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Le business des jeux gratuits

Les jeux gratuits à contenu additionnel payant se multiplient. Vous ne payez que si vous le voulez. Comment les éditeurs rentabilisent-ils leurs investissements ?

En 2009, l’éditeur allemand Frogster Interactive lançait l’adaptation européenne de Runes of Magic, un jeu de rôle massivement multijoueur (MMORPG), développé par le taïwanais Runewaker Entertainment. Sa particularité ? Malgré un coût de développement de plusieurs millions d’euros, il est totalement gratuit. C’est en Asie que le concept de jeu gratuit, plus communément appelé free to play ou F2P, a vu le jour. Le principe est simple, le joueur télécharge le client du jeu sur son ordinateur et peut ensuite accéder à l’intégralité de son contenu en ligne. Comment dans ces conditions, le développeur parvient-il à rentabiliser son investissement ? Par un système terriblement efficace, la vente de contenu, ou item selling en anglais. Les free to play se répartissent en deux catégories. D’un côté, ceux qui monétisent du contenu destiné à améliorer le confort de jeu ou à accélérer la progression de son avatar ; de l’autre, ceux pour lesquels le micropaiement permet de prendre un avantage sur les adversaires. Runes of Magic, développé par Frogster, fait partie de la première catégorie, comme tous les MMORPG et jeux d’action en ligne gratuits (Allods Online, de Gala Networks, Perfect World de BPW, Battlefield Heroes de EA Games…). Chaque joueur peut accéder à l’intégralité du contenu du jeu sans débourser le moindre centime. En payant quelques euros, il obtient des “ diamants ”, qu’il peut échanger contre divers objets. Il peut s’agir d’une monture exclusive qu’il conservera définitivement, de vêtements originaux, de meubles rares pour orner l’intérieur de sa demeure… Bref, des accessoires utiles ou futiles, mais jamais indispensables. Et pourtant, ça marche ! D’après Sébastien Pacetti de Frogster et Nicolas Pajot de Gala Networks, entre 8 et 20 % des joueurs de F2P acceptent de payer pour obtenir du contenu supplémentaire, suivant le type de jeu. Plus étonnant, ces derniers dépensent chaque mois en moyenne 20 euros. C’est presque deux fois le prix de l’abonnement mensuel à un MMORPG payant, tel que World of Warcraft ! Lorsque Frogster a lancé la version européenne du jeu de rôle en ligne Bounty Bay, le jeu fonctionnait avec un système d’abonnement classique.

La course au large en temps réel

Après quelques mois, les dirigeants de la société ont décidé d’expérimenter une version gratuite du jeu, assortie d’une option d’item selling sur un serveur spécifique. En un mois, il a généré plus de revenus que tous les serveurs payants réunis. Frogster n’édite plus que des jeux free to play. Gala Networks via son portail GPotato applique le F2P sur les sept jeux qu’il édite, dont Allods Online, l’un des MMORPG les plus ambitieux du moment, doté d’un budget de 12 millions d’euros. Là encore, le financement est assuré par la vente de contenu optionnel. Les jeux de rôle massivement multijoueurs sont les titres les plus coûteux à concevoir, d’autant que leur développement et leur maintenance se poursuivent durant toute leur durée d’exploitation. Pourtant, le seuil de rentabilité demeure relativement bas. Environ 5 % de joueurs payants suffisent pour garantir l’équilibre financier. Au vu des résultats obtenus par ces nouveaux éditeurs de F2P, on comprend leur optimisme !La seconde catégorie de free to play regroupe les jeux qui permettent aux payeurs d’obtenir des avantages sur les joueurs qui privilégient la gratuité. Certains éditeurs se sont spécialisés dans ce modèle économique. C’est le cas de Many Players. Ce studio de développement français est le créateur de Virtual Regatta, un jeu en ligne qui propose aux fans de voile ou de compétition de participer aux plus grandes courses au large (Vendée Globe, Solitaire du Figaro, Route du Rhum…), en temps réel, c’est-à-dire en même temps que les vrais skippers. Compte tenu de la durée des courses ? certaines se prolongeant plusieurs semaines ?, le jeu propose des accessoires qui se révèlent rapidement indispensables, tels que le pilotage ou le changement de voile automatique. Chaque option est facturée 9,90 euros. S’il est indéniable qu’elles apportent un avantage au joueur, tant en termes de confort que d’efficacité, les adeptes du gratuit peuvent malgré tout remporter la victoire. À condition de faire preuve d’une grande persévérance et d’une implacable détermination. Ainsi, le vainqueur du Vendée Globe virtuel n’a pas voulu débourser un centime pour profiter du jeu. Privé de toute aide à la navigation, il a dû rester connecté durant plus de 80 jours, ne dormant guère plus que les marins eux-mêmes. Récompense de ses efforts, un chèque de 10 000 euros, bien réels, ceux-là.

Impossible de gagner sans acheter !

L’argent et les lots, voilà ce qui attire les amateurs de ce genre de free to play. Et plus les dotations sont importantes, plus le prix des options peut être élevé. Dans le jeu en ligne officiel Roland Garros 2010, développé également par Many Players, les meilleurs joueurs remporteront des invitations pour la finale du tournoi 2011, mais aussi des montres Longines. Ici, pas de secret : pour espérer gagner, l’achat d’accessoires est obligatoire. En effet, l’équipement de base et les points offerts chaque jour pour acquérir du matériel performant ne permettent pas de se hisser au niveau des joueurs les mieux équipés.Quant à savoir quel est le prix moyen déboursé par les joueurs et le pourcentage de ceux qui acceptent de payer pour améliorer leurs chances… la question demeure taboue chez presque tous les éditeurs que nous avons contactés. Philippe Guigné, le fondateur de Many Players, nous confie néanmoins que le chiffre varie beaucoup en fonction du type de jeu mais aussi de la nationalité des joueurs. Ainsi, les pays nordiques dépenseraient jusqu’à vingt fois plus que les Latins pour un même service. Quant aux Français, ils seraient les moins disposés à payer…

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Philippe Fontaine