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La nouvelle économie ne pèse pas bien lourd

C’est l’investissement des vieilles entreprises qui tire la croissance… pas l’activité des start-up.

Tout le monde parle de la nouvelle économie, et on assiste effectivement à un bouillonnement : création de start-up, dépôts de brevets en forte hausse, développement du capital-risque, accélération de l’investissement, des gains de productivité, de la croissance, plus de flexibilité et d’initiatives dans les entreprises… Est-on pour autant en présence d’un véritable cycle technologique ?Observons ce qui se passe aux Etats-Unis : on assiste à une croissance très rapide de l’investissement productif (plus de 12 % par an en termes réels depuis 1991) et à des gains de productivité du travail (2 % au début des années 90, 4 % aujourd’hui). Mais cette trajectoire économique n’est pas tenable à long terme : si l’investissement progresse de 12 % par an et le PIB de 5 %, soit le déficit extérieur des Etats-Unis va exploser, soit la consommation va s’effondrer. Dans le long terme, l’investissement et le capital doivent croître au même rythme que la production. C’est ici que s’introduit la réflexion sur le cycle technologique.

L’invention du Net est-elle à la hauteur de celle de l’électricité ?

Le secteur de la nouvelle économie (télécommunications, Internet, fabricants d’ordinateurs et de logiciels, etc.) représente 8 % de l’économie américaine ; et même si sa croissance est rapide, elle n’augmente la croissance d’ensemble des Etats-Unis que de 0,3 point par an.Dans le reste de l’économie (les 92 % restants), la croissance de la productivité globale des facteurs (c’est-à-dire la croissance de la production possible pour un capital et un travail donnés) n’a pas accéléré du tout dans les années 90. On note, en revanche, un énorme effort d’investissement des sociétés pour incorporer les nouvelles technologies à leur capital productif, et c’est cet effort d’investissement qui provoque le supplément de croissance, aussi bien du côté de la demande (l’investissement augmente vite) que de l’offre (le stock de capital productif croît de plus de 6 % par an en volume).A nouveau, cette situation n’est pas tenable à long terme. Les Etats-Unis connaissent une très forte hausse de l’intensité capitalistique, et si le coût du travail supporté par les entreprises diminue avec la rapidité des gains de productivité du travail, leur coût de capital (charges d’intérêt sur la dette, amortissements) augmente très rapidement. Pour que nous entrions vraiment dans un cycle technologique, il faudrait que, à un certain moment, l’accumulation de capital produise une accélération de la croissance de la productivité globale des facteurs, donc qu’il puisse y avoir croissance économique plus rapide spontanément, sans que l’investissement continue à s’accroître plus rapidement que le PIB. Ce n’est pas encore le cas aux Etats-Unis.Certains économistes, tel Robert Gordon, avancent que la nouvelle économie n’existe pas, que le Web n’est pas une innovation technologique à la hauteur des grandes inventions du passé (l’électricité, l’automobile, le téléphone, le moteur à vapeur)… D’autres économistes, tel Paul David, soutiennent que les grandes inventions ont toujours nécessité beaucoup de temps avant de générer un supplément de croissance. Pour que le moteur électrique accroisse la productivité globale des facteurs, il a fallu reconstruire les usines qui fonctionnaient avec des moteurs à vapeur ! Bref, nous serions trop pressés de voir les effets de la nouvelle économie. Il n’empêche que l’opposition entre le bouillonnement décrit plus haut et l’absence d’accélération de la productivité globale des facteurs jusqu’à ce jour est perturbante.

La nouvelle économie représente seulement 4 % du PIB en France

Si la réalité de la nouvelle économie n’est pas prouvée aux Etats-Unis, elle l’est encore moins en Europe continentale où les conditions de son développement sont loin d’être réunies. Le secteur ne représente, en France, que 4 % du PIB ?” exactement comme il y a dix ans ! ?” et sa contribution à la croissance n’est que de 0,1 point par an. Le taux d’investissement productif, dans la zone euro, est 40 % plus faible qu’aux Etats-Unis, et le taux d’investissement en nouvelles technologies est trois fois plus faible ; les dépenses de R & D en nouvelles technologies représentent 1 point de PIB aux Etats-Unis, contre 0,3 point de PIB dans la zone euro. Cela explique pourquoi la productivité du travail n’accélère pas dans la zone euro (elle y décline de moins de 2 % par an). En outre, la nouvelle économie exige beaucoup d’emplois, or la main-d’?”uvre risque d’être insuffisante dans la zone euro. Le scénario américain nest pas près de se produire en Europe.

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Patrick Artus, directeur des études à la Caisse des dépôts et consignations