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L’Europe souhaite que la gouvernance du Net échappe aux seuls Etats-Unis

Alors que le calendrier des discussions sur la nouvelle gouvernance du Net est particulièrement serré, la Commission européenne se positionne comme une force sur laquelle il faudra compter pour créer ce nouvel Internet.

Après quelques prises de position de principe, la Commission européenne vient  de franchir un nouveau cap en se proposant comme médiateur dans les futures négociations mondiales sur la gouvernance de l’Internet. L’enjeu est lourd – Etablir de nouvelles règles de fonctionnements multilatérales pour Internet – et la Commission « propose aujourd’hui une réforme capitale de la gestion et de l’exploitation de l’Internet ».

Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne, a ainsi déclaré que les deux années à venir vont être « capitales pour la gouvernance mondiale de l’Internet dont la carte va être redessinée ». A ce titre, « l’Europe doit contribuer à l’élaboration d’un projet crédible pour la gouvernance mondiale de l’Internet et doit participer activement à la définition de l’Internet de l’avenir », continuait-elle. Avant de lancer dans un élan, qui résonne des révélations d’Edward Snowden : « nos libertés fondamentales et nos droits ne sont pas négociables. Ils doivent être protégés en ligne ».

Des mesures concrètes mais pas toutes neuves

La Commission européenne avance un ensemble de propositions visant à border au mieux la gouvernance de l’Internet. A commencer par des « mesures concrètes » pour fixer un calendrier précis pour la mondialisation des fonctions de l’Icann et de l’Iana.

Une première proposition qui ne viserait donc qu’à encadrer plus étroitement un processus en cours depuis bien longtemps déjà.

En fin d’année dernière, à propos d’une mondialisation de la « tutelle » de l’Icann, Fadi Chehadé, son directeur exécutif, déclarait « cela a toujours été envisagé, y compris dans les accords lors de notre fondation, que la relation spéciale entre l’Icann et le gouvernement deviendrait plus mondiale dans le futur et moins concentrée sur un gouvernement. Il n’y a donc rien de nouveau ici ».

La Déclaration de Montevideo sur l’avenir de la coopération sur Internet, publiée en octobre 2013 et en plusieurs langues – chinois y compris – pour montrer son ambition internationale, ne disait d’ailleurs rien d’autre. Cette communication, signée par les dirigeants de nombreuses organisations du Net, comme l’Icann, l’Internet Society, le W3C ou encore l’IETF, indiquait qu’était identifié le « besoin d’un véritable effort pour prendre en compte les défis de la gouvernance d’Internet » et appelait « à une accélération de la mondialisation des fonctions de l’Icann et de l’Iana ».

Autrement dit, la Commission européenne arrive tardivement avec ses bonnes intentions. Peut-être peut-on y voir une volonté de se positionner en puissance « supra étatique » qui souhaite peser dans la balance. Une lecture envisageable quand on sait que Fadi Chehadé avait demandé à la présidence brésilienne, en octobre dernier, « de jouer de son poids à un nouveau niveau, pour assurer que nous puissions tous nous retrouver autour d’un nouveau modèle de gouvernance dans lequel tous seraient égaux ».

A la suite de quoi, le Brésil a accepté un sommet mondial en avril prochain à Sao Paulo, le Netmundial. Fadi Chehadé commentait alors : « La confiance dans l’Internet mondial a été malmenée. Maintenant il faut restaurer la confiance grâce au leadership et aux institutions adéquates ».

Pas sûr qu’il ait alors pensé à la Commission européenne. Mais cette dernière propose, elle, de renforcer le forum mondial sur la gouvernance de l’Internet et de mettre en place un Observatoire mondial de la politique de l’Internet.

Plus de transparence mais pas d’UIT

La Commission européenne recommande aussi la mise en place d’un renforcement de la transparence, des processus multipartenaires, chers aux Américains,  et également de créer un « ensemble de principes de gouvernance de l’Internet qui préserve le caractère ouvert et non morcelé du réseau ».

Après le sommet de Dubaï de l’Union Internationale des Télécommunications, en décembre 2012, la crainte d’un éclatement de l’Internet avait un temps flotté lorsque plus de 54 pays avaient refusé de signer un nouveau traité des télécommunications internationales. Certains pays, comme la Chine, s’en étaient retrouvés renforcés et légitimés dans leur volonté d’augmenter la surveillance des accès à Internet sur leur territoire.

L’UIT, une division de l’ONU en charge des télécommunications au niveau international, s’était, un temps même, projeté dans le rôle de structure de gouvernance de l’Internet. Un souhait notamment porté par de grands pays, comme la Russie et la Chine, qui espéraient enfin obtenir un peu de contrôle sur certaines instances du Net aux mains des Etats-Unis depuis sa création.

Neelie Kroes répond à cette éventualité : « Certains préconisent que l’administration des fonctions essentielles de l’Internet soit confiée à l’Union internationale des télécommunications. Je ne nie pas que les pouvoirs publics aient un rôle crucial à jouer, mais une approche descendante ne me semble pas appropriée. Nous devons renforcer le modèle multipartenaire pour que l’Internet reste un formidable moteur d’innovation », écrit-elle, plaçant la Commission européenne sur une position proche de celle des Etats-Unis et de nombreux lobbyistes.

Dans une interview publiée avant-hier, mardi 11 février, Frédéric Donck, directeur de bureau régional pour l’Europe au sein de l’Internet Society, mettait lui aussi en garde contre le poids des gouvernements : « Quand vous voyez intergouvernemental, cela signifie gouvernements seulement. […] Ce n’est pas ce que nous envisageons comme solution ». Avec l’Union européenne dans la boucle, autant dire qu’en terme de gouvernements, il va être servi.

Les bases d’une position européenne

L’enjeu de la gouvernance d’Internet est lourd de conséquences à de très nombreux niveaux (économiques, politiques, communicationnels ou encore administratifs). Cette première ébauche de communication « jette les bases d’une vision européenne commune », qui sera défendue par les représentants de l’Union dès le Netmundial, en avril, puis lors du Forum sur la gouvernance de l’Internet à la fin du mois d’août prochain et aussi lors  des réunions à haut niveau de l’Icann, qui auront lieu à la fin du mois et également en mai prochain.

La discussion s’accélère. Les acteurs de mobilisent pour défendre leurs points de vue. Une chose a changé. Depuis l’affaire Snowden, les Etats-Unis ne peuvent plus s’opposer à des discussions ouvertes au nom de la protection de la liberté sur Internet…

A lire aussi :
Un Forum de la gouvernance Internet France à Paris le 10 mars
– 14/01/2014

Sources :
Déclaration de Montevideo sur l’avenir de la coopération pour l’Internet

Internet Governance Project – The Core Internet Institutions abandon the US government

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Pierre Fontaine