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La boutique au coin de la rue

Le temps, la compétence, l’attention : ces trois impératifs ne feront que se renforcer. Le consommateur y poussera en y ajoutant l’exigence de qualité et, si possible, de chaleur humaine.

On nous dit que les Français, vivant dans un univers à la fois prometteur et dérangeant, sont déboussolés. Franchement, nos partenaires européens et nos amis d’outre-Atlantique sont-ils mieux lotis ? Le fond commun est évident : c’est le décalage entre les aspects mirifiques de la technologie et l’inévitable besoin de convivialité dont se réclame tout être humain. Un bref inventaire de nos récentes désillusions n’est sans doute pas inutile, si l’on veut parvenir, à terme, à trouver la clé d’un nouveau progrès. Premier impératif : ramener les “automatismes” à leur juste place. Les fantasmes bâtis sur la toute-puissance du commerce électronique en offrent le meilleur exemple. Rappelons-nous les exaltations qui prévalaient, il y a quelques années : j’étais censé trouver l’automobile de mes rêves en quelques minutes, déterminer la meilleure combinaison qualité-prix, et gagner un temps précieux. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Combien de clients de Renault et de PSA achètent leur automobile en pianotant sur leur clavier ? Une infime minorité.Passons au commerce “B to B” (business to business) dont on nous dit qu’il se développe plus rapidement que le “B to C”. Ce n’est pas faux. Mais là encore, il y a un écart béant entre les prévisions et les réalisations. Tout simplement parce que, dans beaucoup de secteurs, la sophistication des fabrications impose que les rapports entre industries amont et industries aval relèvent d’une confiante coopération (études, essais, mises au point) et non d’un système presse-bouton.

Vive les intermédiaires new-look !

Plus généralement, la révolution de l’informatique et de ses satellites nous a été fréquemment présentée comme signifiant la mort des intermédiaires. Comment expliquer ce contresens alors même que tous les experts nous expliquent, à l’envi, que nous allons vers un monde de services ? Ce dont les acheteurs ont besoin, le plus souvent, c’est d’une expertise, d’un conseil avisé, d’une personne qui comprenne leurs souhaits… et leurs limites. Vive les intermédiaires new-look !Cela ne veut pas dire qu’il faille organiser une impossible ?” et certainement peu souhaitable ?” marche arrière. Ce dont il faut parler, c’est de “recalage” : dans les organisations et dans les esprits. Pensons au culte voué, par nombre d’apôtres de la nouvelle économie, à la fameuse loi des rendements croissants, dont les bienfaits nous étaient présentés comme illimités. Le professeur Alain Bienaymé faisait récemment observer, dans la revue Sociétal, que si l’économie de l’information bénéficie exceptionnellement de rendements croissants, dus à la faiblesse des coûts et à la taille des réseaux d’abonnés-clients, il ne fallait pas, pour autant, oublier deux limites : d’abord la rareté des compétences disponibles (les manipulateurs de symboles sont chers, et en nombre limité), et le facteur temps : “À mesure que s’enfle le flot d’informations, l’attention et le temps requis pour que les décideurs en tirent profit opposent des barrières naturelles.”

Exigence de qualité

Le temps, la compétence, l’attention : ces trois impératifs ne feront que se renforcer. Le consommateur y poussera en y ajoutant l’exigence de qualité et, si possible, de chaleur humaine. En témoignent les mines renfrognées de clients des gigantesques supermarchés qui doivent parcourir vingt rayons avant de trouver un vendeur capable (pas toujours) de les conseiller.Il faudra bien, finalement, recréer quelque chose qui soit à la fois moderne et convivial : quelque chose qui ressemble à la délicieuse “Boutique au coin de la rue” du célèbre film de Lubitsch.*vice-président de linstitut Presaje

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Albert Merlin*