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J’ai testé le livre qui tombe en panne

Il coûte cher, il est lourd, craint l’eau, le sable et les pannes. L’e-book n’est pas (encore) le compagnon idéal. Pourtant, il permet d’emporter trente livres à la fois ou de retrouver rapidement une citation…

C’est un drame de la mésentente dont on parle trop peu : l’un aime lire au lit, l’autre ne peut s’endormir que dans le noir absolu. Des milliers de couples sont concernés, voire des millions, on manque de statistiques précises. En général, ils ont tout essayé pour s’en sortir : ils ont écumé le rayon luminaires du BHV à la recherche d’une lampe de mineur, ils ont risqué leur vie avec la fameuse mais dangereuse technique de la serviette posée sur l’abat-jour, ils ont testé les masques de toutes les compagnies aériennes. En vain. Eh bien, pour ces foyers désunis, le xxie siècle commence très bien. Car voici enfin la solution à cette terrible tragédie domestique : l’e-book (livre électronique, dans la langue de Molière). Avec ce nouvel objet high-tech, non seulement il est possible de lire sans aucune source de lumière autre que celle de l’écran, mais l’exercice s’avère étonnamment confortable. Et même excitant !

Un seul e-book est aujourd’hui disponible en France : le Cybook

Imaginez-vous plongé dans un polar dans une obscurité totale ! Rien à voir avec la lecture sur un ordinateur. D’accord, le seul appareil capable de cette performance pour le moment disponible en France, le Cybook de la société Cytale, coûte 5 800 francs. Mais, au prix du mètre carré, c’est finalement moins cher que de faire chambre à part. Et plus convivial, bien évidemment !Je ne plaisante pas : cette utilisation de l’engin est une de celles que nos amis américains, qui ont pris un peu d’avance sur nous dans l’e-lecture, apprécient le plus. Autres cibles privilégiées des constructeurs : les personnes âgées et les malvoyants pour lesquels les livres classiques sont imprimés en trop petits caractères (sur un e-book, on choisit la taille de la police). Ou les expatriés qui peuvent ainsi télécharger des ouvrages et certains journaux. Le Monde tout frais tous les jours quand on habite à Canton, ça vous supprime illico le mal du pays ! Ou encore, les lecteurs compulsifs qui, dixit la brochure, ” enragent que leur librairie soit fermée la nuit “. Là, on a un peu plus de mal à y croire, mais, admettons, il y a des fous partout.Fort bien. Mais si on n’est ni senior, ni exilé, ni dominé par d’étranges pulsions, ni doté d’un conjoint irascible, à quoi peut bien servir cet appareil ? Mérite-t-il de rejoindre dans nos cartables déjà encombrés le mobile, le PDA et le portable ? Est-ce que, dans quelques mois, on s’exposera aussi sûrement au ridicule en ouvrant un poche dans le métro qu’aujourd’hui en notant ses rendez-vous sur un agenda en papier ? Bref, je sens bien que la question vous brûle les lèvres, l’e-book va-t-il remplacer le livre ? Mis à part quelques extrémistes de la branchitude, il n’y a pas grand monde aujourd’hui pour croire à cette idée. Même les plus fervents supporters de l’e-book, à savoir ceux qui les fabriquent, se défendent de vouloir concurrencer le vrai livre avec des vraies pages. Il faut dire que, dans l’état actuel des choses, ils auraient du mal. Parce que le poids et surtout la forme de la chose rendent son usage très inconfortable, au-delà de quelques minutes, s’il faut le tenir à bout de bras. Sur un vol Paris-Londres par exemple, où l’on passe la moitié de son temps debout dans les aéroports, vous risquez de vous ennuyer ferme d’autant que le commandant vous priera de ne pas lire pendant le décollage et l’atterrissage, soit 80 % du vol.

Pas de Napster de la littérature en vue pour les bibliophiles fauchés

Car, bien sûr, l’e-book est un objet électronique. Pour le pire : risques de panne, de casse, de vol, d’autoréinitialisation sauvage, de batteries à plat juste au moment où l’on aborde le dernier chapitre d’un thriller. Tous risques ?” l’avez-vous remarqué ? ?” assez rarement encourus par un livre classique. Par ailleurs, l’e-book déteste l’eau, le sable et, d’une manière générale, le manque de soins attentifs, ce qui limite le choix de votre style de vacances. Et le prix des livres, direz-vous ? Compte tenu des économies d’impression et de distribution, ils doivent être drôlement intéressants, voire… gratuits. On arrête de rêver. Il n’y a pas et, à voir les précautions que prennent les éditeurs, il n’y aura probablement pas de Napster de la littérature. Résultat : pour le moment, le prix des livres électroniques est à un chouia près le même que celui pratiqué par les libraires. Exemple : Les Rivières pourpres de Jean-Christophe Grangé coûtent 120 francs en version e-book et 123,50 francs à la Fnac. Pour amortir le prix de l’appareil, il faut donc lire trois livres par mois pendant… quarante-six ans.Reconvertir vos étagères en bois de cheminée serait donc tout à fait prématuré. À l’horizon visible ?” est-ce un soulagement ou une déception ? ?”, les livres ne disparaîtront pas. Pour autant, acheter un e-book est extrêmement tentant. En effet, s’il est incapable de rivaliser avec son ancêtre pour une utilisation courante et classique, il l’enfonce sur d’autres terrains. Celui de la lecture active, d’abord. Tous les appareils permettent ainsi de surligner des passages, d’écrire des mémos dans la marge, de consulter à tout moment un dictionnaire, de marquer des pages, de rechercher un mot dans tout l’ouvrage (ce qui peut être pratique si vous ne vous souvenez plus qui est qui dans une longue saga, par exemple). Quiconque a déjà passé des heures à tenter de retrouver dans sa bibliothèque une citation ou le passage d’un livre (mais lequel ? où est-il ? à quelle page était-ce ?) comprendra l’intérêt de ces fonctionnalités. Vous voulez un aperçu ? Rien de plus facile. Téléchargez le logiciel gratuit Acrobat eBook Reader (disponible pour PC ou Mac) sur le site adobe.com, téléchargez sur 00h00.com le livre gratuit du mois et amusez-vous.

Problème : chaque appareil ne lit que son propre format de livre

Vous pourrez aussi demander au logiciel de lire l’ouvrage à haute voix. Ou mieux de lire à votre place et pour la 112e fois Petit ours brun joue dans son bain à votre petit dernier. Celui-ci risque toutefois d’être dérouté, voire un peu effrayé, par la voix austère du narrateur.Autre atout maître de l’e-book : sa capacité de stockage, variable selon les appareils, mais évidemment largement supérieure à ce qu’un être humain normalement constitué peut trimbaler avec lui sans risquer la scoliose. Voilà qui intéressera le dévoreur de livres qui ne veut pas surcharger ses valises mais aussi l’amateur d’art qui pourra visiter le Metropolitan Museum avec une documentation de marchand d’art ou plus simplement le touriste qui a besoin de plusieurs guides pour voyager intelligent. Des micro- usages certes, mais pour lesquels l’e-book est champion.Ou, plus exactement, sera champion le jour où l’offre de titres au format numérique s’étoffera. Pour l’instant, elle est extrêmement faible. Une recherche pour alimenter un Cybook en romans ne donnait, en février, le choix qu’entre quelques dizaines de titres. On se croirait dans l’épicerie-buvette-librairie d’un trou particulièrement paumé. Mais, pire que tout, l’offre de livres est morcelée. Car, et c’est là que les choses se compliquent sérieusement, il existe plusieurs formats de livres numériques, et chaque appareil lit le sien et souvent le sien seul (voir tableau page précédente). Du coup, choisir un e-book aujourd’hui, c’est un peu comme acheter une télévision qui ne diffuserait que certaines chaînes et, de plus, sans connaître leurs intentions de programmation. L’offre de titres en anglais (au format Rocket E-Book) est, certes, beaucoup plus fournie mais là, pas de chance, c’est l’appareil qui manque : il ne sortira en France qu’à la fin de l’année. Dommage parce que le catalogue est alléchant. Avez-vous déjà lu In search of lost time d’un certain Marcel Proust ?

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Sylvie Bommel