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Intercontrats : les salariés des SSII font les frais de la crise

Certaines sociétés licencient ou incitent leurs salariés à partir pour réduire les périodes d’inactivité entre deux missions. Ce qui n’empêche pas de rechercher d’autres solutions.

Les SSII renoueraient-elles avec leurs vieux démons ? Licenciements, incitations au départ, périodes d’essai interrompues… Syndicats et salariés s’inquiètent des méthodes actuellement employées par les sociétés de services pour réduire artificiellement leur taux d’intercontrats, soit la période d’inactivité des informaticiens entre deux missions. Autant de pratiques qui avaient été dénoncées au plus fort des crises de 1987 et 1993.La crise actuelle a débuté en septembre 2001 pour se poursuivre au premier trimestre de 2002. D’après la place de marché HiTechPros, l’offre en prestations informatiques est, depuis janvier dernier, deux fois supérieure à la demande, avec un pic à 300 % à la mi-mai. Nombre de projets sont annulés ou différés, et ceux qui passent en appel d’offres font l’objet d’une concurrence accrue, les SSII n’hésitant pas à brader leurs tarifs.

Des réductions d’effectif larvées

En attendant la reprise ?” espérée désormais pour 2003 ?”, le taux d’intercontrats oscillerait, de l’aveu même des dirigeants interrogés, entre 7 et 20 % des effectifs. Soit au moins le double du taux naturel couramment admis. La durée même de ces intermissions s’est allongée pour atteindre couramment deux ou trois mois. Ce durcissement du marché se traduit sur le terrain social par un tarissement des embauches et un gel des salaires, mais également par des réductions d’effectif larvées.Un délégué syndical CGT d’un major français a ainsi dénombré “neuf licenciements par mois sur l’établissement Ile-de-France “. Un représentant du personnel d’une tout aussi grande société a, quant à lui, récemment défendu quatre dossiers, chacun en intercontrat. Dans tous les cas, le nombre mensuel des congédiés ne dépasse pas les dix ?” seuil qui rendrait obligatoire un plan social. Pour des questions de coût et d’image, les SSII se refusent, en effet ?” sauf dernière extrémité ?”, à tout licenciement collectif. Elles optent plus volontiers pour le licenciement individuel ou le départ forcé.Un ancien employé de SSII dénonce, quant à lui, certaines méthodes de dégraissage. “Parmi les plus fréquentes, on trouve la mission à l’autre bout de la France. Tenu par une clause de mobilité nationale, le muté, même marié avec enfants, ne peut se dédire. Pour entraîner des démissions, le management n’hésite pas à excercer des pressions sous couvert de phrases assassines, du type ” tu n’as plus ta place dans l’organigramme ” “.

Les jeunes recrues et les seniors sont mis sous pression

Autre moyen de déstabilisation : confier des missions sous-qualifiées. A son tour, ce représentant CGT a ainsi vu “un ingénieur réseaux faire du câblage ou des techniciens bureautiques décharger des camions “. En fin de parcours, et après avoir adressé un ou deux avertissements, la SSII procède au licenciement pour “insuffisance professionnelle “. Pour justifier ce motif, le discours se fait volontiers accusateur : “Nous avons perdu le contrat par ta faute.” Et, “pour appuyer la décision, la direction n’hésite pas à solliciter le témoignage de l’entreprise cliente “, avance encore un délégué du personnel CGT d’une autre SSII. Une pratique qui agréerait d’ailleurs les deux parties, le client pouvant plus aisément rompre son contrat.Dans cette guerre psychologique, les jeunes recrues se montrent les plus vulnérables. A l’image de cette jeune diplômée en biomathématiques fraîchement convertie à l’informatique. A la veille de son entrée en fonction et après deux mois de formation, elle reçoit un pli recommandé dénonçant son contrat pour des raisons économiques. Ce dernier l’engageait pourtant pour trois ans. Aujourd’hui, elle hésite à attaquer aux prud’hommes, ses frais d’installation province-Paris n’ayant toujours pas été remboursés, comme la SSII l’avait promis. Autre population en ligne de mire : les seniors. A quarante-deux ans, un ingénieur études et développement vient de vivre son second licenciement en SSII. En mars dernier, son employeur rompait son contrat en deuxième période d’essai. Un renouvellement dont il n’aurait pas été tenu informé. “En entretien préalable, le gérant de l’agence m’a reproché mon manque de productivité entre juillet et novembre, alors que j’ai été embauché… en septembre.” Pour lui, l’affaire est entendue : le projet sur lequel il travaillait arrivait à son terme, et son salaire ?” le double de celui d’un jeune sur le marché ?” devenait trop lourd à supporter.Si ce tableau est noir, il reflète aussi la complexité de la situation de crise qui affecte l’ensemble du secteur des services informatiques. Les méthodes peu orthodoxes pour réduire les sureffectifs présentées ci-dessus ne sont souvent pas exclusives de la recherche de solutions de compromis, où employeurs et salariés tentent de trouver d’autres méthodes pour optimiser les temps morts entre deux missions.

Une mise à profit intelligente des périodes de latence

Au moment où la mobilisation commerciale est générale, les informaticiens sont ainsi priés de participer à la pêche aux contrats. “Nos collaborateurs constituent notre principale source de renseignement, estime Jean Vaucenat, DRH de Logica. Ils peuvent nous remonter des informations en provenance de nos clients, susceptibles de déboucher sur de nouvelles missions.” Les ingénieurs de Cap Gemini & Ernst and Young (CG&EY) sont aussi encouragés à soutenir l’avant-vente ou à répondre aux appels d’offres. Une action commerciale qui, si elle se concrétise, peut déboucher sur une prime, comme chez Sys-com SI.Les périodes de latence sont également mises à profit pour dispenser des formations, voire des migrations de compétences, les salariés en intercontrat étant plus souvent des spécialistes des grands systèmes que des mondes client-serveur ou Java. “Grâce à notre structure de formation interne, nous pouvons rapidement mettre en ?”uvre des sessions de quelques semaines “, affirme Christian Mons, directeur général de Transiciel. Un discours que réfute Bertrand Ducurtil, DG de Neurones. “Un plan de formation se décide d’une année sur l’autre. Etre en intermission n’induit pas que l’on doive être formé à tout et à n’importe quoi. Quant à l’autoformation qui consiste à mettre des PC en libre-service, cela s’apparente à du bricolage, et non à une démarche qualité.”Autre piste : affecter le personnel sur le banc de touche aux projets internes.“Mais, attention, il ne s’agit pas d’activités bouche-trous ou intérimaires, souligne Jean-Michel Rale, DRH de CG&EY France. Ces projets doivent être gérés comme ceux réalisés en externe et faire l’objet d’évaluation à leur issue.”Enfin, certaines SSII profitent de la disponibilité accrue de leurs cerveaux pour capitaliser sur leur savoir. Sys-com SI a ainsi créé une entité baptisée “capital immatériel” au sein de sa direction R&D. “Les salariés en intercontrat participent à l’élaboration de nouvelles offres, collectent l’information terrain et alimentent la base de connaissances “, explique Stéphane Morvillez, son PDG.Quelle que soit la nature des tâche confiées aux informaticiens en intercontrat, l’essentiel est de maintenir le moral des troupes et de garder intact le lien avec l’entreprise. Anxiogène, voire source de culpabilisation, ce “chômage technique” est d’autant plus mal vécu qu’il est subi de façon isolée, à domicile. Les jeunes collaborateurs auxquels les SSII ont promis monts et merveilles méritent ce soutien.

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Xavier Biseul