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La croisade du logiciel libre

Contrer la domination d’Internet Explorer, favoriser la liberté d’accès au Web : le projet communautaire d’un navigateur ouvert, gratuit et sécurisé a fédéré des milliers d’internautes depuis plus d’une décennie. Le résultat ? Firefox.

Créer un navigateur ouvert à tous, rapide et simple d’utilisation, un outil personnalisable et aux possibilités multiples, tel est l’objectif que s’est fixé la Fondation Mozilla lors de sa création en 2003. Une quête inspirée, menée par une petite troupe de passionnés (d’illuminés, diront certains), qui a des allures de croisade : à l’époque, la cible à abattre s’appelle Internet Explorer et fait valoir sa suprématie sur toute la Toile. Huit années plus tard, le président de Mozilla Europe, Tristan Nitot, qui vient nous présenter la toute dernière version du navigateur Firefox 4.0, mesure le chemin parcouru. Mozilla, c’est 350 salariés dans le monde, 400 millions d’utilisateurs, dont 140 millions actifs tous les jours, et quelques millions de bêta-testeurs. Qui l’aurait prédit ?

Microsoft, un ennemi implacable

Retour en arrière, en 1994. Marc Andreessen, l’un des développeurs du premier navigateur Web, Mosaic (utilisé principalement par des chercheurs), crée Netscape Communications, une entreprise informatique décidée à exploiter les infinies possibilités du World Wide Web. Son équipe travaille à l’élaboration du premier navigateur grand public, qui sera capable d’afficher la même interface sous n’importe quel système d’exploitation. Il est lancé sous le nom de Netscape Navigator. Son succès est fulgurant : il est rapidement utilisé par plus de 90 % des internautes ! Pourtant, Netscape Navigator ne fera pas très longtemps le poids face à l’artillerie lourde déployée par Microsoft pour le lancement de son propre navigateur, Internet Explorer, fourni d’office et gratuitement avec tous les PC sous Windows. Cette pratique vaudra d’ailleurs à la firme de Redmond d’être accusée de violer la loi antitrust par la justice américaine. En attendant, Netscape perd pied, étranglé par son concurrent. En janvier 1998, Netscape Communications décide alors d’ouvrir le code source de son navigateur aux développeurs, misant sur leur créativité, la force de l’intelligence collective et une stratégie, pour ne pas dire une idéologie d’ouverture, totalement à l’opposé de celle de l’ennemi Microsoft. C’est la naissance du projet open source Mozilla. La légende raconte que ce nom proviendrait de la contraction de Mosaic, le premier navigateur Web, et de Godzilla, le monstre des films fantastiques japonais, les deux passions de Marc Andreessen. Quant au tyrannosaure rouge, l’emblème de Mozilla, il a été dessiné par un copain du chef de projet : le désormais célèbre graphiste américain Shepard Fairey, que l’on connaît surtout pour Obey, son label street art, et pour son affiche Hope représentant Barack Obama ! En décembre 1998, Netscape Communications est rachetée par AOL, qui y voit un moyen de préserver son indépendance à l’égard de Microsoft sur la Toile. AOL veut que les choses aillent vite et accélère la sortie, à la fin de l’année 2000, de la version 6 de Netscape, basée sur le noyau Mozilla 0.6, que les développeurs estiment pourtant encore instable. Cette précipitation entache la réputation du navigateur et a pour conséquence d’éloigner un peu plus les utilisateurs.

Les geeks, chevaliers solidaires

En 2002, Mozilla sort sa suite Internet. Multiplate-forme, elle se compose d’un navigateur Web, d’un logiciel de messagerie, d’un agenda, de fonctions de tchat, d’un éditeur de page Web… Sophistiquée, très lourde, très lente, la suite Mozilla 1.0 incluait des fonctionnalités qui n’étaient pas forcément utiles au grand public, certaines étant plutôt réservées aux développeurs. Tristan Nitot dira même qu’il s’agissait d’“ une suite logicielle underground réservée aux geeks ”. Très vite, un petit groupe se détache pour se concentrer sur le développement du navigateur dans l’idée de le rendre beaucoup plus simple. Un mécanisme d’extensions est implémenté, permettant aux utilisateurs d’ajouter des fonctions à leur guise, donc sans les leur imposer. Une première version test sort sous le nom de Phœnix en 2002, rebaptisée Firebird six mois plus tard.En attendant, AOL n’arrive toujours pas à rentabiliser son rachat et négocie en juillet 2003 un accord avec Microsoft. En réparation des préjudices subis pour son abus de position dominante sur le marché des navigateurs, AOL obtient 750 millions de dollars. Le prix du renoncement ? C’est ce qui vient à l’esprit des observateurs quand AOL annonce dans le même temps sa volonté de liquider Netscape (il continuera quand même à l’utiliser jusqu’en 2008) et d’arrêter de soutenir le projet Mozilla. Un coup dur pour toute la communauté de développeurs investie dans le projet, une aberration pour la poignée d’irréductibles qui travaille d’arrache-pied sur ce logiciel libre. Ces derniers se mobilisent immédiatement. Il leur faut trouver une structure pour que le projet perdure, accueillir ses contributeurs et ses machines. Ils créent la Fondation Mozilla et réussissent à convaincre AOL de les aider à hauteur de 2 millions de dollars pour démarrer. “ C’était vraiment peu. Aujourd’hui, Mozilla fonctionne avec 100 millions de dollars par an ”, témoigne Tristan Nitot. Mitch Kapor, fondateur de Lotus Development Corporation qui croit à l’importance du projet, ajoute 400 000 dollars de sa poche. Grâce à ces mises de fonds, l’organisme à but non lucratif basé à Mountain View, en Californie, peut poursuivre le développement du projet. Dans la foulée, le Français Tristan Nitot, tout juste licencié de chez Netscape, décide de monter une structure associative pour fédérer les contributeurs du projet en l’Europe. L’antenne Mozilla Europe naît le 23 décembre 2003.

Google, un allié précieux

Le navigateur Mozilla Firebird devient Mozilla Firefox, soit “ panda roux ”, en anglais, et littéralement “ renard de feu ”. C’est sous cette marque déposée que le nouveau navigateur issu de la toute nouvelle Fondation Mozilla s’impose sur le marché. Précédé par une réputation d’outil révolutionnaire qu’il s’était forgée au fil des versions bêta, Firefox 1.0 est lancé en novembre 2004. Le succès est total. En moins d’un an, le navigateur est téléchargé plus de 100 millions de fois. Les internautes avaient enfin à leur disposition une alternative fiable au logiciel propriétaire de Microsoft, victime de bugs et de failles de sécurité à répétition.En parallèle, sort le logiciel de messagerie libre Mozilla Thunderbird issu, lui aussi, du projet communautaire Mozilla et distribué gratuitement par la fondation. Ce dernier ne connaîtra pas le même retentissement que Firefox, qui mobilise toutes les ressources de la fondation. Il continuera sa course de façon indépendante, via une filiale : Mozilla Messaging, aujourd’hui intégrée au Mozilla Labs, une entité chargée de plancher sur les nouveaux projets et les innovations. Quant à la suite Mozilla, son développement se poursuit au sein de la communauté SeaMonkey, créée en 2005. Le nouveau navigateur, lui, attire les convoitises… comme celles de Google, qui flaire le potentiel économique de Firefox et qui décide d’investir sur ce dernier. Il s’impose ainsi comme principal sponsor. En échange d’une dotation annuelle, son moteur de recherche est installé par défaut sur le navigateur. Google y trouve son compte grâce aux revenus publicitaires qui découlent de ce nouveau moyen d’accès à ses services. Le 1er septembre 2008, à la veille du renouvellement de l’accord avec Firefox, Google lance sur la Toile son propre navigateur, Chrome. Les comptes sont toujours bons, puisqu’en 2009 Mozilla affiche 104 millions de dollars de revenus, soit une hausse de 34 % de son chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente. Plutôt éloquent, même si le but de la fondation n’est pas de faire du profit, mais de “ préserver le choix et l’innovation sur l’Internet ”. Problème, les ressources financières de la Fondation Mozilla proviennent à plus de 85 % de Google… Une dépendance qui inquiète, surtout avec la montée en puissance du navigateur Chrome, fleuron de Google, de fait concurrent sérieux de Firefox. Chrome remettra-t-il en cause les liens qui unissent la Fondation Mozilla avec sa principale (pour ne pas dire unique) source de financement ? L’accord qui les unit arrive à expiration en novembre prochain. S’il n’était pas renouvelé, la fondation devrait puiser dans son fonds de réserve. Un coup dur que ses représentants ne souhaitent pas envisager. Publiquement, du moins.

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Frédérique Crépin