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La déroute de l’internet à haut débit américain

Aux Etats-Unis, le dégroupage a échoué, et les fournisseurs DSL (Digital Subscriber Line) indépendants tombent les uns après les autres. Des leçons à tirer pour la France.

C’était le 30 mars, un vendredi soir. Notre connexion internet DSL ne fonctionnait plus. Je suis allé sur le site de notre fournisseur d’accès, avec une connexion standard, pour voir s’il y avait un problème. J’ai juste trouvé une note expliquant que son fournisseur DSL venait de fermer.” Comme des milliers d’entreprises américaines, Robert Schechter & Associates, un cabinet d’assurances de Detroit, subit les déboires de l’internet à haut débit américain. Et, comme lui, beaucoup ont définitivement fait une croix sur l’accès internet par DSL.En France, le dégroupage démarre à peine. Nombre de fournisseurs d’accès à internet (FAI) sont sur les rangs pour gagner un accès aux lignes locales – monopole de France Télécom – et pouvoir revendre ensuite un accès internet rapide aux particuliers et aux entreprises. Un marché très prometteur, à en croire les protagonistes. Aux Etats-Unis, les opérateurs issus de la scission d’ATT louent leurs lignes à des sociétés spécialisées dans le DSL depuis plusieurs années. Mais la situation a créé une industrie aux allures de cimetière. Ainsi, fin mars, Northpoint, l’un des trois grands revendeurs de DSL indépendants des opérateurs historiques, mettait la clé sous la porte, déconnectant de cette manière des milliers d’entreprises et de particuliers.

Une manière de travailler totalement autre

Or, avec le DSL, une telle faillite se transforme vite en catastrophe. Connexion permanente, ligne téléphonique libre, débits rapides… Cette technologie change radicalement la façon de travailler. Le retour à une connexion classique conduit souvent à de lourdes pertes de productivité. D’autant que trouver une nouvelle connexion a haut débit aux Etats-Unis tient de la longue quête pour nombre d’utilisateurs.Les délais de raccordement ont ruiné la réputation de l’industrie américaine du DSL. Plusieurs semaines, voire parfois plusieurs mois, sont en effet nécessaires pour obtenir une nouvelle connexion. Lorsque Flashcom, l’un des principaux FAI fournisseurs de DSL, a fait faillite, il a fallu au moins quatre semaines (selon les dires des concurrents) pour proposer à nouveau une connexion à haut débit. “Nous étions clients de Verio, qui sous-traitait son DSL à Northpoint, raconte Christy Schmidt, responsable informatique de Floyd & Snyder, un cabinet de consultants en environnement de Seattle. Quand ce dernier a fait faillite, nous nous sommes dirigés vers Qwest, qui a mis trois semaines au lieu des deux promises pour nous envoyer un technicien. Celui-ci s’est aperçu que sa société n’avait pas connecté la bonne ligne. Il nous a donc fallu attendre deux semaines supplémentaires avant de retrouver le haut débit.”Aux difficultés financières et technologiques du DSL s’est ajoutée une piètre qualité de service. Essentiellement composée de jeunes entreprises, cette industrie ne semble pas préparée à gérer l’afflux de clients qu’a généré la promesse d’un internet rapide démocratisé. Les services après-vente sont, pour la plupart, jugés médiocres. Quant aux difficultés financières, le silence radio reste de mise jusqu’à la faillite. Seule solution pour les clients : lire en détail les documents destinés à la Bourse, qui, elle, bénéficie de toute l’attention des fournisseurs.

Même la bourse boude les fournisseurs de DSL

Aujourd’hui, même Wall Street maltraite les fournisseurs de DSL. Depuis la faillite de Northpoint, les deux principaux revendeurs de DSL indépendants des opérateurs rescapés sont Rhythms et Covad. Le premier devrait être exclu d’ici peu du Nasdaq pour cause de faiblesse persistante du cours de ses actions. Le second est sous le coup d’une menace similaire pour n’avoir toujours pas rendu publics ses résultats annuels. Quasiment chaque semaine, on apprend qu’un fournisseur met la clé sous la porte.Pourtant, la Bourse avait adulé ces sociétés, qui étaient censées participer à l’explosion de ce marché. Mais ce sont au contraire elles qui ont explosé. “Au début de l’année 2000, lors des réunions importantes, la question du jour était : “qui allons-nous pousser à la faillite ce trimestre ?”raconte Henry Clarke, un ancien responsable de Northpoint. Nos clients DSL n’étaient, en effet, en mesure d’honorer que 40 % de leurs commandes en moins de quarante-cinq jours. Une aussi piètre performance aurait dû agir comme un signal d’alarme. Il n’empêche qu’ils obtenaient des millions en financement pour déployer un réseau permettant d’annoncer une quantité de lignes propre à plaire au marché. “Plus que jamais, le DSL semble entre les mains des opérateurs historiques : les Verizon, Quest et autres SBC, issus de la scission d’ATT. Mais ils ne semblent guère jouer des coudes sur ce marché. “Le sentiment général est que, pour les opérateurs, une connexion professionnelle rime avec T1, et non avec DSL, juge Justin Beech, responsable du site spécialisé DSL Reports. Les opérateurs historiques ne vous donneront, par exemple, aucune assurance sur le débit ou la qualité de service.”Certains accusent même les opérateurs d’avoir sciemment poussé les revendeurs à la faillite. Northpoint devait ainsi être racheté par Verizon, l’opérateur de la côte Est. Mais ce dernier s’est rétracté en novembre dernier, arguant d’un doute sur la viabilité de Northpoint. Un retrait qui a mis fin aux derniers espoirs de relance du revendeur. Un autre grand, SBC, multiplie, de son côté, les accords avec les revendeurs et prend des parts dans Covad et Network Access Solution.

La location du cuivre en voie de disparition

De fait, l’idée du dégroupage semble avoir vécu aux Etats-Unis. Plus grand monde ne juge rentable de louer le cuivre d’un opérateur, tout en l’affrontant commercialement… Surtout lorsque ses prix sont inférieurs. Faillite, rachat ou prise de participation… Il ne devrait bientôt plus rester de fournisseur DSL indépendant des opérateurs historiques. MSN avait, par exemple, fait le choix de reposer entièrement sur Northpoint pour fournir du DSL à ses clients. Dorénavant, la filiale de Microsoft “travaillera en priorité avec des sociétés possédant leur propre infrastructure à haut débit “. Après quelques semaines d’hésitation, MSN vient d’ailleurs de signer avec l’opérateur Qwest pour s’approvisionner en DSL. Nombre de FAI ont, de leur côté, décidé de laisser tomber purement et simplement cette technologie. Comme MSN, Excite@Works utilisait les services de Northpoint. Mais, dans cette filiale professionnelle du groupe Internet Excite, on estime qu’il est impossible de gagner de l’argent sur le DSL. Excite@Works ne prend donc plus de nouveaux clients DSL depuis le début de l’année. Les sociétés intéressées par le haut débit se voient proposer des accès T1 ou câble.De fait, après un premier échec, revenir au DSL ne semble guère tenter les entreprises. Les assureurs de Robert Schechter & Associates ont choisi le câble. L’hébergeur web Thoughtprocess a commandé une ligne T1. Et si le cabinet Floyd & Snyder, lui, a choisi de rester au DSL, c’est contre l’avis de sa responsable informatique, qui juge cette technologie encore trop immature et réclamait une ligne T1.Pourtant, quand il avait été présenté aux entreprises, le DSL avait tout de la solution idéale : peu coûteux, rapide, offrant une connexion permanente qui ne monopolisait pas de ligne téléphonique. Depuis, le DSL est devenu un facteur de risque majeur aux Etats-Unis. L’idée n’est pas enterrée pour autant. Mais il lui faudra plusieurs années avant d’atteindre la maturité technologique et financière nécessaire à son succès. Les Français pourraient en tirer les leçons avant de se lancer dans l’aventure.

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Ludovic Nachury