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« La loi antipiratage n’est qu’une étape »

Juriste spécialisé dans les nouvelles technologies, responsable du département Internet chez Juritel.com, Jean-Claude Patin revient sur certaines implications de la loi Création et Internet.

01net. : Beaucoup d’opposants à la loi Création et Internet crient à l’atteinte à la vie privée. Est-ce propre à cette loi ?

Jean-Claude Patin : La richesse numéro un du Web, c’est la revente de fichiers qualifiés. C’est un modèle économique exploité à fond par les opérateurs de télécommunications et les opérateurs de services comme Facebook et Google. A l’origine de la loi Création et Internet, il y a une démarche opportuniste qui consiste à dire : puisque l’on surveille déjà à des fins commerciales, surveillons officiellement. La loi entérinerait donc un usage déjà en vigueur. Et surtout, dans un cadre spécial [celui de la lutte contre le piratage, NDLR]. Mais au final, il ne s’agit pas seulement de surveiller des pirates. Cette loi Hadopi n’est qu’une étape.

Le texte prévoit une liste noire des internautes sanctionnés par une coupure de l’accès à Internet. Ce fichier pourrait-il être utilisé à d’autres fins ?

La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) impose déjà aux opérateurs de conserver les « logs » de connexion. Même chose avec la loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 [à l’article 29, NDLR]. Cela représente plusieurs dizaines de teraoctets de données à stocker et cela a un coût. Puisqu’ils allaient devoir dépenser de l’argent pour aider l’Etat, les FAI ont voulu se faire dédommager. Mais comme l’Etat n’a pas les fonds, il a accordé aux FAI l’autorisation d’exploiter les données qu’ils les a obligés à conserver.

Avec Hadopi, ce sera la même chose : les FAI vont dépenser de l’argent pour contribuer à la lutte contre le piratage. Du coup, en échange, on va les autoriser à utiliser les données dans un but commercial en allant plus loin dans le ciblage comportemental.

Dans ce contexte, que peut la Commission nationale de l’informatique et des libertés ?

Au départ, la Cnil avait de faibles moyens mais parce qu’elle avait une faible mission. En 1978, quand elle a été créée, l’informatique, si je caricature, c’était IBM avec huit serveurs et il y avait une dizaine de fichiers à surveiller dans l’année. On n’en est plus du tout là. Si on voulait faire respecter la loi Informatique et Libertés, il faudrait 5 000 fonctionnaires supplémentaires à la Cnil, et pas cinquante ! Or, aucun budget conséquent n’a été dégagé pour assurer cette mission.

« La licence globale ressurgira un jour »

Le mécanisme de la licence globale, défendu par les opposants à la loi, n’implique-t-il pas lui aussi une collecte de données ?

En étudiant ce mécanisme, j’ai fini par être convaincu que ce sera la seule façon de procéder pour exploiter des contenus légalement et rémunérer les créateurs. Mais le problème, c’est de savoir comment répartir les sommes récoltées. On va devoir capter des données sur le comportement des internautes pour savoir ce qu’ils ont téléchargé, quand, etc. C’est ce qui plaide contre la licence globale : il va falloir surveiller les réseaux.

L’idée est donc définitivement enterrée ?

En fait, on ne s’est pas donné les moyens de réfléchir au problème. Les promoteurs de la licence globale ont tout de suite pris leurs interlocuteurs – les maisons de disques et les producteurs – de haut et leur ont dit « c’est comme ça et pas autrement ». Or, cette industrie musicale, c’est un lobby qui a de l’argent, des relations, du pouvoir, un modèle économique. Du coup, elle a rejeté en bloc la licence globale. Les défenseurs de cette dernière auraient dû au contraire se montrer plus modestes, commencer à faire le tour des interlocuteurs pour réfléchir ensemble au projet, associer tous les acteurs. Je ne suis pas pessimiste, je pense qu’un jour, la licence globale ressurgira, peut-être ailleurs qu’en France. Et on la copiera alors que nous étions en avance sur cette idée…

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Propos recueillis par Arnaud Devillard