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L’absurde histoire du Standard

Bible de la net-économie, le journal The Industry Standard a disparu aussi rapidement que les start-up dont il parlait. L’histoire de ce journal est aussi celle des deux années de la ‘ folie
Internet ‘.

La net-économie a eu sa bible. Patrons de start-up, analystes financiers, investisseurs, tous n’ont juré, pendant quelque 18 mois, que par The Industry Standard. Américain au départ, puis
‘ global ‘ pendant quelque temps, The Industry Standard paraissait toutes les semaines. Jusqu’à l’été 2001, où il a disparu brutalement. Aussi rapidement qu’il était apparu.Comme toute bible, The Industry Standard avait ses ‘ apôtres ‘. Dont James Ledbetter. Chef du bureau new-yorkais, il fut aussi le patron de l’édition européenne du journal.
Aujourd’hui, il raconte l’histoire de ce journal, qui est aussi un peu celle des quelques mois pendant lesquels la net-économie est née, a vécu et a disparu.Le titre du livre résume une bonne partie de cette histoire : Starving to death on $200 million. The short, absurd life of The Industry Standard. Traduit en français, cela donne quelque chose comme
‘ Crever de faim avec 200 millions de dollars. La courte et absurde vie de The Industry Standard ‘.Tout commence en 1997, quand John Batelle est viré manu militari du journal de référence de l’époque, Wired. Ce journal, mensuel, c’est Batelle qui l’a fondé. Et ruiné aussi,
puisque les pertes à cette époque flirtent avec les 50 millions de dollars. Wired sera revendu a un grand groupe de presse, Condé Nast.Et Batelle se dit que, finalement, ce n’est pas d’un mensuel dont les fanas des nouvelles technologies ont besoin. Non, il leur faut un hebdomadaire. Le concept est vite jeté : ce journal sera
‘ autoritaire et intelligent dans son ton, connaisseur du domaine dont il parle, donc partie prenante, analytique, et ne cachera pas ses opinions. Ce sera le Variety des nouvelles technologies ‘.Pour l’argent, Batelle se tourne vers IDG, un groupe de presse mondial, spécialisé dans la publication de journaux informatiques. Dès le début, Batelle ne parle pas la même langue qu’IDG. ‘ Est-ce un
magazine pour les professionnels du secteur ou pour les consommateurs ? ‘
était l’une des questions fondamentales d’IDG. Pour qui un lecteur est soit un professionnel, qui lit un journal avec de la pub destinée aux
professionnels, soit un consommateur lambda, qui lit un journal avec de la pub destinée à lui faire acheter les produits dont le journal fait l’éloge.Pour Batelle, ce journal n’entre dans aucune case. ‘ C’est un journal pour tout le monde ‘, disait-il. IDG avait l’argent, ne comprenait pas, mais finança tout de même le journal, en pensant
qu’il y avait peut-être beaucoup à gagner et peu à perdre. Un comportement adopté par beaucoup. Peu d’investisseurs comprenaient les concepts marketing des boîtes qu’ils finançaient. Car il n’y en avait pas. Mais ils les
finançaient quand même.IDG n’avait pas tort. The Industry Standard ne s’est jamais vraiment bien vendu. L’édition américaine plafonnait à 170 000 exemplaires, presque rien. Et seulement 44 % des abonnés
payaient véritablement pour le recevoir. L’édition européenne, elle, atteignait difficilement les 10 000 exemplaires vendus. En fait, seule la pub suivait.En 2000, le Standard a vendu près de 8 000 pages de pub. Un record, tous secteurs et toutes périodes confondus. La petite start-up a gagné 200 millions de dollars ! Qu’elle a dépensés
presque aussitôt. Près de 4 millions ont été perdus dans un projet de GRC (gestion de la relation client, NDLR) qui n’a jamais vu le jour. ‘ La GRC est une invention qui ne fonctionne que dans les rêves ‘,
assène James Ledbetter.Des bureaux ont été loués à New-York pour 500 000 dollars par an. Ils n’ont jamais été occupés, car personne n’avait le temps de déménager. Le nombre de journalistes est passé de 45 à 129 en six mois,
l’équipe du site Web de 3 à 35 personnes. Le Standard a vécu comme les start-up dont il parlait. Jusqu’en février 2001.A cette date, les managers découvrent que les recettes publicitaires ont chuté de 74 % en quatre mois. ‘ Avant nous étions au bon endroit au bon moment, mais en 2001 nous étions au mauvais endroit au pire des
moments ‘,
ricane Ledbetter. En septembre 2001, exsangue, le journal sera placé en liquidation. Il aurait fallu 30 millions de dollars pour le maintenir en vie.IDG a racheté les droits sur la marque pour 900 000 dollars. Selon James Ledbetter, le groupe de presse n’a pas perdu d’argent. IDG avait investi 8 millions de dollars dans le journal et aurait reçu plus de
10 millions de dollars d’exonérations de taxes sur les profits qu’il tirait de ses autres journaux.Voilà pour l’histoire dans ses grandes lignes. Mais tout l’intérêt de la formidable aventure que raconte James Ledbetter réside dans ses anecdotes. Elles valent le détour. Des roof parties aux
international summits, James Ledbetter a su narrer minutieusement les deux années folles de la net-économie.On lirait presque son livre comme un roman. Mais, en le refermant, on se désole : tout a bien été réel.* Rédacteur en chef adjoint de l’Ordinateur IndividuelProchaine chronique jeudi 27 février

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Alain Steinmann