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Interview – Nintendo : « Nous ne sommes pas concurrents d’Apple »

A l’occasion de la sortie le 30 novembre prochain de la Wii U, nous avons rencontré Shigeru Miyamoto, le célèbre créateur de Mario et Zelda. Il explique la vocation de l’étrange nouvelle console de Nintendo, qui intègre un écran tactile dans sa manette.

Après la succès colossal de la Wii, qui a ouvert le marché à un nouveau public, en brouillant au passage certaines frontières traditionnelles du jeux vidéo, et inspiré un infléchissement dans la stratégie de ses concurrents, Nintendo tente une nouvelle révolution avec une console atypique à plus d’un titre, la Wii U. Elle s’inscrit à la fois dans la continuité de la Wii, tout en jouant une carte qui mélange habilement innovation et quintessence du savoir-faire du géant nippon.

Nous avons eu l’occasion d’interviewer Shigeru Miyamoto, géant qui règne sur bon nombre des décisions prises par Nintendo. Des origines de la console à ses fausses ressemblances avec les tablettes, en passant par la philosophie bien particulière de Big N, nous avons fait le point avec le maître des lieux.

01net : Comment est née l’idée de la console ?

Shigeru Miyamoto : Elle a suivi un ordre logique. Dès que la Wii a connu le succès, on a commencé à réfléchir. On s’est dit qu’on pouvait aller plus loin dans le registre de la console que l’on pose au centre du salon et qui fait partie de la vie quotidienne. Les gens jouent à la Wii, très bien, mais j’étais convaincu qu’ils pourraient l’utiliser mieux. Par exemple, je m’imaginais au départ qu’ils rentreraient chez eux et que la première chose qu’ils feraient, c’est allumer la console pour voir si leur mère leur avait laissé un message. Mais ce n’est pas vraiment l’utilisation qu’en ont ses possesseurs…
Avec la Wii U, le but était donc de les impliquer davantage, d’où l’idée d’un écran supplémentaire. Le plus logique, c’était de l’ajouter à la manette.

La Wii U...
La Wii U… – La Wii U…

01net : A l’annonce de la Wii U, beaucoup ont estimé que Nintendo copiait Apple et l’iPad. Nous avons plutôt eu l’impression que la console est le prolongement d’une vieille idée née sur GameCube, celle de Pac-Man Versus, dans lequel les joueurs branchaient quatre GameBoy Advance pour s’affronter sur grand écran.

Shigeru Miyamoto : Vous avez parfaitement raison. La Wii U n’a rien à voir avec l’iPad. Ce n’est sûrement pas cet appareil qui nous a inspiré, et pour cause, je n’ai pas d’iPad (rires) ! Pour aller plus loin, je dirais que quand on a créé Pac-Man Vs et Zelda Four Sword, on a vu qu’il y avait un potentiel ludique.

Mais le problème est qu’ils n’ont pas fonctionné, pour des raisons pratiques évidentes. Il fallait plusieurs GameBoy Advance, des câbles, etc. Sur 100 personnes, il n’y en a guère que 10 qui pouvaient y jouer. Et 8 qui les ont peut-être aimés. 8 sur 100, pour un concept, ce n’est pas viable !

Alors qu’avec la Wii U, on a créé un écosystème dans lequel les 100 personnes dont je parlais peuvent toutes profiter de cette expérience. J’ai espoir qu’il y en aura dedans au moins 80 pour trouver ce genre de jeu intéressant !

01net : A vous entendre, on peut avoir l’impression que Nintendo ne fonctionne pas comme les autres firmes, et a plutôt tendance à aller chercher l’innovation dans ses vieux cartons plutôt qu’ailleurs.

Shigeru Miyamoto : Notre philosophie, c’est effectivement de se dire que quand une idée  ne marche pas, cela ne veut pas dire qu’elle est absolument mauvaise. Bien sûr, on va la ranger dans un carton, mais on ne la jette pas dans les oubliettes. Nous pouvons revenir dessus plus tard pour nous donner les moyens de la réaliser, peut-être parce que nous avions eu l’idée trop tôt, ou qu’elle ne convenait pas à son époque, ou aux moyens disponibles.

Je ne suis pas seul à avoir cette philosophie, et elle permet de se renouveler tout en restant fidèle à soi-même. C’est ce que je dis à nos jeunes créateurs : il ne suffit pas d’avoir des bonnes idées, ou des mauvaises idées et de les jeter. Le plus important est de les analyser. On a tous eu des idées moins bonnes que les autres, mais qui peuvent plus tard se révéler utiles une fois remaniées. Pensons à la Pitcher Machine, de Nintendo, qui s’est transformée en baseball dans Wii Sports. Il y a toujours moyen de réutiliser les idées. C’est une des philosophies principales de Nintendo et la mienne.

01net : Et aujourd’hui, quelle est la vocation de la Wii U au sein de l’écosystème très riche des nouvelles technologies ?

Shigeru Miyamoto : La Wii U se prête aux jeux au gameplay asymétrique, mais surtout elle se veut l’extension de ce que font les gens dans leur salon aujourd’hui. Le divertissement, ce n’est pas seulement le jeu vidéo. Elle représente un produit qui fait la liaison entre les différentes utilisations qu’ont les gens d’Internet. Par exemple, beaucoup de personnes font des recherches de vidéos sur YouTube ou d’articles sur le Web, mais cela n’a pas d’intérêt de montrer ces recherches. Ce qui est intéressant, c’est de montrer le résultat.

Avec la Wii U, c’est possible : vous cherchez quelque chose de drôle sur la tablette, puis quand vous l’avez trouvé, vous pouvez le partager sur l’écran du téléviseur familial. Pour moi, la Wii U réunit les fonctions d’une console et d’un ordinateur portable. Au-delà de ce qu’elle va apporter au jeu vidéo, elle prolonge vraiment la manière de consommer les nouvelles technologies dans le séjour.

01net : Cela fait-il de Nintendo un concurrent d’Apple ?

Shigeru Miyamoto : Vous savez, mon but est que Nintendo soit une société qui n’ait pas de rival, donc je ne vois pas Apple ainsi. Je dirais simplement que nos deux sociétés ont créé par hasard deux appareils qui se ressemblent mais restent différents. Et puis Apple est une société qui fait du hardware et des systèmes d’exploitation, alors que Nintendo produit du software. Nous sommes des sociétés très différentes.

Shigeru Miyamoto
Shigeru Miyamoto – Shigeru Miyamoto

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William Audureau