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In Memoriam, le jeu sombre et Net

Ce jeu d’enquête criminelle mêle de façon originale recherches historiques à mener sur le Web et énigmes à résoudre. Rencontre avec son créateur, Eric Viennot.

En 2003, In Memoriam réinvente le jeu vidéo. L’aventure est totalement liée au Net : les joueurs doivent récolter sur la Toile des indices pour avancer dans l’enquête, et en reçoivent
d’autres par courriel.Dans le second épisode, sorti en octobre 2006, le joueur est aux trousses d’un tueur en série qui se fait appeler Le Phoenix. A l’instar d’un Hannibal Lecter, il torture et mutile ses victimes, et aime à jouer avec
nos nerfs. La mission consiste à résoudre des énigmes présentées sous forme de tableaux. Ils dissimulent des noms de personnages, des dates en rapport avec des Templiers, des noms de lieux tels qu’un château au Portugal, ou mettent en scène
des ?”uvres : gravures de Botticelli, tableaux de Raphaël, poèmes de Dante…Chaque découverte dévoile un extrait de film permettant d’avancer dans l’enquête. On peut suivre notamment les péripéties d’une jeune femme à la recherche de son frère disparu. Mais, surtout, jouer à In
Memoriam
demande constamment l’aide du Net, via les moteurs de recherche, Google Maps et Google Images. Car des indices ont été disséminés dans des dizaines de sites créés pour l’occasion ! D’autres éléments sont
fournis aux joueurs par mail par des personnages participant à la chasse (étudiante, historien, psychologue, profileur…). Mais pas seulement eux : si l’on décide de s’inscrire sur le site consacré à la traque du tueur,
on peut partager pistes et déductions avec d’autres candidats ‘ enquêteurs ‘.Micro Hebdo : Comment vous est venue l’idée de ce jeu ?


Eric Viennot : D’une expérience personnelle. Il y a quelques années, j’ai recherché sur Internet des informations sur une personne que je ne connaissais pas. Je suis tombé sur d’innombrables sites qui
m’ont permis d’apprendre pas mal de choses sur cette personne. Je me suis pris au jeu jusqu’à me sentir dans la peau d’un enquêteur. Et je me suis mis en tête de scénariser cette expérience.


A l’époque, il existait ce qu’on appelait les ARG (Alternate Reality Games), des jeux créés autour de lancements de produits ou de films. Ils incitaient le public à rechercher des informations sur
Internet, tout en maintenant un flou entre fiction et réalité. Ces jeux étaient très difficiles et il fallait vraiment s’accrocher. C’était réservé à des initiés. Moi, je souhaitais créer quelque chose où les gens ne soient pas trop
perdus.


J’ai donc eu l’idée de réaliser un jeu sur CD-Rom qui serve de fil conducteur. Pour débloquer les films qu’il renferme (il y a une heure et demie de films en tout), le joueur doit résoudre des énigmes dont les clés
sont sur Internet, et il peut mener l’enquête en communiquant par mail avec la communauté créée pour l’occasion.Quelles ont été les étapes du projet ?


J’ai introduit dans l’histoire un personnage central, un tueur en série, qui serait à l’origine du CD-Rom à décrypter. J’ai ensuite écrit un synopsis de 4 ou 5 pages, dans l’esprit polar, qui est
devenu la trame des films que l’on découvre dans le jeu. Par ailleurs, je voulais donner une dimension historique et ésotérique : j’ai donc travaillé pendant un an avec un historien, notamment sur des sociétés secrètes comme celle
des Templiers.


Ce synopsis, je l’ai découpé en niveaux comme dans tous les jeux vidéo, et j’ai imaginé des énigmes. La dimension historique et ésotérique m’a servi de support pour l’écriture des énigmes… qui,
elles-mêmes, une fois conçues, revenaient enrichir le scénario. Par exemple, quand je suis allé en repérage au Portugal, j’ai rencontré une historienne qui m’a beaucoup parlé des Templiers. J’ai appris qu’ils y avaient
survécu jusqu’à la fin du XIXe siècle, alors qu’on croit généralement qu’ils se sont éteints avec Jacques de Molay au début du XIVe siècle. J’ai pris des notes qui
m’ont servi pour des énigmes, et j’ai demandé à l’historienne de me raconter l’histoire des châteaux de la région. Concrètement, après avoir imaginé une énigme au château d’Almourol lié aux Templiers, j’ai
ajouté dans le jeu une visite au château.Donc, la trame s’est tissée petit à petit…


Oui, les repérages ont été parfois décisifs, comme celui fait en Ecosse. Ce que je cherchais là-bas, où il y avait une filiation connue entre les Templiers et les francs-maçons, c’était des lieux moins connus que la Chapelle de
Rosslyn dans Da Vinci Code. Après quelques recherches, l’historien avec qui j’ai travaillé m’a dit qu’il existait un lieu templier complètement oublié tout près d’un loch. Je suis arrivé là-bas
en plein mois de février, et pendant trois jours, j’ai cherché ce lieu qui n’était indiqué sur aucune carte ni signalé par aucun panneau. J’ai fini par le trouver par hasard alors qu’il faisait presque nuit : des
arches et des tombes de templiers à côté en très mauvais état, entièrement recouvertes de mousse. Dans ce décor, j’ai imaginé un meurtre qui n’était pas prévu initialement.Au cours de l’enquête, les joueurs doivent consulter des dizaines de sites Internet, vrais ou faux, afin de trouver la clé des énigmes. Comment avez-vous travaillé sur le ‘ online ‘ ?


Sur In Memoriam : Le Dernier Rituel, en plus des faux sites que nous avons créés, nous avons utilisé des sites Web existants. Des sites de journaux comme celui de Libération, des sites de
passionnés des Templiers, il en existe des centaines, et des blogs… Ainsi, quand je suis parti au Québec pour un casting, j’ai fait la rencontre d’une comédienne, fan de graphisme, qui tenait un blog. Et, plutôt que
d’inventer un personnage et un site, j’ai eu l’idée de lui demander de participer, ce qu’elle a accepté. Son blog est l’un des sites que les joueurs doivent visiter pour trouver le nom de son chat… qui est
la solution d’une des énigmes. Cela ajoute une dose de mystère pour les joueurs, puisqu’elle a créé son blog il y a trois ans, bien avant le jeu qui n’est sorti que cette année ! Par ailleurs, six mois avant la sortie du
jeu, nous avons travaillé sur le référencement des sites : il fallait nous assurer que les joueurs tombaient bien sur les bons sites.Les joueurs reçoivent aussi des courriers électroniques qui leur donnent des pistes. Là encore, vous mélangez des vrais correspondants et des mails automatiques ?


Nous enregistrons le temps que chaque joueur passe sur chaque tableau, et nous comptabilisons le nombre de clics effectués par chacun. En fonction de ces données que nous récoltons en direct (puisque le joueur est connecté), des courriers
électroniques sont envoyés. Ils correspondent bien entendu au tableau auquel le joueur est confronté. Mais au-delà des mails ‘ automatiques ‘, il existe aussi de vrais correspondants, souvent des comédiens, mais pas
seulement. Par exemple, nous avons introduit un personnage, l’historien Theo, qui envoie de vrais courriers afin de ‘ recadrer ‘ les joueurs sur des aspects historiques, notamment parce qu’ils pourraient
tomber sur des sites fantaisistes, bizarres ou sectaires.Sur le plan graphique, In Memoriam ne ressemble à rien de connu jusqu’à présent. Vous avez voulu vous démarquer de la tendance 3D des jeux vidéo ?


Les jeux traditionnels d’aventure mélangent des choses qui n’ont rien à voir. Et qui utilisent toujours les mêmes ficelles : vous arrivez devant une porte, et apparaît un jeu de taquin ou des rouages. Je voulais de la
variété pour chacun des 36 tableaux, correspondant aux énigmes. Pour chacun d’entre eux, il n’y a pas, ou peu, d’explications. Une partie de l’énigme consiste à comprendre ce qu’il faut faire, à comprendre la
mécanique du tueur.


Et puis, je suis plasticien de formation. J’ai toujours été sensible aux qualités graphiques des jeux. Ce qui m’intéressait, c’était de mélanger des photos, des dessins, des vidéos et des sons dans un même tableau et
de créer une cohérence, une harmonie. Ce qui tranche avec l’esthétique un peu grandiloquente que l’on trouve dans d’autres jeux bourrés d’effets spéciaux. Ici, c’est minimaliste mais tous les détails sont
travaillés. C’est une esthétique plus moderne et aussi plus actuelle parce qu’elle est liée au Web.Combien s’en est-il vendu et qui joue ?


30 000 exemplaires de In Memoriam 1 ont été vendus en France, 80 000 aux Etats-Unis et 300 000 tous pays confondus. Ce sont de très bons scores, compte tenu du caractère particulier du jeu,
même si ce sont des chiffres sans commune mesure avec des grosses productions comme Splinter Cell. La moitié des joueurs ont moins de 25 ans, 40 % sont des femmes et beaucoup jouent en tandem, mari et femme.


Nous avons encore peu de retour pour In Memoriam : Le Dernier Rituel, mais nous disposons de deux indicateurs positifs : le jeu a représenté la meilleure vente Ubisoft sur PC la semaine de sa sortie, et il
a été classé dans les dix meilleures ventes en France pendant deux semaines.


A l’étranger, nous n’avons pas encore d’informations puisque la distribution (Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie, Portugal, Russie, USA) vient tout juste de commencer. Mais on peut déjà affirmer, au vu des
chiffres français, que ce nouvel opus sera un succès plus important que le premier.Comptez-vous donner une suite à In Memoriam ?


Après In Memoriam : Le Dernier Rituel, j’ai plutôt envie de faire un break, ça fait cinq ans que je suis là-dedans. Je souhaite revenir à des projets plus légers bien que l’envie d’innovation
soit toujours présente. Pour tout dire, nous travaillons, et ce sera concrétisé courant 2007, sur un nouveau concept de jeu via téléphone portable. Le principe, c’est d’utiliser le SMS et la géolocalisation pour effectuer des missions
précises qui se dérouleront dans Paris.


Ça paraît un peu élitiste pour l’instant, mais ça sera un test, en tout cas techniquement. Sinon, courant 2007, sous la direction de Nicolas Delaye, un de mes collaborateurs, il y aura Expérience 112, un
nouveau concept de jeu d’aventure qui met au placard le principe du ‘ point and click ‘. Il y aura un système d’interface innovante avec une caméra de surveillance qui permettra d’interagir avec le
personnage principal du jeu.


De nouvelles expériences de jeu, c’est de toute façon ce qu’attendent les joueurs.

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Hervé Cabibbo