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La chasse aux particules

Sous la frontière franco-suisse, le plus grand accélérateur de particules du monde, le LHC, recrée la naissance de l’Univers. Visite de ce temple de la physique et de ses systèmes informatiques.

Et pourtant, ils tournent ! Comment ne pas s’émerveiller devant le miracle technologique que représente le LHC, le Grand collisionneur de hadrons du Cern, l’Organisation européenne de la recherche nucléaire ? Cet accélérateur de particules de 27 km de circonférence, enfoui à 100 m de profondeur sous la frontière franco-suisse, représente la plus grande expérience de physique expérimentale jamais créée. Au regard de la formidable complexité du système, le fonctionnement est assez simple à expliquer : des paquets de protons sont injectés dans plusieurs accélérateurs linéaires et circulaires pour y être accélérés. Puis ils sont projetés dans le LHC dans deux sens opposés, et encore accélérés jusqu’à une vitesse proche de celle de la lumière. Les deux faisceaux sont alors déviés pour provoquer la collision des protons au niveau de quatre immenses machines, les “ expériences ”, dont les systèmes informatiques analysent les particules produites, pour ne retenir que les plus intéressantes. Lors des collisions, l’énergie et la température atteintes sont comparables à celles qui régnaient dans l’Univers naissant, un millionième de millionième de seconde après le big-bang. Le but est de nous aider à comprendre certains des plus grands mystères de l’Univers : de quoi sont constitués les 96 % de matière “ invisible ” qui le composent ; quelle est l’origine de la masse et pourquoi certaines particules en sont dépourvues ; où est passée l’antimatière, pourtant réputée aussi présente que la matière au moment du big-bang ? Avec cette formidable machine à voyager dans le temps qu’est le LHC, nous devrions en apprendre un peu plus sur l’origine de l’Univers, et par là même sur notre propre histoire.

Les expériences

Les particules injectées dans le LHC sont continuellement accélérées jusqu’à atteindre une vitesse supérieure à 99,9 % de celle de la lumière. Les collisions des protons sont alors provoquées exactement au centre des quatre “ expériences ” du LHC. Dénommés Alice, Atlas, CMS et LHCb, ces immenses détecteurs (Atlas que l’on voit ici mesure 46 m de long pour 25 m de haut et pèse 7 000 tonnes) enregistrent à l’aide de multiples capteurs le type et le comportement des fragments de particules éjectés lors de la collision. Seules certaines particules seront analysées, notamment celles qui pourraient mettre en évidence l’existence du fameux boson de Higgs, la particule peut-être à l’origine de la masse de toutes les particules. Une collision sur 8 millions donnera des résultats intéressants. Ce n’est finalement pas négligeable puisque, à terme, le LHC produira 600 millions de collisions par seconde !

Le centre de contrôle

Les trois premiers îlots du centre de contrôle regroupent les opérateurs chargés de la mise en œuvre et du contrôle des différents accélérateurs du complexe : ceux en charge des paquets de protons (accélérateur linéaire, synchrotron…) et le LHC. Le quatrième îlot contrôle les infrastructures techniques et la cryogénie. Maintenir une température de – 271°C consomme énormément d’énergie, et il faut deux mois pour refroidir un seul des huit secteurs. L’accélérateur fonctionne donc 24 h/24. Les premières collisions de protons surviennent environ une heure après leur injection et se poursuivent durant une dizaine d’heures. Les particules résiduelles sont extraites et un nouveau cycle commence.

Les aimants, le cœur du LHC

L’immense anneau du LHC est composé principalement d’aimants. Les plus importants, les aimants dipôles, mesurent 15 m de long pour un poids de 35 tonnes. Fabriqués en Allemagne, en France et en Italie, ces 1 232 aimants intègrent deux tubes de quelques centimètres de diamètre dans lesquels vont circuler, en sens inverse, les protons à une vitesse proche de 300 000 km/s. Les dipôles maintiennent le faisceau sur une trajectoire circulaire tandis que, intercalés entre eux, près de 500 aimants quadripôles de 6 m de long concentrent le faisceau de protons pour en réduire le diamètre à 40 microns et augmenter ainsi les chances de collision. Pour atteindre un état de supraconductivité, qui permet de transporter le courant sans résistance (jusqu’à 13 000 ampères), les aimants sont refroidis à – 271°C grâce à de l’hélium liquide.

Le centre de calcul

Sur une surface de 2 700 m2 répartie sur deux niveaux, le centre de calcul du Cern compte environ 8 000 systèmes représentant 55 000 cœurs. Les serveurs sont changés régulièrement tous les trois ans et, chaque année, 1 000 des 60 000 disques doivent être remplacés. Le Power Usage Effectiveness (PUE) mesure l’efficacité énergétique d’un Data Center. Celui du Cern est estimé à 1,8, ce qui signifie que le centre de calcul consomme 1,8 fois plus d’électricité qu’il n’en a besoin (à titre de comparaison, le PUE des Data Centers de Google oscille entre 1,1 et 1,2). En cause, la vétusté des locaux (construits dans les années 1970) qui rend difficile le refroidissement des machines. Le Cern étudie donc de nouvelles options telles qu’installer de la puissance de calcul dans des containers (Datacenter in a box) ou louer de l’espace de calcul dans des locaux “ verts ” externalisés.

La grille de calcul

Les “ expériences ” du LHC génèrent une énorme quantité de données. À eux seuls, les 150 millions de capteurs d’Atlas en génèrent plusieurs pétaoctets (1015) chaque seconde. Celles-ci sont ensuite filtrées par l’expérience elle-même, par de l’électronique dédiée et par des PC classiques, et réduites à 300 Mo/s. Les données sont alors transférées vers le bâtiment 513, le centre de calcul (le Tier 0), pour être archivées sur bande magnétique. Et parce qu’aucun système ne peut gérer une telle masse de données, le Cern et ses partenaires ont développé la grille de calcul du LHC afin de mutualiser les ressources informatiques de tous les pays participant aux expériences. Premier échelon du maillage, les 11 grands centres de calcul Tier 1, situés en Europe, en Asie et aux États-Unis, effectuent une partie de l’analyse des données, et reprennent celles déjà traitées en utilisant les dernières connaissances acquises dans le fonctionnement du LHC. Mais c’est la centaine de centres Tier 2, situés dans les universités et les instituts, qui effectuent le plus gros de l’analyse des données.

La sauvegarde des données

Chaque année, ce sont finalement 15 pétaoctets d’informations (15 millions de Go) qui seront conservés sans limite de temps. Dans ces immenses armoires, des bras robotisés saisissent les cartouches de bandes magnétiques vierges et les conduisent vers le lecteur où elles seront remplies. Les nouvelles générations d’armoires sont capables de stocker plusieurs cartouches les unes derrière les autres, ce qui réduit considérablement l’espace au sol. Certaines peuvent même être agrandies “ à chaud ”, sans qu’il soit besoin d’interrompre leur fonctionnement. Les anciennes bandes sont régulièrement répliquées sur de nouvelles, offrant une capacité supérieure (1 To aujourd’hui). Cette opération permet un gain de place, tout en éliminant le risque de perte de données par altération du support physique. Ultime sécurité, les données sont aussi sauvegardées dans les onze centres Tier 1.

Le réseau du Cern

Toutes les interconnexions entre les expériences et les centres de calcul sont centralisées dans ce local intégré au bâtiment 513. La bande passante allouée aux calculs du Cern (Tier 0) s’élève à 4,8 Tbit/s. Les centres Tier 1, premier niveau de la grille de calcul, sont reliés au Cern directement par un réseau de fibres optiques à 10 Gbit/s.

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Philippe Fontaine