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La vie d’opérateur n’est pas toujours rose

Il y a des gens dont l’existence est une succession de rencontres, de séparations, de retrouvailles et de déchirements. C’est également vrai pour certaines sociétés. A commencer par Sprint.

L’opérateur longue distance américain Sprint naît dans les années soixante-dix et il grandit ” tranquillement ” jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. A cette époque, la vague de libéralisme qui a conduit les autorités américaines à démanteler, en 1984, le géant AT&T touche l’Europe. Les Britanniques sentent le vent et British Telecom ouvre le bal des grandes alliances en se mariant, en 1993, avec MCI, le deuxième ” carrier ” américain, dont il devient actionnaire à hauteur de 20 %. Immédiatement, le couple franco-allemand, alors en pleine lune miel, veut faire pièce à cette stratégie et il jette son dévolu sur Sprint, dont chacun prend 10 %. Première rencontre.Ensemble ils fondent Global One, baptisé en grandes pompes lors du salon Télécoms 95. Le déficit chronique de Global One et l’espoir d’une rentabilité toujours remis à demain empoisonnent la vie du trio, mais, officiellement, c’est le bonheur. Début 1999, coup de tonnerre: Deutsche Telekom annonce son intention de racheter Telecom Italia. Manoeuvre d’autant plus surprenante que l’opérateur italien est au capital de Bouygues Telecom et de 9 Telecom, rivaux de France Télécom, l’allié préféré entre tous. L’initiative échouera. Olivetti, le rescapé, enlève, contre toute attente, le morceau. Mais le mal est fait et plus rien ne va dans la triple alliance. Les amis d’hier ne se parlent plus que par avocats interposés. Il faut procéder à la séparation des biens. Sprint puis Deutsche Telekom se désengagent de Global One, que rachète France Télécom. En même temps, le français et l’allemand songent à sortir de Sprint. Premières séparations.La solution viendra de manière inattendue. L’insatiable Worldcom, après avoir avalé MFS, puis UUNet, puis ?” non sans mal ?” MCI, soufflé à BT, lorgne du côté de Sprint. Mais voilà, ce rachat prend, aux yeux des autorités de réglementation américaines comme européennes, des allures de monopole. Et – Microsoft en sait quelque chose – elles voient rouge lorsqu’elles en subodorent un. Pas la peine d’avoir cassé AT&T, en 1984, pour laisser se reconstituer un autre mastodonte. Du coup, le projet est bloqué. MCI et Worldcom laissent entendre qu’ils vont abandonner la partie : convaincre les autorités réglementaires leur demanderait trop de temps et d’argent. Mais on dit aussi que MCI Worldcom serait prêt à tout pour mettre la main sur Sprint et ses activités dans les mobiles, qui manquent à sa panoplie, quitte à démanteler le reste.Dans le premier cas, Sprint redeviendrait alors libre. Deutsche Telekom, qui cherche à mettre un pied aux Etats-Unis, en profite pour se déclarer intéressé par le rachat de l’ancien partenaire. Retrouvailles ! Hélas, nouveau déchirement en vue, car une poignée de sénateurs américains s’inquiètent de voir partir dans des mains étrangères un fleuron d’une industrie stratégique. Ils précisent qu’ils ne sont pas contre le principe ?” à l’appui, ils citent le rachat de Airtouch par le britannique Vodafone ?”, mais s’insurgent lorsque le candidat est détenu à plus de 25 % par un Etat (ce qui est le cas de Deutsche Telekom, à hauteur de près de 60 %).Résultat, si ce mouvement est suivi, Sprint, l’un des opérateurs les plus courtisés de ces dernières années, se retrouverait seul, à la croisée des chemins. Peut-être pas pour très longtemps, car un autre candidat pourrait se manifester.
Il n’empêche, la vie n’est pas rose lorsqu’on change sans arrêt de partenaire et que lon se sait pas de quoi demain sera fait.Prochaine chronique le vendredi 25 août

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Jean-Pierre Soulès, grand reporter