Passer au contenu

La saga du Net ne fait que commencer

Tandis que les valeurs du Nasdaq s’effondrent et que les dotcom licencient à tour de bras, trois acteurs essentiels de la nouvelle économie envisagent l’avenir avec sérénité. Et livrent à Newbiz leur vision du futur.

Au début du xxe siècle, il existait 200 constructeurs d’automobiles dans le monde. Aujourd’hui, on en compte moins d’une demi-douzaine. Pourtant, on n’a jamais fabriqué autant de voitures, et cette invention a transformé notre civilisation. internet va vivre la même évolution. Son histoire ne fait que commencer. En cinq ans, l’invention s’est diffusée dix fois plus vite que l’imprimerie ou le chemin de fer. La fin de la spéculation financière et la débâcle des start-up ne signifient pas la fin du processus. Ceux qui le vivent en première ligne confient à Newbiz leur vision de l’avenir : Marc Andreessen, le fondateur de Netscape, qui a récidivé en créant Loudcloud ; Éric Benhamou, le patron de 3Com et de son ex-filiale Palm ; et Jonathan Weber, le rédacteur en chef du magazine The Industry Standard, la bible des cadres américains de la Net-économie.

La révolution internet est-elle en train de marquer un coup d’arrêt ? Les gens ont tendance à tout peindre en rose ou en noir. C’est pourquoi toute nouvelle technologie passe en général par trois phases : une faible diffusion au départ, un engouement exagéré ensuite (“overhype”), puis un déficit de popularité (“underhype”). Ce qu’il faut regarder, ce sont les fondamentaux qui conditionnent l’évolution de l’internet : le nombre d’utilisateurs, le nombre de personnes qui disposent d’un accès haut débit, le nombre de sociétés présentes, l’activité du commerce électronique… Tous ces indicateurs continuent de croître. À terme, la réalité convergera avec la phase d’optimisme exagéré. Le même phénomène s’est produit pour la radio, la télé, l’auto ou le PC, c’est un phénomène classique.Comment imaginez-vous le stade de la “maturité” de l’internet ? Je ne sais pas si “maturité” est le bon terme. Tous les autres médias ou réseaux de communication (TV, téléphone, radio, routes) reposent sur du matériel (“hardware”). Une série de spécifications définit la manière dont ils fonctionnent et, même si les technologies évoluent, le modèle est resté identique depuis le début.Quels sont les principaux moteurs de cette évolution ? Le facteur essentiel, c’est la vitesse d’adoption d’une innovation par les consommateurs. Les gens ne disposent que d’un temps limité : pour qu’une nouveauté devienne une “killer app”, il faut qu’elle ait un impact important et immédiat sur leur vie.Le web va-t-il tuer la télévision ? Tout dépend de la manière dont il investit notre vie quotidienne. Mais je n’y crois guère : au xxie siècle, loin de sélectionner, nous “cumulons”. Nous faisons de plus en plus de choses en parallèle. Il y a cinq ans, je n’avais ni pager, ni téléphone mobile, ni Napster, ni TV satellite… Je ne crois pas à la convergence, mais à la divergence.

Comment imaginez-vous la deuxième révolution internet ? Nous n’avons connu jusqu’ici que la préhistoire de l’internet. Nous sommes entrés dans une ère de connectivité globale où la taille de l’infrastructure dépasse les niveaux pour lesquels la technologie a été conçue. Je m’explique. Trois notions nouvelles sont apparues, qui constituent la frontière entre l’internet de première et de seconde génération.Concrètement, qu’est-ce qui va changer ? La communication va se personnaliser : chaque individu aura le choix entre un accès filaire et non filaire, une liberté de trafic entre vidéo, données, voix… Bref, la connexion, aujourd’hui indifférenciée, est appelée à devenir intelligente, flexible. Et l'”autoroute” se divisera en autant de sentiers de randonnée.Quelles peuvent être les conséquences sur la vie quotidienne ? Chaque individu possédera des produits (téléphones mobiles, PDA type Palm, etc.) reliés entre eux et connectés en permanence au Net. Le PDA semble un outil intéressant dans la mesure où il est associé à un individu. Il peut donc constituer une “carte d’identité” numérique et simplifier l’e-commerce : l’individu pourra se faire reconnaître sans carte bancaire. Ce n’est pas de la science-fiction, les technologies sont prêtes. Par ailleurs, les produits de la maison seront tous connectés à l’internet (radio, TV, console de jeux…) et leur interface sera plus simple que celles que nous connaissons aujourd’hui.Existe-t-il encore des freins au développement de l’internet ? Le problème de la sécurité personnelle est au centre des préoccupations du conseil technologique réuni par le président George W. Bush, dont je fais partie. Nous voulons faire reconnaître un nouveau type de délit, le “vol d’identité” : l’utilisation de l’identité d’un autre sur le Net (paiement avec sa carte de crédit, accès à ses données médicales…). Nous devons nous doter d’outils pour lutter contre ce délit.

Quelles sont, selon vous, les évolutions les plus importantes apportées par l’internet ? L’impact de l’internet est à mon avis fondamental dans cinq domaines : l’industrie high-tech, les télécoms, les services financiers, les médias et le marketing. À l’origine, le Net a élargi la diffusion de l’information, qui est devenue quasi universelle. Or de nombreux domaines étaient jusqu’alors contrôlés par l’accès à l’information.Le web est-il une révolution ou simplement un nouvel outil ? L’avènement du web est comparable à celui du PC : ce n’est qu’un outil, mais il a changé notre vie ! Même chose pour l’automobile : ce n’était qu’un nouveau moyen de transport, un peu plus rapide que la voiture à cheval, mais il a modifié la société en profondeur.Croyez-vous à une deuxième révolution de l’internet ? Je n’aime pas le terme de révolution. La Révolution française, ça, c’était une révolution ! Je préfère parler d’évolution, celle du capitalisme technologique. Mais les changements sont énormes et nous n’avons encore rien vu. L’internet n’est d’ailleurs qu’un élément parmi d’autres : les systèmes de communication sans fil, par exemple, vont changer la donne. La pénétration de l’internet est encore relativement faible (50 % dans les zones les plus avancées, contre 98 % pour la télévision). Quand tout le monde sera connecté et que le haut débit se généralisera, on utilisera le Net de la même manière que l’électricité (“utility-like function”).Les jeunes entrepreneurs ont joué un grand rôle dans l’avènement de l’internet première génération. Ont-ils encore leur place aujourd’hui ? L’âge est un faux problème. Steve Jobs avait 19 ans quand il a lancé Apple. Dans la Silicon Valley, les start-up technologiques existent depuis les années 60, et elles ont souvent été dirigées par des jeunes gens. Mais ce qui s’est passé ces trois ou quatre dernières années est inhabituel : une telle quantité d’argent disponible pour les start-up, il y avait de quoi susciter des vocations… Tout le monde a cru qu’il était facile d’être entrepreneur, et les plus disponibles y sont allés les premiers. En réalité, créateur d’entreprise est un métier extrêmement dur. Ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de travail, de rigueur et de passion. Pourquoi la situation économique européenne est-elle si différente de celle des États-Unis ? La période de bulle a été beaucoup plus brève en Europe, et la déprime aujourd’hui est donc moins forte, ou ses conséquences moins graves. Les grandes sociétés établies ont eu le temps de voir venir les changements et les “pure players” n’ont pu dominer le secteur comme ils l’avaient fait aux États-Unis.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Samuel Kissous, envoyé spécial en Californie