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Jacques Attali : ” Internet accélère la panique sur les marchés financiers “

Des millions de petits investisseurs ont eu accès aux marchés financiers grâce à Internet. Est-ce que cela a eu un impact sur les mécanismes de la Bourse ?

Acheter des actions au bout du monde, sans délais et à moindre frais. Découvrir les perles des marchés, comparer le potentiel de chaque société cotée, suivre en direct les cours sur son PDA. Internet a, semble-t-il, transformé le petit actionnaire, père de famille, en trader surinformé. Le réseau lui a ouvert l’accès à cette arène jusqu’à présent réservée à une petite élite toujours en avance d’un coup.Des millions de petits investisseurs y ont cru. Certains ont misé sur des coups de c?”ur, d’autres ont préféré le coup de poker. En vingt-quatre mois de folie, le Nasdaq a crevé tous les plafonds, puis s’est effondré. Les petits actionnaires en sont pour leurs économies. Au moment où des plaintes se forment aux Etats-Unis, mettant en cause l’optimisme complice des analystes, 01net. a voulu mieux comprendre ce qu’Internet avait vraiment changé sur les marchés financiers.Jacques Attali nous livre son analyse, et anticipe les bouleversements des décennies à venir.
01net. : En quoi Internet a-t-il bouleversé les marchés financiers ?



Jacques Attali : On ne peut pas tirer de conclusions sur cette question aujourd’hui. Internet n’en est qu’à ses débuts. Il faut du temps. C’est comme si, à l’époque de la découverte de l’Amérique, on avait, trois ans après l’arrivée de Christophe Colomb, dit que le Nouveau Continent ne valait rien.Cependant, Internet a accéléré les mouvements de mode et de panique sur les marchés financiers. On sait depuis longtemps que le marché suit des modes. Si on ajoute à cela l’impatience qui caractérise notre époque et l’accélération des échanges rendue possible par Internet, il est probable que l’enchaînement entre les grands cycles économiques va aller de plus en plus vite.La désillusion du Nasdaq, est en ce sens emblématique. Pour preuve, le cours du Nasdaq aujourd’hui est 10 fois supérieur à ce qu’il était en 1997.Justement, Internet a-t-il joué un rôle dans l’évolution du mythe du Nasdaq ?Internet a eu un double effet sur le Nasdaq : 70 % des titres étaient des titres d’Internet, et une partie très marginale de leur commercialisation s’est faite sur Internet. Comme vecteur d’information, Internet a sans doute amplifié ce qu’on lisait dans la presse. Cela dit, on avait vu de telles spéculations monter bien avant le Web.A qui a surtout profité la bulle du NASDAQ ?Aux initiés qui ont su entrer avant les autres et sortir tôt. La différence entre un initié et un suiveur, c’est que l’initié vend quand la valeur monte, pas quand elle descend. La bulle a profité aux fondateurs des entreprises, aux initiés qui sont sortis à temps.L’investissement des petits porteurs a-t-il influé sur le comportement des valeurs ?Pas vraiment. Du point de vue de la mécanique financière, Internet a surtout joué un rôle d’accélérateur des transactions à l’intérieur des marchés. Du point de vue des petits porteurs, en revanche, le Web est apparu comme une promesse de valeurs pour les titres Internet, surtout aux Etats-Unis. Le fait de pouvoir jouer par Internet a été perçu comme une simplification de l’accès au jeu de bourse. Des millions de gens ont commencé à jouer par le biais d’Internet.De grands courtiers comme Schwab ont créé leurs sites d’achat et de vente de valeurs Internet. A cet égard, Schwab faisait même plus que cela puisqu’il proposait aux gens d’emprunter pour acheter plus d’actions sous prétexte que ces porteurs faisaient de petits bénéfices. A ce moment précis, la mécanique est devenue extrêmement dangereuse. C’est comme ça qu’est née la bulle Nasdaq.Le comportement des particuliers a-t-il évolué grâce aux informations financières qu’on trouve sur Internet ?Oui, dans la mesure où Internet donne cette information en direct. Mais si vous regardez un événement en direct, vous n’êtes pas mieux éduqué que si vous le regardez en différé. Le grand danger actuel est donc la réaction en direct sans intermédiation. Elle donne à tout un chacun l’impression qu’il peut être un courtier professionnel. A contrario, le différé permet au moins de se poser des questions.Si la rapidité de réaction compte pour faire des gains, il ne faut surtout pas oublier que seuls les grands spécialistes sont en mesure de faire des choix rapides et valables.Des sites de conseils aux petits porteurs leur permettront-ils de se comporter comme des initiés dans le futur ?Internet est en train de créer les conditions pour que des acteurs, plus ou moins compétents, de l’univers financiers se posent comme conseillers des petits porteurs. On voit dans l’évolution des sites boursiers qu’ils ne sont plus simplement des lieux où l’on peut acheter des actions ou des titres, mais qu’ils deviennent de plus en plus des sites de conseil, de formation.Le maître mot de la nouvelle génération de sites Internet, c’est la prescription, la formation. Les gens vont donc progressivement aller chercher sur Internet le conseil le plus honnête. On voit cela sur Boursorama, Consors, et tous ces sites qui donnent de véritables dimensions de formation.Mais comme il n’y a aucune législation, aucune réglementation à l’échelle internationale, on peut dire et lire tout et n’importe quoi sur Internet, du conseil absurde au faux délit d’initié. A supposer qu’on sorte de ce monde sauvage par une réglementation internationale sur les sites boursiers, on pourrait arriver à un monde où Internet soit véritablement un lieu d’apprentissage et de gestion de fortunes intelligente, quitte à ce que ça se réduise à savoir à quel gestionnaire confier son argent.Internet contribue-t-il à une internationalisation des flux financiers ?Oui. Il n’y aurait pas eu de globalisation et de dérégulation des marchés financiers sans Internet. La vitesse qui caractérise le Web favorise d’autre part la précarité de ces derniers. Jusqu’à présent, les marchés étaient contrôlés par les législations nationales. Avec l’internationalisation et l’instabilité actuelles, la demande d’instrument régulateur est forte. Deux options se posent pour le futur : un reflux de la mondialisation, ou au contraire un système de régulation qui imposera des normes, notamment à la nature de l’information financière qu’on trouve sur Internet.L’arrivée du grand public sur les marchés financiers peut-elle modifier les critères d’investissement dans les entreprises, introduire des critères éthiques par exemple ? A l’échelle mondiale 60 % des ressources financières sont entre les mains des fonds de pension et des institutionnels. Les petits porteurs ne représentent que 30 %. En ce sens, le grand public ne pèse pas lourd dans l’actionnariat des sociétés. Ce sont les fonds de pension et les actionnaires institutionnels qui représentent une force, face aux conseils d’administration. Mais les petits porteurs pourront se faire entendre par l’intermédiaire des fonds de pension qui doivent déjà justifier de leurs investissements sur des critères éthiques auprès de leurs actionnaires.A moyen terme, les entreprises pourront donc être fragilisées sur les marchés si elles ne développent pas des politiques socialement responsables.Et l’investissement pour des actions de développement durable ?C’est ce qu’on appelle les fonds à usage éthique. Cela ne représente même pas un pour mille des investissements à l’heure actuelle. En revanche, d’ici à 50 ans, ce type d’investissement sera majoritaire. Cela viendra de la prise de conscience d’une interdépendance mondiale où la gratuité a toute sa place. On passera de façon provisoire par une économie des ONG, où l’investissement aura pour but premier l’entraide et non plus seulement le profit. Internet jouera un rôle capital pour la diffusion de la culture de ce nouveau rapport à l’investissement qui signera à terme l’arrêt de mort du capitalisme.

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Mélusine Harlé