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L’art du XXIe siècle sera-t-il virtuel ?

En Europe et aux Etats-Unis, une nouvelle génération d’artistes invente, avec des logiciels 3D, des scanners et des outils internet, une curieuse forme d’art: l’oeuvre virtuelle. Après le pop art, le web-art ?

Connaissez-vous Mix Move, Imagina, @rt Ousiders ou Interférences ? En France, ces manifestations, qui permettent à des artistes multimédias d’exposer leurs travaux, se multiplient.On assiste, dans notre pays, à la naissance d’une nouvelle génération d’auteurs, qui utilisent l’internet et la 3D, pour créer des ?”uvres virtuelles. Ces ” web-artistes ” se réclament aussi bien de Marcel Duchamp, le précurseur de l’art contemporain, que du Japonais Miyamoto, le créateur du célèbre jeu vidéo Zelda.Ils ont leurs gourous (le Britannique Fred Forest), leurs revues virtuelles ( panoplie.org), leurs galeries (Connectik à Lyon ou Truxillo à Paris). Signe des temps : le musée d’Art moderne de San Francisco ( sfmoma.org) s’apprête à leur consacrer une première grande exposition en mars.Le web crée-t-il un art nouveau ? Jean-Luc Soret (responsable du service multimédia de la Maison européenne de la photographie et cofondateur avec Henry Chapier du festival @rt Outsiders, consacré aux arts numériques) : N’exagérons pas. On peut sans conteste parler de nouvelle génération de créateurs ?” celle qui est née avec une souris, un joystick ou une télécommande entre les mains ?”, mais le qualificatif d'” avant-garde ” me gêne. En reléguant la peinture au magasin des accessoires périmés, l’art contemporain avait renouvelé depuis belle lurette les moyens d’expression de l’artiste : souvenez-vous de l’urinoir de Marcel Duchamp, érigé en ?”uvre d’art… Par ailleurs, l’irruption des médias dans l’art ne date pas d’hier. N’oublions pas qu’après l’engouement du cinéma expérimental pendant les années 50 et 60, l’art vidéo fleurissait déjà au début des années 70 ! L’utilisation des technologies numériques constitue donc un aboutissement de ces démarches novatrices et non une révolution radicale.Pierre Bongiovanni (directeur du Centre international de la création vidéo Pierre Schaeffer et créateur du festival Interférences de Belfort, consacré aux arts multimédias) : On assiste vraiment à la naissance d’une nouvelle génération d’artistes. Pour sa deuxième édition, le festival d’arts multimédias de Belfort a réuni en décembre dernier 350 artistes provenant de 40 pays. Nous avons présenté 6 spectacles, près de 70 installations, une quarantaine de sites internet. Toutes ces ?”uvres mêlent allègrement vidéo, collages interactifs, arts plastiques, musique et techniques informatiques… Croyez-moi, il a été plus difficile de faire un choix entre les créations que de trouver des artistes ! L’internet ne bouleverse donc pas les données de l’art contemporain? Fred Forest (artiste et théoricien de l’art numérique. Dernier livre paru : Fonctionnement et dysfonctionnement de l’art contemporain, L’Harmattan) : Bien sûr que si ! Créées par un programme informatique, sonorisées, animées, effacées ou reproduites à l’infini, les ?”uvres numériques n’ont plus d’existence “réelle”, comme leurs cousines peintes sur des toiles, dessinées sur le papier, sculptées dans la pierre ou, plus récemment, disposées en “installation” dans les musées et les galeries d’art. Elles abolissent définitivement les frontières entre la réalité et la fiction pour atteindre une nouvelle dimension : la réalité virtuelle. Le fameux cyberespace est, par ailleurs, un milieu dans lequel l’humanité entière est appelée à plus ou moins brève échéance à baigner. Il est donc logique que les artistes, qui sont, avant tout, des empêcheurs de tourner en rond, s’approprient cet espace pour inciter nos contemporains à prendre conscience du monde technologique dans lequel ils sont appelés à vivre… quitte à mettre l’art cul par-dessus tête !Quand l’art multimédia est-il né ? Bruno Samper (web-designer de Panoplie.org, un magazine en ligne dédié aux arts multimédias) : Il y a dix ans. Avec l’apparition de l’internet, des artistes comme Fred Forest ( fredforest.org) ou l’Américain Karl Sims, diplômé en biotechnologies au MIT, ont commencé à réfléchir aux moyens de fabriquer des ?”uvres d’art pour les diffuser sur la Toile ou les voir grandir par la magie de la programmation au sein de l’ordinateur. Mais à l’époque de Pong, le tout premier jeu vidéo, les outils de création de ” l’artiste numérique ” étaient encore rudimentaires. Puis la technologie Flash est arrivée. Un grand nombre d’artistes, fascinés par les potentialités de cet outil multimédia s’en sont emparés…Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’art et d’artistes “web” ? Jean-Luc Soret Je n’ai que l’embarras du choix. Il y a les web-artistes comme les Français Valéry Grancher (visible sur le site @rt-outsiders.com), qui manipule avec maestria les webcams, et Loïc Connanski, auteur d’une pseudo-biographie interactive hilarante ( interferences.org), ou encore l’Américain Matthew Richie qui utilise l’internet comme un jeu de piste virtuel et interactif ( sfmoma.org) : à l’internaute de visiter leurs pages constituées d’animations décalées ou de jeux vidéo parodiques…Bruno Samper Certains créateurs, à l’image de Judith Darmon ou de Cyril Anguelidis, auteur d’une immense toile numérique hissée comme une grande voile au-dessus du café parisien Batofar, lors du festival @rt Outsiders, se définissent comme des ” peintres numériques ” qui remplacent simplement les grains de la toile par des pixels. D’autres artistes, comme la Française Catherine Nyeki, venue du théâtre et de la scénographie, utilisent des logiciels en 3D pour mettre en scène des créatures qui peuplent des micro-univers plus ou moins transformables par l’internaute.Sophie Lavaud (plasticienne multimédia. Sa première installation interactive, Centre-Lumière-Bleu, a été présentée en 1995) : D’autres encore se concentrent sur le détournement de photos, de robots industriels, de sites commerciaux… Ou mélangent toutes les techniques possibles ?” son, textes, images et vidéo, notamment ?” pour traduire leurs émotions ou encore raconter une histoire au public.Y a-t-il un point commun entre les web-artistes ? Sophie Lavaud Tous parient sur l’extraordinaire interactivité de l’internet. Grâce à elle, de spectateurs passifs, les ” visiteurs ” de réalisations numériques deviennent acteurs : ils peuvent voyager dans les ?”uvres, les modifier et parfois même dialoguer en direct avec l’artiste.Bruno Ulmer ( artiste plasticien et web-cinéast) : Vous avez raison. C’est ce dernier parti que j’ai adopté. Baptisé Un été, mon dernier projet est constitué d’une trentaine de cartes postales virtuelles qui retracent un périple de plusieurs semaines effectué l’été dernier autour de la Méditerranée. S’y mêlent des textes, des images fixes, une bande-son et plusieurs séquences filmées en caméra super-8 que j’ai pu facilement numériser. J’en ai tiré un web-movie. Diffusé tout au long de l’été sur mon site poppyworks.com, il suscite encore un grand nombre de commentaires de la part d’internautes du monde entier.Où peut-on consulter toutes ces ?”uvres d’un genre nouveau ? Pierre Bongiovanni Sur l’internet d’abord, qui est l’espace idéal d’exposition des ?”uvres numériques. Les sites dédiés à l’art multimédia sont déjà très nombreux. On peut, par exemple, télécharger sur le site du ministère de la Culture des économiseurs d’écrans créés par des artistes. Par ailleurs, les scènes expérimentales permettant de montrer des ?”uvres numériques se multiplient. La plus célèbre est celle du musée technologique de Karlsruhe, en Allemagne : équipée d’une machinerie sophistiquée mobilisant un grand nombre d’écrans plasma, elle préfigure le musée du XXIe siècle.

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Jean-François Paillard