Passer au contenu

Intel ou l’épopée du microprocesseur

Technologie de pointe, alliances judicieuses et marketing musclé… le leader de la puce électronique a su garder la haute main sur ce marché pendant plus de quarante ans.

“ L’année 2010 a été la meilleure de l’histoire d’Intel, s’est félicité Paul Otellini, directeur général du numéro un mondial des microprocesseurs, lors d’une téléconférence qui s’est tenue en janvier à l’occasion de la publication des résultats annuels de la société. Et nous pensons que 2011 sera encore meilleure. ” Avec un bénéfice net qui a quasiment triplé en 2010, à 11,7 milliards de dollars, l’optimisme est de mise pour cette entreprise de référence au meilleur de sa forme. Le résultat de plus de quatre décennies de recherche et de développement, marquées d’éclatants succès commerciaux et de quelques déboires financiers et juridiques. L’histoire d’Intel se confond avec celle du microprocesseur, dont la société a fait son fer de lance après l’avoir inventé en 1971.Retour au printemps 1968, l’année où trois transfuges de Fairchild Semiconductor, une société américaine de circuits intégrés, décident de créer leur petite entreprise. Le docteur en chimie Robert Noyce et le physicien Gordon Moore en posent les bases. Moore et Noyce avaient tout d’abord envisagé d’appeler leur société Moore Noyce, mais cela sonnait trop comme “ more noise ” (plus de bruit, en anglais), ce qui aurait pu nuire à la marque. Ils se rabattent sur le nom NM Electronics mais, l’année suivante, décident de le transformer en Integrated Electronics, dont Intel deviendra très vite la contraction. Ils seront rejoints quelques mois plus tard par le docteur en chimie Andrew Grove, un homme clé dans la stratégie de la société, et qui prendra la tête de l’entreprise en 1979. Forts de leur expérience dans les composants électroniques, les trois passionnés s’attellent à la production de mémoire Ram (Random Access Memory), qui permet de stocker et de relire des informations binaires dans les ordinateurs. En 1969, un fabricant de calculatrices japonais, Busicom, leur commande la fabrication d’un circuit électronique pour une nouvelle calculatrice. Le projet est confié à un jeune ingénieur de la société, Ted Hoff. En 1971, il élabore le premier microprocesseur qui sera commercialisé sous le nom d’Intel 4004. L’aventure aurait cependant pu tourner court sans un coup de pouce providentiel du destin. Intel avait en effet cédé pour 60 000 dollars les droits du 4004 à Busicom. Mais l’entreprise nipponne doit faire face à de graves difficultés financières et demande à Intel de renégocier son partenariat. Intel, qui flaire alors tout le potentiel du 4004 sur des applications plus générales, lui propose de racheter les droits industriels et commerciaux… et en devient ainsi l’unique propriétaire. Une transaction déterminante qui marque le début de l’extraordinaire essor de la firme.Le microprocesseur, ce petit morceau de silicium composé de microscopiques circuits électroniques, va bientôt révolutionner les systèmes informatiques. Sa technologie est l’une de celles qui ont évolué le plus rapidement sous l’impulsion d’Intel. Il suffit pour s’en convaincre de recenser les développements successifs qui ont suivi le 4004. Dès 1972, Intel lance sur le marché le 8008, premier microprocesseur 8 bits, trois à quatre fois plus puissant. Puis, en 1974, sort le 8080, la première puce standard de l’industrie utilisée dans une unité centrale.

À l’assaut du 1er rang mondial

Avec ses 4 500 transistors, le 8080 affiche des performances multipliées par 10 par rapport à son prédécesseur et est capable de réaliser 290 000 opérations par seconde. “ Dès cette époque, il était évident pour beaucoup de gens que les applications des microprocesseurs étaient quasiment infinies ”, constatait Ted Hoff. En 1975, le 8080 équipe l’un des précurseurs de l’ordinateur personnel, l’Altair 8800. Dans le même temps, la concurrence s’active : Motorola et Zilog lancent des microprocesseurs aux fonctions similaires. Les dix années qui suivent voient Intel poursuivre son développement à l’international. Après avoir ouvert son premier bureau étranger à Paris en 1971, puis ceux de Copenhague, Munich et Stockholm, l’entreprise installe en 1974 son premier centre de design et de développement hors des États-Unis, à Haïfa, en Israël. En 1978, après dix ans d’existence, la compagnie compte 10 000 employés mais, malgré son expansion, elle ne se positionne qu’en dixième position sur le marché des circuits intégrés, loin derrière les Japonais comme Nec Semiconductor, alors numéro un mondial. C’est avec l’avènement des micro-ordinateurs “ compatibles PC ” que la firme s’envolera vers les sommets. Le lancement du 8086, premier processeur de la famille x86 ? devenue une référence pour les ordinateurs personnels, stations de travail et serveurs informatiques ? marque le début d’une nouvelle ère. Ce processeur 16 bits coûte 360 dollars, gère jusqu’à 1 mégaoctet de mémoire vive et s’appuie sur 29 000 transistors. La Nasa en équipe les systèmes de contrôle de la navette spatiale Discovery. Pour la petite histoire, Intel ayant arrêté sa production, la Nasa devra en acheter sur eBay en 2002. La version suivante, le 8088, moins chère, est choisie par IBM pour équiper le premier IBM PC en 1981. Apple lui préfère alors le processeur 68000 de Motorola. La marque à la pomme finira ? de longues années plus tard ? par changer son fusil d’épaule en dotant en 2006 tous ses Mac de processeurs Intel. Mais, dans les années 1980, le marché du PC n’en est qu’à ses prémices, et personne n’en mesure le fabuleux potentiel. Il va pourtant propulser Intel au rang de numéro un mondial des microprocesseurs. Et pour s’assurer de ne jamais manquer de ce composant stratégique pour ses machines, IBM va jusqu’à prendre une participation de 12 % dans le capital d’Intel.

Une nouvelle stratégie

Les concurrents d’Intel sont AMD, Cyrix et iDT. AMD a été le premier à concevoir sous licence des puces compatibles suite à un accord de licences croisées sur les brevets signés avec Intel en 1976. Pourtant, c’est par un autre biais qu’une période de turbulences va faire vaciller la firme. En 1985, toute sa filière des semi-conducteurs subit une violente crise de surproduction due à la prolifération de producteurs asiatiques qui saturent le marché. Le chiffre d’affaires d’Intel chute de 16 %, les bénéfices s’effondrent. Andrew Grove prend des mesures drastiques pour maintenir la société à flot : arrêt total de la production des mémoires vives (DRam), fermeture de sept usines de production. Les effectifs passent de 25 000 à 21 000 personnes. “ Un point d’inflexion stratégique ”, selon Andrew Grove qui décide alors de se recentrer sur les microprocesseurs. Un virage aussi judicieux que rémunérateur puisque jusqu’à aujourd’hui, Intel dominera sans partage ce juteux marché. L’année suivante, une nouvelle génération de puces sort des usines d’Intel : le i386, un microprocesseur 32 bits qui équipera de nombreux PC jusqu’en 1994. L’ajout de la lettre i à la numérotation de la puce n’est pas anodin car, aux États-Unis, il n’est pas possible de déposer un brevet sous forme de nombre. C’est donc avec une puce protégée par un brevet que la société, confortée par son avance technique, adopte une nouvelle stratégie. Elle refuse désormais de rétrocéder ses licences aux autres fondeurs comme Nec ou Thomson, ainsi qu’elle le faisait auparavant. Avec ce nouveau modèle et tous ceux qui suivront, plus rapides et plus intimement liés aux nouveaux systèmes d’exploitation, Intel s’assure une position de quasi-monopole qui fait grimper son titre en Bourse. À partir de 1981 et durant près de trente ans, Intel va lier son destin à celui de Microsoft et cette collaboration, associée à celle d’IBM, contribuera au succès du PC. Intel fournit les microprocesseurs, Microsoft les systèmes d’exploitation. D’où l’expression Wintel pour résumer le couple formé par les deux leaders dans ces domaines. Les deux firmes travailleront de concert sur les configurations standard des PC et donneront une impulsion déterminante à toute l’industrie de la micro-informatique.En 1992, le fondeur peut se flatter d’être le plus gros vendeur de semi-conducteurs, ainsi que le révèle une étude de Dataquest, loin devant Nec, Toshiba et Motorola. Les microprocesseurs sont devenus les principaux composants des ordinateurs. Les PC équipés d’une puce Intel arborent désormais le logo Intel Inside, un label caractéristique pour toute une génération d’ordinateurs qui sera utilisé jusqu’en 2005. Le lancement de la nouvelle puce Pentium d’Intel en 1993 fait même la couverture du magazine Fortune sous le titre “ Une nouvelle révolution informatique ”. Trois cents fois plus rapide que le 8088, avec 3,1 millions de transistors au compteur, c’est une évolution majeure de l’architecture de processeurs x86. Elle permet la migration des logiciels qui évoluent du mode texte au mode graphique et qui s’enrichissent fonctionnellement. Toutes les catégories sont touchées : mise en page, traitement de la photo, bureautique, gestion de base de données… Avec le Pentium, marque déposée aux racines gréco-latines, Intel veut éviter la confusion qui régnait avec la numérotation des modèles de la concurrence (AMD am486, IBM 486, etc.). À la famille des Pentium succédera celle des Core, déclinée en Solo pour les processeurs simple cœur et en Duo pour les doubles cœurs, puis en Quad pour les puces quadricœur. Ces nouvelles architectures permettent d’accroître les performances des ordinateurs et une utilisation multitâche. Par exemple, faire du traitement photos tout en écoutant de la musique. En outre, ces puces haut de gamme consomment moins d’énergie et diffusent moins de chaleur, ce qui évite les problèmes de surchauffe liés à l’augmentation toujours plus importante de puissance.

Le nouveau marché des box

Entre-temps, en 2003, Intel met au point la technologie Centrino, plate-forme développée pour les ordinateurs portables et grâce à laquelle ils prennent leur essor en gagnant une plus grande autonomie de batterie, les bénéfices d’une connectivité sans fil sans oublier les performances. En 2008, le lancement de l’Atom, une puce low-cost à destination des miniportables, connaîtra un rapide succès commercial avec l’explosion des ventes de netbooks en 2009. Intel règne en maître sur le marché des microprocesseurs. La féroce guerre des prix (et des mégahertz) qui l’oppose à son principal rival AMD fait rage, mais n’est pas vraiment égale. Intel détient alors 80 % du marché et AMD 20 %. Ses méthodes commerciales musclées et controversées lui valent d’être poursuivi pour abus de position dominante. Déjà condamnée au Japon en 2005 et en Corée en 2008, la firme se voit infliger une amende de 1,06 milliard d’euros par la Commission européenne en mai 2009 suite à une plainte d’AMD déposée plus de huit ans auparavant. Dans le même temps, Intel se retrouve aux prises avec la justice américaine selon une procédure similaire, toujours pour pratiques anticoncurrentielles. Accusée d’exercer des pressions sur les fabricants d’ordinateurs pour qu’ils équipent leurs machines de puces Intel plutôt qu’AMD, la société est contrainte de payer 1,25 milliard de dollars à son concurrent afin de clore l’affaire. La hache de guerre serait enterrée jusqu’en 2014 entre les deux fondeurs au terme d’un accord bipartite… Pour autant, ni la crise ni les déboires judiciaires n’affecteront la croissance du leader mondial. L’année 2010 sera l’apothéose de son insolente réussite. Avec les meilleurs résultats enregistrés depuis sa création ? un quatrième trimestre dopé à +48 % de profits, un chiffre d’affaires record de 33 milliards d’euros en hausse de 24 % ? l’entreprise n’aura jamais été aussi florissante. Et ce n’est pas fini : “ Les facteurs de croissance sont les marchés émergents et le renforcement de l’infrastructure de l’informatique dématérialisée qui crée des besoins en serveurs équipés de puces performantes ”, détaille Paul Otellini, son actuel directeur général.Un nouveau marché vient également d’ouvrir sa porte au roi des fondeurs : ses processeurs équipent désormais les box des fournisseurs d’accès. L’Atom CE 4100 pour la Freebox Révolution, ou encore l’Atom CE 4200 pour la prochaine Bbox de Bouygues Telecom. Plus compliqué : le marché de la mobilité, en particulier celui des smartphones et des tablettes, sur lequel Intel s’est largement fait doubler par les micro-processeurs à architecture ARM. Ultime coup de grâce, au salon high-tech de Las Vegas, début janvier, lorsque Microsoft annonce que la prochaine version de son système d’exploitation sera portée sur l’architecture ARM pour le marché de l’informatique embarquée. Microsoft, le fidèle partenaire… Intel, pour autant, annonce l’arrivée de plusieurs tablettes équipées de sa plate-forme Atom, ainsi que le premier smartphone à base d’Intel. Il a également réagi avec les acquisitions de Mc Afee, spécialiste de la sécurité, et de la division mobile d’Infineon. Au total, 9 milliards de dollars d’investissements sont prévus en 2011 pour la recherche et le développement chez Intel. Le géant poursuit sa route, confiant semble-t-il… même s’il n’est pas à l’abri de faux pas, comme avec son récent jeu de composants SandyBridge : le rappel de toutes les cartes mères qui l’exploitent, proposées dans les PC des principaux constructeurs, pourrait lui coûter 700 millions de dollars.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Frédérique Crépin