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La Cnil s’interroge sur les risques et les bienfaits des données de santé

La Cnil a organisé une table ronde qui a réuni entrepreneurs, médecins, philosophes et avocats pour réfléchir aux conséquences de la collecte des données liées au corps. Faut-il la réguler ?

Les objets connectés vont envahir notre quotidien. Plusieurs études évoquent que des milliards d’appareils seront en fonction d’ici quelques années. Ils nous permettront de suivre notre santé en temps réel à partir des données qui seront récoltées et analysées. Que penser de ce futur ?

Dans le second numéro des Cahiers Innovations & prospective, consacré à ce sujet, la Cnil a imaginé une journée type de l’être humain de demain dans une courte nouvelle d’anticipation. Le personnage principal, Léa, est salariée d’un géant du net imaginaire. Bardée de capteurs qui étudient son corps et son cerveau, Léa voit sa vie pilotée par un coach numérique qui lui dicte la conduite à tenir seconde par seconde. Ces données, éminemment personnelles, sont partagées avec son médecin, son employeur et les annonceurs des différents services auxquels elle est abonnée.

Face à cet avenir (possible?), la Cnil s’interroge. Faut-il encadrer, réguler, certifier ? Qui devra le faire ? La commission reconnaît n’avoir pour le moment aucune réponse à ces questions. « Nous entrons dans une phase nouvelle difficile à quantifier qui va créer une somme considérable de données directement liées à l’humain. Que va-t-on en faire ? Les vendre, les partager ? Pour le moment, nous n’avons pas de réponse », a lancé Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil, en introduction d’une table ronde organisée ce mercredi 28 mai.

Des données qui sauvent des vies

Pour alimenter le débat, plusieurs spécialistes ont été conviés pour aborder les aspects juridiques, médicaux et philosophiques. L’économie du secteur n’a pas été oubliée et, pour en parler, la Cnil a invité Cédric Hutchings, PDG de Withings, spécialiste français des objets connectés« Il faut admettre que ces données suscitent des inquiétudes, mais les solutions arrivent petit à petit », estime le dirigeant qui est convaincu que cette nouvelle industrie peut non seulement améliorer la santé, mais surtout sauver des vies grâce au partage des informations. « Au contraire, le vrai risque serait de ne pas les partager », estime Cédric Hutchings en faisant référence au scandale du Mediator. Quant aux risques de dérapage, il est formel : « Un mauvais usage de ces données pourrait tuer les sociétés comme les nôtres. »

Nicolas Postel-Vinay, médecin à l’hôpital Georges Pompidou, nuance cette certitude. Pour lui, ces données sont utiles, mais reste à savoir pour qui. « Les analyses sont différentes selon l’âge des sujets, leur potentiel de risque. » Mais surtout, sont-elles fiables au point de devenir un jour une aide à la prescription ? Sinon, faudra-t-il les certifier par un organisme public ?

Pour Pierre Desmarais, avocat spécialisé dans la santé, la certification est nécessaire pour définir la fiabilité des appareils. Il estime que trois critères doivent être pris en compte : la sécurité des dispositifs, leur fiabilité et la confidentialité des données collectées. « Pour le moment, aucun organisme public n’est habilité pour répondre à l’ensemble de ces questions. Il faudra certainement réfléchir à la création d’un guichet unique ».

Les données santé au coeur du transhumanisme ?

L’intervention de Laurent Alexandre, chirurgien urologue et PDG de Dnavision, a ouvert la discussion sur un sujet qui lui est cher, le transhumanisme, qui pour lui est au cœur de la problématique. Ce mouvement, auquel souscrivent de nombreux dirigeants de la Silicon Valley -parmi lesquels Sergueï Brin, cofondateur de Google- vise à utiliser les sciences et techniques pour developper, voire transformer l’humain aussi bien physiquement que mentalement. La firme de Mountain View a d’ailleurs recruté en 2012 Raymond Kuzweil, l’un des gourous de cette philosophie. Google a également créé Calico, une société de biotechnologies dirigée par Arthur D. Levinson, qui est à la fois membre du conseil d’administration d’Apple et membre de Genentech, qui poursuit des recherches sur le clonage. 

Des informations à prendre en compte quand on sait que Google et les autres géants du net ont pris une telle avance « qu’ils auront un monopole sur les 30 prochaines années en matière de données santé. » selon Laurent Alexandre. Or, si les données du corps peuvent avoir des effets bénéfiques pour la santé, il faut du coup en peser les risques. « Les données cérébrales ne vont-elles pas nous conduire à une cyber dictature ? », s’interroge-t-il. « Beaucoup d’humains sont prêts à beaucoup de choses pour éviter la souffrance, la vieillesse ou la mort ».

Armées de toutes ces réflexions, que peuvent faire les autorités en général et la Cnil en particulier ? Difficile à dire. Va-t-on vivre comme Léa, le personnage fictif imaginé par la Cnil ? Les administrations, banques, assurances ou mutuelles nous tiendront-elles responsables des maladies que nous pourrions avoir et quelles en seront les conséquences ? Personne n’a de réponse. Seule certitude : les objets connectés sont une véritable révolution qui auront un impact bien plus important que les données que nous laissons sur les réseaux sociaux.

Pour le dirigeant de Withings, ils donnent à chaque personne la possibilité de « prendre en main leur santé, grâce à une meilleure connaissance de soi ». Reste à connaître les conséquences de la publication de ces informations qui porteront des risques qu’il faudra gérer. Et, pour le moment, personne ne sait comment.

 

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Pascal Samama