Passer au contenu

Kumamoto TEC, visite du temple des capteurs photo de Sony

La montée en puissance de Sony dans la photo tient aussi à sa domination mondiale de la production de capteurs d’image. Des capteurs qui sortent notamment de Kumamoto TEC, immense usine que nous avons visitée pour vous…

Sony est le champion mondial des capteurs d’image comme nous vous en parlions récemment. De précieux composants qui équipent non seulement les appareils photo ou les smartphones, mais aussi les caméras de surveillance ou encore les automobiles. Loin des clichés d’une usine accolée à des milliers d’autres dans une mégalopole urbaine, c’est à mille lieues de la fureur de Tokyo que naissent les capteurs d’image de Sony.

L’un des trois centres de production se situe en effet à l’ombre du bouillonnant mont Aso, un volcan entouré des champs de l’ouest de l’île de Kyushu. Dans ce décor verdoyant parsemé, trône Kumamoto TEC (TEchnology Center), un gros complexe industriel constitué de 2 bâtiments géants de plus de 40.000 m² de surface utile. Une usine que Sony nous a invité à visiter dans le cadre d’un voyage de presse européen. Une visite autant motivée par la volonté de montrer (un peu) son savoir-faire que pour rassurer le monde quant à ses capacités de production.

Géant aux pieds d’argile

Adrian BRANCO / 01net.com

Le choix de nous ouvrir les portes de Kumamoto TEC n’est en effet pas anodin : frappée les 15 et 16 avril 2016 par deux terribles séismes de magnitude 7 sur l’échelle de Richter, cette usine qui emploie plus de 2.700 personnes (3200 avec les sous-traitants) a été durement endommagée comme en témoignent les vidéos de caméras de surveillance rendues publiques par Sony.

Fondations ébranlées, murs arrachés, trous béants dans les murs exposant les salles blanches « Class 1000 » au monde extérieur : les dommages matériels sont considérables, l’usine n’étant qu’à 12 km de l’épicentre. Si le bilan industriel est important, il n’y a aucune perte humaine à déplorer, seuls quelques bobos, selon le rapport officiel que Sony a communiqué à la presse.

Ce soubresaut tellurique a mis la machine à capteurs de Sony à l’arrêt pendant plus de 3 mois et demi et a coûté pas moins de 400 millions de dollars. « Le point positif de ce drame, c’est que nous avons préparé le terrain pour le futur », nous explique un haut cadre de l’usine. « Si un séisme aussi important se produit à nouveau, il ne nous faudra que 2 mois pour relancer la production ». Le Japon vit tellement sous la menace permanente des colères de la terre, qu’il faut toujours parer au pire. Et ne pas se voiler la face : si le sol tremble, il y a des dégâts.

Pourtant, le choix de construire son usine loin de Honshu, l’île principale du Japon, n’est pas une coquetterie : sur le papier, la préfecture de Kumamoto est un pays de cocagne.

Kumamoto, « Mecque » des semi-conducteurs au Japon

A.B. / 01net.com

En matière de capteurs, Kumamoto TEC est, avec ses cœurs Yamagata TEC et Nagasaki TEC, le fleuron de la stratégie de montée en puissance sur les capteurs qu’a opérée Sony ces dernières années. L’implantation d’une telle usine dans cette île est évidemment réfléchie : « Le choix de (la région de) Kumamoto n’est pas un hasard », nous expliquent les équipes de Sony. « La région est réputée pour la qualité de son eau et pour sa faible activité sismique ». Rurale à l’origine, la région est, en effet, connue pour la supériorité de sa production agricole, résultante de sols de qualité (merci les cendres volcaniques) et d’une eau très pure. Et si le volcan Aso veille sur la région, les sismographes y sont parmi les plus sages de la bouillonnante terre japonaise, archipel de croûte terrestre, chahuté par les plaques tectoniques. A cette position géographique et environnementale stratégique s’ajoute un coût de la vie – et donc des salaires – bien moindres que sur Honshu (l’île principale) qui a conduit à la constitution d’un tissu industriel fort.

« Entre la qualité de l’eau, nécessaire dans l’industrie électronique, les tremblements de terre généralement moins fréquents et moins forts et le coût bas de la main d’œuvre, la région de Kumamoto est la Mecque des semi-conducteurs au Japon », nous détaille-t-on.

Sony n’est pas la seule entreprise à tirer parti des ressources de la préfecture de Kumamoto : un simple coup d’œil sur les documents de la chambre de commerce et de l’industrie locale couplé à un petit tour sur Google Maps révèle la présence de nombreux groupes industriels. Dans la préfecture et dans toute l’île, Kyushu est surnommée Silicon Island au Japon. Ce tissu économique très dense facilite le travail des entreprises – le géant du verre optique Hoya est dans le coin (il fournit tous les constructeurs photo), de même que Sumco qui livre le silicium extra pur nécessaire à la production de wafer pour l’industrie des capteurs et des processeurs.

Portes (presque) ouvertes

C’est donc en tant qu’invités de Sony dans le cadre d’un voyage de presse que nous avons foulé les terres nippones. Avec en amont, la transmission de notre part de nombreuses questions à destination des ingénieurs et, en nous, l’espoir – « le sale espoir » comme dirait l’Electre de Jean Giraudoux – d’avoir des réponses.

A.B. / 01net.com
A.B. / 01net.com

C’était sans compter un triple rempart : celui d’une culture japonaise très différente dans l’approche journalistique, celui d’ingénieurs en développement toujours avares de détails dans leurs choix stratégiques et celui des ingénieurs de production littéralement paranoïaques quant à leurs précieux secrets industriels. Une triple ligne de front que nous n’avons pas réussi à dépasser : entre la préservation de la stérilité des chambres blanches automatisées et la culture du secret, la place accordée au partage d’information fut plus que congrue. Et notre chemin plus que balisé.

A.B. / 01net.com
A.B. / 01net.com

Des salles blanches où voguent les FOUP (« Front Opening Universal Pod »), des boîtes en plastique qui contiennent et déplacent les wafers par le biais de rails aériens, nous n’avons eu qu’un aperçu par le biais d’un hublot orange avec l’interdiction absolue de faire des photos. Même interdiction de shooter/filmer quand on nous présente des vidéos détaillant le flux de production du capteur et les machines magiques qui fonctionnent à toute vitesse.

Sony Electronics

Visite d’une salle blanche ? Nein. Explication didactique du procédé de fabrication d’un capteur ? Que nenni : nous fûmes noyés dans des présentations techniques déroulées à 100 à l’heure et portant sur des détails de procédés de fabrication – détails non critiques et non confidentiels vous vous en doutez. La seule opportunité qui a un tant soit peu porté ses fruits fut un rapide jeu de questions réponses. Dur, dur de faire parler des gens habitués au secret !

Construire un capteur, un long procédé

A.B. / 01net.com
A.B. / 01net.com

Dans notre précédent article, nous vous relations les déboires de Nikon qui avait dû abandonner la production de ses compact experts DL à cause du tremblement de terre de Kumamoto TEC. Car non seulement il a fallu 3 mois et demi à Sony pour relancer la machine, mais en plus la production de capteur prend du temps. Beaucoup de temps : « Nous ne communiquons pas les détails industriels de production de tous nos produits. Mais dans dans le cas d’un capteur complexe comme celui de l’Alpha A9 par exemple, le procédé de production prend environ 6 mois ». Entre la découpe des wafers, ces tranches de silice extra pure qui ne mesurent que quelques microns d’épaisseur, les différents nettoyages, dépôts et vaporisation de substrats qui formeront circuits et composants (mémoire, etc.), puis le dépôt des micro lentilles à la surface, toutes ces étapes physiques et chimiques prennent énormément de temps.

A.B. / 01net.com

On comprend ainsi les difficultés qu’a rencontré Nikon, un constructeur malheureux dans l’histoire puisqu’entre les temps de réparation, la relance de la production, le temps de « maturation » des capteurs et la distribution des capteurs aux différentes industries – Kumamoto ne conçoit pas que des capteurs photo, mais aussi des capteurs industriels, des dalles OLED, etc. – les appareils compacts de Nikon étaient technologiquement déjà dépassés. Et le géant de la photo de jeter l’éponge pour quitter définitivement l’arène des compacts experts. Un segment outrageusement dominé par… Sony.

« Nous ne favorisons pas les appareils de Sony » nous assure-t-on pourtant pendant la session de questions. « Nous avons des équipes de développement compartimentées qui travaillent les unes avec la division d’appareils photo de Sony, les autres avec nos clients. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’échanger des technologies ou de favoriser Sony. Nous sommes Sony Electronics et nos clients extérieurs sont tout aussi importants », martèlent les équipes de l’usine. S’il est difficile – impossible même, à moins d’une fuite ou d’un scandale – de vérifier les dires de Sony Electronics, l’argumentation tient la route : si un autre industriel a un doute quant à l’honnêteté de Sony, il peut tout à fait aller voir ailleurs. Et une fois la confiance ébranlée, Sony Electronics pourrait énormément souffrir du manque de clients alors même que la rentabilité de la branche production de capteurs est en pleine ascension.

« Désolé, c’est une information confidentielle »

A.B. / 01net.com

Dans le très classique jeu des questions/réponses, l’essentiel des demandes de la presse européenne était éconduit par de polis « nous ne faisons pas de commentaires », « désolé, c’est une information confidentielle », « nous ne donnons pas de détails sur les technologies à venir », etc. Ne vous étonnez donc pas si vous ne voyez jamais fuiter, ici ou là, des informations cruciales dans le domaine des capteurs. Ici, même la CIA ne met pas les pieds. Les seuls éléments de réponse probants que nous ayons eu concernent les capteurs à trois couches de type Sigma Foveon, un capteur unique dans l’industrie et que Sigma fait fabriquer par un concurrent de Sony. Ayant eu vent que Sony – et d’autres – déposent des brevets sur ces capteurs à trois couches qui permettraient d’apporter un hausse de la qualité d’image, un haut responsable nous a tout de même confié : « nous travaillons sur toutes les technologies mais, pour le moment, la reproduction du spectre coloré n’est pas bonne (ce qui est discutable, ndr) et le rapport signal/bruit est mauvais (ce qui est vrai, ndr) ».

Mais quid du futur des capteurs et de leurs technologies : les structures organiques ? les capteurs organiques + silicium ? l’obturateur global ? Face à nos questions, un grand ponte lève les sourcils, s’approche du microphone et nous toise : « ces technologies sont très intéressantes et certaines font l’objet de recherche. Mais nous ne pouvons faire aucun commentaires ».

Secrets, jusqu’au bout.

Lisez les autres articles de notre série spéciale « Sony | Photo » :

1. Comment Sony est devenu le champion de la photographie
2. Sony, le grand empereur des capteurs
3. Kumamoto TEC, visite du temple des capteurs photo de Sony
4. Reportage : les ingénieurs de Sony qui veulent manger Canon et Nikon

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.