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Jean-Pierre Beysson, président-directeur général de Météo France : ” 30 % du PIB mondial affecté par la météo “

Météo France développe sa force de calcul pour coller aux besoins des entreprises. Comme le BTP, qui demande des prévisions précises à une dizaine de mètres près.

Quel temps va-t-il faire cet été ?C’est vrai, nous faisons des prévisions saisonnières, mais elles se cantonnent à la recherche ! Nous avons d’ailleurs de bons résultats, mais sous les latitudes tropicales. C’est pourquoi je préfère ne pas prendre le risque de vous prédire le temps qu’il fera cet été en Europe.Sur quoi porte votre activité de recherche ?Nous sommes dans deux domaines très différents. Nous établissons des prévisions du temps pour les jours à venir. C’est la prévision météorologique qui est fondée sur un modèle déterministe. Connaissant l’état initial de l’atmosphère tout autour de la planète, en fonction des lois de la thermodynamique, nous déterminons comment cet état initial va évoluer jusqu’à 7 jours d’échéance. Nous avons fait beaucoup de progrès et nous en ferons encore. La fiabilité sur 24/48 heures est aujourd’hui de 85 à 90 %. L’autre catégorie de prévisions est saisonnière ou intra-annuelle. Il ne s’agit plus de simulation déterministe. Le pronostic repose sur la mise en lumière de corrélations qui peuvent exister entre certains signaux caractéristiques ?” comme la température de la mer ?” et des moyennes climatologiques sur une trentaine d’années. Lorsqu’il y a un signal différent, on peut dire par corrélation qu’il y a une tendance pour une saison à venir. C’est de l’analyse climatologique. Cela permet de donner des tendances sur une période et non sur un jour donné au cours d’une saison. Dans ce cas, la fiabilité reste assez faible. Ce n’est pas un problème de moyens technologiques ; c’est un problème d’amélioration des modèles de simulation sur lesquels on travaille.Justement, de quels moyens disposez-vous ?Ils sont d’abord humains. Nous employons 3 800 salariés, dont des techniciens et des ingénieurs avec des niveaux élevés de formation. Nous avons 1 800 techniciens, 800 ingénieurs et 200 ingénieurs de niveau Polytechnique. Cela nous permet d’être présents dans chaque département de France et d’outre-mer, et jusque dans les terres australes. Ensuite, sur le plan technologique, il faut un réseau d’observation extrêmement dense. Cela va de l’observation en surface aux radiosondages jusqu’à 30 kilomètres d’altitude. À cela il faut ajouter de l’observation radar et de l’observation satellitaire. Ensuite il faut transmettre ces observations. Nous avons pour ce faire un système de diffusion par satellite et toute une série de liaisons à haut débit entre l’ensemble de nos centres. Enfin, il faut les traiter grâce à un calculateur puissant.Le gouvernement américain a commandé à IBM (lire ci-contre) pour sa météo nationale et pour 224 millions de dollars (229 millions d’euros) un calculateur qui mènera jusqu’à 7000 milliards d’opérations par seconde (7 téraflops). Pouvez-vous suivre ?Aujourd’hui, notre capacité est de 150 milliards d’opérations par seconde. Mais nous sommes en train de changer d’ordinateur. Sa capacité sera 4 fois supérieure, c’est-à-dire 600 milliards d’opérations par seconde, et nous pensons ensuite passer au téraflop. Parmi les services existant dans le monde nous sommes quasiment dans le trio de tête. Aujourd’hui nous sommes sur un Fujitsu. Nous devons passer à une architecture nouvelle. Il semble que seul IBM soit capable de fournir la puissance dont nous avons besoin. Mais les autres constructeurs, Nec ou Fujitsu, devraient proposer des solutions équivalentes d’ici à deux ou trois ans. La compétition sera alors plus ouverte. Et pour sûrement moins de 224 millions de dollars. À budget constant ?” et nous fonctionnons par crédit-bail ?”, on dispose à chaque changement d’un ordinateur 5 à 6 fois plus puissant.Avez-vous une idée globale de la variable météo sur l’économie mondiale ?C’est très important. Cela touche l’agriculture, la consommation d’énergie, voire la consommation de bière ou d’eau. Plus concrètement, il a été estimé récemment que près de 30 % du PIB mondial est affecté en plus ou en moins par les conditions météorologiques. Et cela me paraît tout à fait crédible.En terme de business, Météo France est une entreprise mal connue, pouvez-vous détailler la nature de vos relations avec les médias, que ce soient les journaux, les télévisions ou les portails internet ?Il y a un marché de la météo avec une vraie concurrence. Mais en France elle est limitée. Notre part de marché oscille de 80 à 90 %, selon les secteurs. Dans le monde, la compétition est plus forte. On peut s’adresser à de véritables entreprises privées dans ce domaine, américaines ou japonaises. Pour l’instant, il y a très peu de monde pour fournir aux médias, notamment en France, des informations valorisantes sur la météo, destinées au grand public. L’ensemble du secteur média nous rapporte environ 3 millions d’euros par an. La plupart des chaînes de télévision sont nos clientes, et la chaîne météo est, bien sûr, un gros acheteur.Et l’e-business, c’est nouveau ?On essaie, c’est difficile. Nous avons un problème. Sur tous les portails, on trouve gratuitement la météo. Et elle ne vient pas forcément de chez nous. Et puis nous avons notre propre site, gratuit lui aussi. Or nous vendons encore de l’information sur le téléphone ou sur Minitel, et les recettes sont substantielles. Du coup, nous nous cannibalisons nous-mêmes, comme le font les autres sites qui proposent des informations météo gratuites. Ça ne peut pas durer. D’autant que la pub s’est évanouie. Nous avons donc imaginé un système payant complexe qui consiste à acheter un certain nombre de points à l’avance, points qui permettent de consommer. Nous sommes en phase de test pour d’autres types de paiement. Nous avons toute une série de clients professionnels payants dans le BTP, l’énergie, les gestionnaires d’autoroutes, etc. Ils utilisent des instruments de diffusion spécifiques, comme la réception satellitaire,ou de bien moins modernes comme le fax. Entre les deux, nos sites internet représentent le système le plus simple.Vous avez des exemples concrets de services produits en direction des entreprises ?Oui, et ils sont bien différents des prévisions globales que l’on donne au grand public par demi-journées. Nous pouvons faire des prévisions bien plus précises, par exemple sur 5 sous-régions d’un département. Et nous sommes capables dans chacune de ces sous-régions de faire des prévisions toutes les trois heures. Admettons un entrepreneur de BTP qui doit couler du béton en hiver : il saura qu’il y aura du gel jusqu’à deux heures de l’après-midi. Et ça peut être encore plus précis. Sur la construction du pont de Millau, autre exemple, les besoins sont différents, dans un environnement très compliqué, notamment en raison des vents. Nous avons un contrat d’assistance qui va permettre de savoir, par packs-temps extrêmement fins, quel seuil de vent va être dépassé et pendant combien de temps. On l’a fait pour le stade de France ou pour le pont de Normandie. Nous sommes également sollicités, dans le même ordre d’idées, pour les études d’implantation de sites industriels. Nous sommes capables de faire des simulations sur la totalité de l’environnement. Nous avons des modèles allant jusqu’à la dizaine de mètres de résolution.Dans le détail, ça sert à quoi un produit comme Next Weather, développé avec Euronext ?Nous avons un indice de température sur 5 villes françaises représentatives et un indice national. Next Weather publie ces informations. Supposons, un voyagiste qui exploite un village de vacances en montagne. Il sait que si la température moyenne est au-dessus de 8?’, il perd un certain niveau de recettes. Une fois l’information connue, l’idée est de proposer, dans un premier temps, des contrats d’assurance sur les pertes d’exploitation, et non plus directement contre la météo. Le contrat est ce qu’on appelle “un tunnel”, avec un seuil bas et un seuil haut. Si la situation a été plus favorable que prévu, on doit une sur-prime à l’assureur. On peut ainsi coter le risque. On peut spéculer dessus, comme on spécule sur les taux d’intérêts. C’est ce qu’on appelle un produit dérivé climatique. On estime qu’en 2001, les dérivés climatiques en Europe ont représenté 7 milliards de dollars et 10 fois plus aux États-Unis. En transactions pures, pas sur les contrats d’assurance.Compte tenu de ces évolutions, de l’importance croissante de la variable météo dans l’économie, est-ce que la structure de Météo France peut être amenée à évoluer dans les prochaines années ? Son statut d’administration a-t-il déjà vécu ?Cet établissement public a beaucoup évolué depuis 1994 et il a atteint les objectifs ambitieux qu’il s’était fixés. La subvention de l’État a augmenté de 5 % alors que l’ensemble de notre budget a grimpé de 40 %. Mais il faut avoir conscience que le poids de l’infrastructure de base pour l’observation ?” le matériel comme le haut niveau technique du personnel ?” fait qu’on ne peut pas imaginer qu’il puisse être financé par le marché seulement.

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Philippe bonnet