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L’an 01 de l’informatique

Les discours dominants des fournisseurs informatiques nous invitent à consommer de beaux produits. Jamais à nous demander à quoi ils peuvent bien servir.

Steve Jobs a tenu sa sempiternelle conférence d’ouverture, lors de la Macworld Expo de San Francisco, la semaine dernière. Il y a promis le “mode de vie numérique “. Il n’a pas vraiment précisé ce dont il s’agissait. Mais il s’est empressé de placer les machines produites par sa compagnie au c?”ur de ce mode de vie numérique.A bien les regarder, elles ne présentent guère d’innovations. Ce sont des ordinateurs individuels légers, jolis, performants… Mais ils relèvent des mêmes ambitions que celles affichées par les 212 autres constructeurs qui tiendront le même type de conférences cette année.La semaine dernière, je suis aussi allé au cinéma voir l’An 01, le film que Doillon a réalisé suite à la série dessinée par Gébé, au début des années 701. L’An 01, c’est le jour où les gens appliquent ces trois propositions : on arrête tout, on réfléchit, c’est pas triste.Dans une scène, deux jeunes femmes se promènent dans un des grands magasins, tous transformés en musées de la consommation, et en font l’équivalent d’une virée au cirque. Elles regardent attentivement une cuisinière, et l’une dit à l’autre : “Tu sais, si on avait continué, eh! bien ça aurait évolué. Ils auraient ajouté plein de boutons dessus, des boutons partout… Et puis après, ils auraient mis un écran aussi, pour voir à l’intérieur du four ce qui se passe sans ouvrir la porte…” (c’est une description quasiment visionnaire du PC). Sa copine lui répond : “Oui, et alors ?”
“Alors, on en aurait eu envie…”, et elles éclatent de rire toutes les deux.Cet éclat de rire, c’est juste ce qui nous sépare de l’An 01 de l’informatique. La capacité d’échapper à la consommation du nouveau produit toujours plus beau que le précédent. La capacité de nous dire que les technologies numériques sont certainement intéressantes et riches de possibilités, mais qu’il s’agit de les faire contribuer à la qualité de nos vies, plutôt que d’en faire un style de vie. La capacité de rire au nez de ceux qui veulent nous dire comment nous sommes supposés vivre avec le numérique.Un exemple donné et longuement commenté par Jean-Marc Mandosio dans son livre Après l’effondrement
2 : la Très Grande Bibliothèque numérise son fonds. Les fichiers sont acquis en mode image, pas en mode texte. Il est donc impossible de rechercher les occurrences d’un mot, par exemple. Ou de copier un extrait pour l’inclure dans un texte.En gros, cette opération produit un résultat qui n’est plus un livre, et pas encore un fichier exploitable. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui il n’existe aucun système qui soit capable de tirer d’une variété d’ouvrages aussi vaste une reconnaissance fiable en mode texte, qui ne demande pas plus de temps à corriger qu’à numériser.Alors, c’est ça le style de vie numérique ? Faire usage de machines qui ne savent pas faire ce qu’on leur demande ? Et tant pis si je ne peux pas manipuler le texte, si je dois plier mon ergonomie naturelle à l’interface d’une machine obtuse, si je dois risquer la crise de nerfs à chaque configuration d’un modem… bref, me plier aux machines afin de les consommer…Ce n’est pas de style de vie qu’il s’agit, ni de se plier aux modèles. Mais de la vie qu’on peut bâtir avec les machines pour la rendre plus passionnante. Ce n’est pas une question de couleur ni une question de vitesse de processeur ou de carte graphique.C’est juste de prendre son temps.1. Il a été récemment réédité chez
l’Association
, 103,50 francs, ils auraient pu faire un effort, mais bon, si vous ne pouvez pas l’acheter, volez-le, comme ils disaient à Hara-Kiri. 2. Après l’Effondrement, de Jean-Marc Mandosio, Editions de LEncyclopédie des Nuisances,
75 francs.Prochaine chronique le jeudi 1er février

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Renaud Bonnet