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J. Chirac, président de la République : ” On peut encadrer le progrès technologique sans le freiner “

Après Lionel Jospin, le Président a choisi Le Nouvel Hebdo pour exposer sa vision de la société de l’information. Internet, rôle de l’entrepreneur, fiscalité, privatisation de France Telecom, télévision numérique terrestre, UMTS… Il passe en revue les principaux dossiers. Tout en critiquant le bilan gouvernemental.



Le Nouvel Hebdo :
En décembre dernier, dans un entretien au Nouvel Hebdo, Lionel Jospin annonçait sa volonté de faire de la France la première économie numérique européenne. C’est un objectif qui vous convient ?
Jacques Chirac : L’objectif est le bon. Mais M. Jospin ne donne pas aujourd’hui à notre pays les moyens de l’atteindre. Le rôle d’accompagnement des pouvoirs publics dans la création d’entreprise doit être significatif puisqu’il s’agit d’alléger tout ce qui empêche ” le passage à l’acte “.Êtes-vous favorable à une grande loi sur la société de l’information, ou faut-il se contenter d’adapter ponctuellement notre cadre juridique ? Un projet de loi existe. Il sera examiné au Parlement et éventuellement amendé pour tenir compte des évolutions des derniers mois. Je regrette que le gouvernement, consacrant pendant quatre ans son énergie à bâtir cette cathédrale législative, ait laissé se développer l’internet en dehors d’une régulation adaptée. La net économie se caractérise par une montée en puissance de la propriété intellectuelle. Notre système de droits d’auteur pourra-t-il longtemps rivaliser avec le régime anglo-saxon du ” copyright ” ? Les technologies de l’information sont un extraordinaire moyen d’élargissement de l’accès à la culture. Cette dimension culturelle est au c?”ur de mon ambition pour la France. Je souhaite que notre culture et notre langue prennent toute leur place sur l’internet.Quels moyens financiers et juridiques, à l’instar de ce qu’il est convenu d’appeler l’amendement Messier, faut-il mettre en ?”uvre pour permettre aux Français d’accéder aux technologies de l’information ? Il ne suffit pas de constater le coût de l’équipement et de l’accès à internet, le regretter et attendre. Je souhaite mettre en ?”uvre un programme national d’équipement en ordinateurs communicants. Il concernera en priorité les familles défavorisées, afin que tout enfant rentrant au collège puisse bénéficier à la maison de cet outil de plus en plus indispensable. Faut-il revoir le régime fiscal permettant d’investir dans des entreprises de croissance, qu’elles soient déjà cotées ou en création ? Des efforts importants doivent être faits pour dégager des financements en faveur de la création d’entreprises. Ce sont eux qui ont permis le formidable boom de la net économie. Je veux renforcer les incitations fiscales pour orienter l’épargne de proximité vers l’investissement dans les nouvelles entreprises.Pensez-vous qu’il faille établir une autorité de contrôle de l’internet ? Si oui, cette tâche doit-elle revenir au CSA, à l’ART ou à la Cnil ? Nous avons déjà trois autorités indépendantes qui régulent l’internet. Et aussi le Conseil de la concurrence, très actif sur le secteur des télécoms. Les coopérations entre ces autorités doivent se renforcer, mais je n’éprouve pas le besoin de créer une autorité supplémentaire.Combien de foyers français devraient être connectés au net, à la fin du prochain quinquennat en 2007 ? L’objectif que je me fixe est celui d’un ordinateur par famille d’ici à 2007. L’ordinateur communicant est l’encyclopédie universelle du XXIe siècle. Dans les universités, l’objectif est d’un ordinateur par étudiant. Au collège et au lycée, un ordinateur pour 3 élèves d’ici à 5 ans.Revenons à l’économie numérique. Le gouvernement soutient fortement la mise en place d’un réseau de télévision numérique terrestre. Vous êtes d’accord avec ce projet, fortement critiqué par TF1 et M6 ? La télévision numérique terrestre est une avancée technologique inéluctable. Elle est surtout l’occasion de permettre aux Français un accès à une offre élargie de programmes. Doit-on réserver en priorité les canaux créés par la TNT à des chaînes gratuites ou payantes ? Au terme de ses analyses, le Conseil supérieur de l’audiovisuel est arrivé à la conclusion que la meilleure formule était celle d’un équilibre entre les chaînes gratuites et les chaînes payantes. À mes yeux, il est très important que cette nouvelle technologie permette aux Français de bénéficier de nouvelles chaînes gratuites. Dans le secteur des télécoms, êtes-vous favorable à une privatisation totale de France Telecom ? France Telecom est devenue une entreprise puissante en Europe, dans un marché européen unifié et ouvert à la concurrence. Il est vital que France Telecom puisse nouer des partenariats industriels stratégiques et lever les fonds dont elle a besoin. Il est donc possible, en fonction de l’intérêt de l’entreprise, que l’État réduise sa participation au capital. En dehors de ce secteur, l’État doit-il conserver des participations dans des entreprises de technologie, comme Thomson Multimedia ou ST Microelectronics ? L’État doit gérer son patrimoine de manière intelligente et dynamique dans l’intérêt des entreprises en cause. Il ne doit pas s’interdire de vendre telle ou telle participation s’il le juge nécessaire. Une large part de la vente de ces actifs sera affectée au financement du fonds de réserve des retraites.Pensez-vous que les conditions de la vente des licences de téléphone UMTS pourraient entraîner un échec de la troisième génération de téléphonie mobile ? La gestion du dossier de l’UMTS par le gouvernement, opportuniste et dépourvue tant de logique économique que de vision industrielle, a pendant de longs mois perturbé le secteur de la téléphonie mobile. Je me félicite que le gouvernement soit revenu, en définitive, à des tarifs de licences plus raisonnables. La France entre dans la société de l’information. Qu’est-ce que cela signifierait pour vous d’être le premier président de la République de cette nouvelle ère ? Je mesure à la fois la chance que cela représente et la responsabilité qui m’incombe. Nous devons porter une ambition dans ce domaine pour ” une France numérique ” qui innove et qui entreprenne.

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Propos recueillis par Nicolas Arpagian