), et un chiffre d’affaires en chute de 45 %. Il y a un an, c’était l’Américain Lucent qui entamait sa descente aux enfers. Depuis, la situation ne s’est guère améliorée. Ses dirigeants ont même pensé vendre la société à Alcatel pour sortir de l’impasse.En fait, tout le secteur est sinistré. L’ère Nortel n’aura duré qu’un peu plus d’un an. Classé en 2000 premier équipementier télécoms après la déroute de Lucent et premier fournisseur d’équipements pour réseaux optiques, il n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même. A l’issue des différentes vagues de licenciements, la société ne comptera plus que quarante-cinq mille personnes : moins de la moitié des effectifs d’il y a un an (quatre-vingt-quatorze mille cinq cents). Les énormes frais de structuration expliquent en partie le gouffre financier dans lequel il s’enfonce. Quant au chiffre d’affaires, il traduit bien la chute de Nortel. Amorcée dès le premier trimestre 2001 ?” 6,18 millions de dollars de recettes, contre 6,32 millions en 2000 ?” elle s’accélère au deuxième trimestre ?” 4,61 milliards de dollars contre, 7,21 milliards ?” pour se confirmer au troisième trimestre, avec 3,69 milliards de dollars, contre 6,73 milliards.

Abandon du DSL et de la boucle locale radio

Face à ce ralentissement brutal, le constructeur canadien jette par-dessus bord tout ce qui peut l’alourdir. Dernier exemple en date, la revente à l’Israélien Amdocs de Clarify, éditeur de logiciels de gestion de la relation client, pour le dixième de son prix d’achat : 200 millions de dollars contre 2,1 milliards versés en octobre 1999. A cette époque, en pleine euphorie, Nortel voyait grand. Non content de proposer l’ensemble de la gamme des équipements réseaux, il voulait aussi offrir une solution complète, y compris des applications métier. Avec la facturation, la gestion de la relation client était jugée capitale par les opérateurs, lancés dans une concurrence effrénée et cherchant autant à retenir les abonnés qu’à en séduire de nouveaux. Dans le même ordre d’idées, Lucent avait acquis un peu plus tôt Kenan, éditeur de logiciels de facturation. Il chercherait également à le revendre.Le recentrage du constructeur sur ses métiers de base va même beaucoup plus loin. Comme tous ses concurrents, Nortel sous-traite tant et plus les activités de fabrication et de distribution, comme en témoigne la vente tout récente de Matra Nortel Communication Distribution au Français Spie. Il taille dans le vif, y compris dans son c?”ur de métier. Se concentrant sur les infrastructures optiques, les réseaux pour mobiles et “l’internet intelligent”, c’est-à-dire, plus banalement, les services sur réseaux IP (qualité de service, sécurité, filtrage, etc.), il se retire des secteurs où il n’a pas percé. Il a donc abandonné celui de la boucle locale à haut débit, d’abord le DSL, puis la boucle locale radio. Il prévoit de se séparer, dans les douze mois, de sa ligne de produits CVX (accès commuté à haut débit, voix sur IP, réseaux privés virtuels, etc.).

Optique et mobiles 3G : deux axes stratégiques mal en point

Alors que la déroute de Lucent est davantage imputable à des erreurs stratégiques qu’à la situation du marché, paradoxalement, c’est la force de Nortel en 1999 et 2000 qui a fait sa faiblesse en 2001. “Ces dernières années, il a misé à fond sur l’optique, et notamment sur le 10 Gbit/s, explique Jean-Charles Doineau, responsable du pôle Equipements au sein de la cellule Analyse industrielle de l’Idate. Résultat, dans un premier temps, les commandes ont afflué. Aujourd’hui, les réseaux sont en surcapacité et les opérateurs connaissent des difficultés financières. Le constructeur a donc fermé le robinet des investissements. Ce qui l’a immédiatement précipité dans le rouge.” Quant à l’autre axe de sa stratégie, les mobiles de troisième génération, il est loin de générer des revenus. “Certes des contrats ont été signés cette année, mais les commandes fermes n’ont pas suivi. Là encore, les opérateurs ne sont pas pressés. Ils vont d’abord se concentrer sur le GSM et le GPRS, principales sources de revenus”, ajoute Jean-Charles Doineau. Or, si le constructeur canadien a fait le forcing pour être bien placé dans la course aux réseaux 3G ?” encore qu’il soit largement distancé par Nokia ?”, il est loin d’être un fournisseur majeur dans les réseaux 2,5 G et 2,5 G+ (GSM et GPRS).

Fini les grandes man?”uvres, on serre les boulons

Reste donc à savoir combien de temps Nortel va pouvoir tenir en attendant une reprise qui s’éloigne toujours plus. Hormis John Chambers, le patron de Cisco, qui voit des signes sinon d’embellie, du moins d’un arrêt de la dégradation de la situation, personne ne pèche par optimisme. Indice qui ne trompe pas : le PDG de Nortel, John Roth, qui avait déclaré vouloir se retirer en 2002, cède son fauteuil plus vite que prévu. C’est le directeur financier, Frank Dunn, qui le remplace. Plus question de grandes man?”uvres technologiques. On serre les boulons.Dans cette crise, les Nord-Américains sont les plus touchés : Nortel, Lucent, mais aussi Motorola, dans le rouge pour le troisième trimestre consécutif et qui licencie sept mille personnes de plus (soit trente-neuf mille au total). Leurs homologues européens souffrent aussi. Ericsson a licencié vingt mille personnes. Alcatel écrème ?” seize mille personnes, dont trois mille récemment dans le secteur optique. Siemens annonce sept mille suppressions de postes (s’ajoutant aux sept mille six cents de mai dernier) et va diviser par deux le nombre de ses usines.Pourtant, hormis Marconi, qui semble sortir du coma profond, ils n’en sont pas aux dernières extrémités, comme de l’autre côté de Atlantique, où les effectifs ont été divisés par deux. “Il ne faut pas s’y tromper : la différence de situation tient surtout à la nature des marchés, modère Neil Rickard, analyste du Gartner. Celui-ci est beaucoup plus réactif et brutal aux Etats-Unis qu’en Europe, où les règles en matière d’emploi sont largement plus contraignantes. Du coup, au moment de la reprise, les constructeurs européens ne seront pas aussi profondément restructurés que leurs rivaux américains, très affûtés.” Pour Jean-Charles Doineau, l’explication tient surtout au fait que “les Européens sont principalement adossés aux opérateurs historiques, qui résistent mieux que les nouveaux entrants, sur lesquels Nortel, notamment, a jeté son dévolu. “.

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Jean-Pierre Soulès