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Jean-Yves Babonneau (Afnic) : ” Il faut faire baisser la spéculation sur les noms de domaines “

Le directeur général de l’Afnic (Association française pour le nommage Internet en coopération) défend la nécessité d’organiser les espaces de nommage d’Internet.


Décision Micro & Réseaux : La spéculation sur les noms de domaines s’accroît avec le nombre d’entreprises qui veulent commercer ou promouvoir leur marque sur Internet. Comment réglez-vous les conflits ?
Jean-Yves Babonneau : Pour les domaines français avec l’extension . fr, il n’y en a pas. Il n’y en a d’ailleurs jamais eu. Nous avons été les premiers à dire que l’arbre de nommage d’Internet est une ressource publique. Et l’ensemble de la réglementation française s’inspire de ce principe. Contrairement aux États-Unis, où la délivrance des noms se terminant par .com conserve des allures de Far West, les détenteurs d’une marque ou d’une raison sociale n’ont pas besoin d’aller en justice pour faire reconnaître leurs droits. Nous avons notamment les moyens de veiller à ce que les noms délivrés soient réellement utilisés et non détenus à des fins spéculatives. Par ailleurs, nous avons créé des subdivisions, telles que prd. fr, tm. fr, pour les marques commerciales ou, plus récemment .com.fr, pour les sites destinés à la communication externe des entreprises.Même si des subdivisions de l’espace . fr laissent une certaine marge de man?”uvre, le cas des noms homonymes n’est toujours pas réglé ?Il y aura toujours des homonymes. Il faut absolument sortir d’une logique où l’on attribue au nom de domaine un rôle qu’il ne peut plus remplir, compte tenu du nombre croissant de sites web. Aujourd’hui, on veut qu’un nom de domaine désigne un site, mais qu’il évoque aussi le plus possible son contenu ou son objet. C’est une mission impossible. Dans nos discussions quotidiennes avec les entreprises, nous essayons de les convaincre que le plus important n’est pas de se battre pour un nom jugé évocateur, mais de faire en sorte que l’internaute trouve le site.Excepté le fait d’imaginer des noms de domaines toujours plus complexes, que peut-on faire ?Apporter une connaissance sémantique des noms de domaines, un moyen de qualification extérieur à la dénomination elle-même, et ce, de façon équitable pour tous. Cela passe par un référencement sémantique, avec des mots-clés relatifs à l’activité ou aux marques de l’entreprise, de tous les domaines de l’espace .fr. Nous avons conçu, dans cet esprit, un annuaire multicritère baptisé Harmonic. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’un annuaire sémantique multicritère. Si, par exemple, on cherche un charpentier à Toulouse, on trouvera tous les artisans et les entreprises qui travaillent le bois. Je dis Toulouse comme je dirais Lens-en-Vercors. Les 36 000 communes de France sont autant de critères de sélection. J’espère sincèrement que ce concept fera école dans les différents domaines Internet européens parce que c’est le moyen le plus efficace pour faire diminuer la pression spéculative.
Peut-on espérer voir le modèle français de gestion des espaces de nommage se généraliser à l’échelon international ?Je le crois sincèrement. Les dernières recommandations de l’Ompi (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) vont dans le sens de la gestion actuellement menée par la France au niveau des marques. Et l’Icann (Internet Corporation Assigned Names and Numbers), l’organisme international chargé de l’attribution des droits de gestion des espaces de nommage, commence à en tenir compte. Mais, il faut aussi gérer l’historique. C’est aux États-Unis, et sous l’égide du gouvernement américain, que s’est constitué l’espace de nommage international d’Internet. Actuellement, nous sommes dans une phase de transition. L’indépendance de l’Icann vis-à-vis de l’administration américaine est déjà plus grande que ne l’était celle de l’Iana (Internet Assigned Number Authority). Les États-Unis se sont engagés à sortir de l’Icann dans les trois prochaines années. Je crois que Washington a compris que le côté Far West qui prédomine dans l’espace de nommage international .com, .net, .int, etc. ) est préjudiciable à l’image d’Internet. On n’en est pas encore à réaliser une charte internationale sur la délivrance et la gestion des noms de domaines, mais les éléments se mettent en place. J’ai bon espoir d’obtenir un résultat d’ici deux à trois ans.Où en est le projet d’un espace de nommage européen, le .eu ? Sa création ne semble pas faire l’unanimité. Le code ISO, instituant un espace de nommage européen, a été voté, mais il n’est pas encore une extension valide sur Internet. Il est vrai que les différents gestionnaires de noms de domaines en Europe sont partagés sur la question. L’Afnic soutiendra sa création, pourvu qu’il respecte une certaine éthique. Nos voisins européens restent, quant à eux, relativement divisés. En Grande-Bretagne par exemple, le . eu est perçu comme un concurrent du domaine . uk. La décision relève, de toute façon, de l’Icann. Il confiera la gestion du . eu à qui il voudra. La Commission européenne s’est déjà portée candidate. J’espère que cela aboutira à une organisation simplifiée pour l’utilisateur. Je verrais très bien, au final, un guichet unique où il serait possible de se faire délivrer aussi bien un .fr qu’un .eu.Mieux vaut un petit chez soi qu’un grand chez les autres. Si l’aura du .fr est moins prestigieuse que le très disputé .com, l’Afnic a su en faire, techniquement du moins, une valeur sûre. Mais reste à convaincre les utilisateurs, pour qui le .com, malgré ses défauts, reste un signe extérieur de modernité que l’on est prêt à payer très cher.

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Propos recueillis par Paul Philipon-Dollet