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La fin des journaux et l’émergence d’une information à deux vitesses

Bernard Poulet, journaliste auteur d’un essai sur l’avenir de l’information, évoque les difficultés de la presse à se réinventer en ligne.

Désaffection du jeune public, culture du tout-gratuit, disparition ou migration des budgets publicitaires… la planète média tangue et peine à se repositionner sur Internet. Bernard Poulet, journaliste auteur de
La Fin des journaux et l’avenir de l’information (*), esquisse quelques timides pistes de sortie de crise.01net. : La presse papier traditionnelle traverse aujourd’hui une crise structurelle très grave, son salut passe-t-il par Internet ?


Bernard Poulet : Des journaux essayent de basculer sur Internet ou de développer d’autres modèles en ligne. Ils ont raison dans la mesure où il faut essayer quelque chose. Cependant, aujourd’hui, il n’y a pas de modèle
économique pertinent pour soutenir une production d’information de qualité en ligne.


Pour l’instant, Internet, c’est un peu le Far West, et ce ne sont pas les fabricants de diligences qui ont fait les automobiles. Il y a des phénomènes comparables dans la presse actuellement. Les titres traditionnels ont du mal à
s’imposer en ligne. Ils ont pensé que la publicité et la diffusion perdues sur le papier allaient être récupérées sur Internet. Mais tout le monde sait que ce n’est pas possible. Il faudra trouver d’autres modes de financement de l’information ou
alors faire une information au rabais, ce qui est aussi un autre moyen. La réinvention va être difficile.Un nouveau lectorat, jeune et issu de cette génération que l’on a appelée les ‘ digital natives ‘, sévit désormais en ligne. Comment la presse peut-elle s’adapter à son nouveau mode de
consommation de l’information ?



Il faut être lucide. Les ‘ digital natives ‘, c’est-à-dire ceux qui ont appris leur rapport à l’extérieur et à l’information avec Internet, ne feront pas vivre les journaux. Ils demandent de
l’information rapide et veulent être ‘ au courant ‘ de ce qui se passe. Sans avoir obligatoirement envie de consacrer du temps à entrer dans les détails.


Mais tous ont des passions, et pour eux Internet peut aussi fournir une information très spécialisée. Donc, d’un côté, nous avons les agrégateurs de type Google News (presse gratuite), et, de l’autre, un marché potentiel de l’information
à valeur ajoutée.Justement, y a-t-il une place pour la production d’une information payante sur Internet ?


L’information sur Internet est une information d’agrégation, de commentaires, souvent une information de deuxième main, alors pour le moment je ne pense pas que le modèle soit viable, à l’exception d’une information financière extrêmement
pointue. Cela étant, nous allons peut-être voir apparaître sur le Net dans les prochaines années deux types d’information : l’une à forte valeur ajoutée, payante, et l’autre gratuite, à la portée de tous.


Je crois de plus en plus à un Internet à deux vitesses. Un Internet engorgé et un Internet vendu par des terminaux dédiés. Beaucoup de gens disent que la neutralité du Net, ‘ c’est un dogme auquel on ne peut pas
toucher ‘. Je n’y crois pas une seconde, car s’il y a de l’argent à faire on y touchera. Aujourd’hui des quasi-monopoles s’organisent, qui espèrent demain dominer le réseau. Tous développent ?” comme Google, malgré le discours
parfois new-age de ses dirigeants ?” des machines à cash absolument terrifiantes.Quel a été l’apport des blogs à l’information en ligne ?


Les blogs, dans l’ensemble, c’est quand même l’univers du ‘ n’importe quoi ‘ et du ‘ pas grand-chose ‘. Mais il y a des blogs qui ont une identité forte et un lectorat. Ce sont souvent
des blogs à connotation scientifique ou technologique. Pour le reste, pour ce que l’on appelle les ‘ nouveaux médias ‘, leur couverture éditoriale demeure très parcellaire, ils occupent, à l’image de sites comme Rue89.com,
de petits créneaux de l’information.Les groupes de médias cherchent des solutions pour sortir de la crise, notamment en rapprochant voire en fusionnant des équipes rédactionnelles. Y a-t-il des exemples probants de réussite dans ce domaine ?


Je ne voudrais pas être le ‘ prophète de l’apocaplypse ‘. Qu’il s’agisse du ‘ bi ‘ du ‘ tri ‘ ou du ‘ quadri?”média ‘, il y a,
c’est vrai, des exemples dans le nord de l’Europe de journaux qui ont réussi à faire cela, avec une vision très locale de l’information notamment. Mais l’approche la plus radicale, c’est le Daily Telegraph, dont la rédaction
travaille à la fois pour une radio, pour le quotidien et pour le site Internet. Certes, ils perdent encore un peu d’argent, mais moins que leurs concurrents.


Les journalistes travaillent de plus en plus à la chaîne. Et il est difficile de faire très bien tout cela à la fois. Mais c’est un modèle qui m’apparaît, aujourd’hui encore, transitoire. Nous allons je pense vers vers une
‘ euthanasie de la classe moyenne des journalistes ‘. A partir de là ne resteront qu’une élite, c’est-à-dire des journalistes qui continueront à exister comme des marques en tant qu’entreprise unipersonnelle, et des gens
qui seront prêts à travailler beaucoup pour pas cher et qui pour la plupart d’entre eux n’auront pas le temps de faire bien leur métier.(*) La Fin des journaux et l’avenir de l’information (Gallimard).

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Propos recueillis par Philippe Crouzillacq