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IBM : vaillant centenaire

La plus ancienne entreprise informatique a négocié un virage spectaculaire vers les logiciels et les services après une crise financière majeure.

Décembre 2004 : la nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre dans l’univers de la micro-informatique. Le chinois Lenovo rachète la division PC d’IBM, numéro un mondial de l’informatique. Ainsi le créateur du célèbre “ IBM PC ”, celui-là même qui a fait entrer l’ordinateur personnel dans nos foyers en 1981, cédait l’un de ses fleurons au premier fabricant asiatique du secteur. Il est vrai que l’activité ne dégage plus de profit depuis des années. Ce rachat vient, en effet, clore une décennie de difficultés économiques, avec des pertes abyssales (5 milliards de dollars en 1993 !). Un pan de l’histoire de l’aîné du secteur informatique tombe. Mais c’est surtout l’aboutissement d’un énergique processus de redressement et de restructuration, voulu par son manager de l’époque.Louis (dit Lou) Gerstner, un ancien client d’IBM, ex-PDG d’un groupe alimentaire américain, s’affirme comme un dirigeant de poigne. C’est lui qui décidera du tournant à prendre et qui permettra à IBM de survivre à sa propre crise. L’entreprise, qui a connu une croissance constante depuis sa création en 1911, s’est forgé une réputation de leader dans les supercalculateurs et a posé les bases de l’ordinateur personnel. Mais à partir des années quatre-vingt, le dinosaure vacille. Les causes ? La croissance des gros systèmes s’essouffle, la concurrence s’accroît sur le marché des ordinateurs personnels, avec la montée en puissance de Compaq et HP notamment. Les logiciels, les services et les coûts de production explosent. Le paroxysme de la crise est atteint en 1993, année où Louis Gerstner est appelé à la rescousse. Il met en place un plan social drastique (le premier dans l’histoire de la société) qui voit la suppression d’un quart des effectifs, et revoit de fond en comble le management et la stratégie de l’entreprise. Lou Gerstner, un visionnaire ? “ L’époque des PC est terminée ”, prophétise-t-il en 1998. Pour IBM sans doute. Un pragmatique ? Assurément. Sa volonté de maintenir l’unité d’IBM, malgré les pressions des marchés financiers qui souhaitaient son démantèlement en plusieurs sociétés, sera décisive pour sa pérennité. La firme fêtera ses 100 ans l’année prochaine !

La naissance d’un géant

Rien pourtant ne prédisposait la Computing Tabulating Company, ou CTC, un groupement de fabricants de pointeuses, balances automatiques et machines de calcul créé en 1911, à devenir un géant de l’informatique. D’ailleurs l’appellation n’existait même pas à l’époque. L’entreprise est basée à New York et emploie 1 300 personnes. Rebaptisée en 1924 IBM (pour International Business Machines), elle fabrique aussi des horloges industrielles, des tabulateurs, des cartes perforées et possède trois usines aux États-Unis, une au Canada, une autre en France (où la société existe depuis 1914) et une en Allemagne. L’entreprise domine le marché du traitement des données dans les entreprises grâce à ses machines à cartes perforées. Dans les années trente, IBM se diversifie avec la commercialisation de sa première machine à écrire électrique. En 1944, le premier calculateur doté des caractéristiques d’un ordinateur voit le jour : le Mark 1, un calculateur analytique électro-mécanique à grande puissance qui travaille cent fois plus vite qu’une machine à calculer. Le Mark II, conçu l’année d’après, sera l’objet d’une anecdote amusante. Un insecte venu se griller dans ses circuits sera conservé dans le journal d’activité de la machine par un technicien, avec pour légende : “ premier bug ”.À partir de là, l’expansion d’IBM s’inscrit dans la légende. La conception du SSEC (Selective Sequence Electronic Calculator), en 1948, qui a servi pour le calcul de tables de positions de la Lune, marque le début de l’ère des premiers véritables ordinateurs de la firme. Le modèle 650 est le premier calculateur produit en grande série en 1953 pour un coût d’un demi-million de dollars. C’est à l’occasion de sa commercialisation qu’est déposé par IBM le néologisme “ ordinateur ” en France comme traduction officielle de “ computer ”. L’entreprise en abandonnera les droits rapidement et le mot passera dans le langage courant.

Une décennie d’exception

En 1956, Thomas J. Watson, le directeur général de la firme depuis sa création, décède. Son fils lui succède à la tête de l’entreprise et jette les bases de l’informatique moderne. Étiqueté par le magazine Fortune comme “ le capitaliste le plus fructueux qui ait jamais vécu ”, le nouveau président amorce une transformation radicale de l’entreprise qui, de leader de l’industrie, va se transformer en un géant d’affaires international.Décentralisée, la société compte alors plus de 72 000 employés dans le monde et regroupe six divisions pratiquement autonomes. Tom Watson Jr. recentre IBM sur le développement et la commercialisation des technologies informatiques, crée et institutionnalise des nouvelles pratiques de management. Il codifie en fait la philosophie d’IBM. Au chapitre des innovations, la période est faste : le RAMAC 305, premier disque dur magnétique qui permet l’accès immédiat à de grandes quantités d’informations ; le Fortran, un langage de programmation universel qui va révolutionner le calcul scientifique ; le System 360 en 1964, premier ordinateur à circuit intégré qui inaugure le concept de comptabilité entre gamme d’ordinateurs.L’énorme succès de cette série d’ordinateurs compatibles multipliera par cinq les profits de la société au cours de la décennie.

L’ordinateur devient personnel

L’entreprise est alors au sommet de sa puissance. Elle détient 50 % de la production des ordinateurs loin devant ses concurrents Rand, NCR, CDC ou Honeywell. Elle affiche encore à son palmarès la création de la D-Ram, ou mémoire dynamique, et de la disquette. Elle joue même un rôle majeur dans l’aventure de la conquête spatiale américaine. Ce sont des ordinateurs IBM qui traitent toutes les informations qui affluent de la Lune vers la Terre lors de la mission Apollo en 1969. Cette année-là, la société décide de facturer séparément matériels et programmes d’applications. Le logiciel devient un produit à part entière.Une rencontre va changer le cours de l’histoire de l’informatique en 1980. Depuis quelques années, un nouveau marché tend à s’imposer : celui de la micro-informatique. Des petites machines sont en train de révolutionner les mentalités, moins volumineuses, moins chères et mieux adaptées aux petites et moyennes entreprises. Des marques comme Apple, Commodore, Tandy et Atari affichent déjà de belles avancées. Or IBM, le spécialiste des grands systèmes, est totalement absent de la nouvelle partie qui se joue. Une lacune que le géant va chercher à combler. Mais la direction estime à quatre ans au moins le temps nécessaire à la conception d’un micro-ordinateur complet en interne. Face à l’urgence de la situation, la société fait appel à Bill Lowe, qui dirige un laboratoire de recherche en Floride. Celui-ci propose de réaliser un ordinateur en une année sur le concept d’architecture ouverte, c’est-à-dire en assemblant des composants existants d’autres sociétés. IBM choisit le microprocesseur Intel 8088 à 4,77 MHz et, pour le système d’exploitation, se tourne naturellement vers le CP/M de Digital Research utilisé par presque tous les micro-ordinateurs de l’époque. Mais au moment de signer le contrat avec son PDG, surgit un désaccord qui fera capoter le projet. C’est alors que Bill Gates, jeune président de Microsoft, entre en scène. Il propose à IBM un OS dont il vient de racheter les droits et qu’il a rebaptisé MS-DOS. Renommée PC-DOS pour son client, cette version vient équiper le tout nouveau IBM PC (pour Personal Computer), que la firme lance sur le marché en 1981. Le succès est immédiat et le terme PC devient générique pour toute une gamme d’ordinateurs destinés aux petites et moyennes entreprises, puis plus tard au grand public. Mais avec Intel comme avec Microsoft, IBM n’a signé aucune clause d’exclusivité. Un “ oubli ” dont profiteront chacun des deux protagonistes, propriétaires des licences, en s’empressant d’établir des partenariats avec d’autres constructeurs. Les concurrents s’engouffrent dans cette niche très porteuse. Des milliers de machines développées avec des caractéristiques identiques mais vendues moins cher vont envahir le marché et imposer définitivement le standard. Initiateur du compatible PC, IBM perd une manche décisive dans le jeu très pointu de la micro-informatique. L’entreprise n’arrivera pas à imposer son OS/2 maison lorsqu’elle commercialisera sa nouvelle gamme de micro-ordinateurs PS/2 en 1987. La défaite est sévère dans la guerre des OS engagée contre Microsoft. IBM va alors traverser la première et la plus grave crise de son existence. Le dinosaure qui semblait indestructible courbe l’échine et semble à deux doigts de disparaître. Le redressement n’en sera que plus spectaculaire.

Le virage de l’Internet

Lou Gerstner repositionne la firme vers les services informatiques. “ Une combinaison de hardware, de software et de services répondant aux besoins de chaque client. ” Mieux encore, il amorce un nouveau virage ? celui de l’Internet ? et crée pour cela le terme “ e-business ”. Dix-huit mois après son arrivée, IBM renoue avec la croissance. Avec la création en 1994 de la division IBM Global Network, elle s’implique dans les infrastructures réseaux (Internet, extranet). En 2000, IBM encourage le développement de l’open source en investissant 1 milliard de dollars sur Linux, autant pour contrer l’OS de Microsoft (un contentieux persistant !) que pour trouver un successeur à son OS/2 moribond. Avec ses logiciels gratuits pour leur grande majorité, l’open source permet des économies conséquentes pour les grands parcs informatiques que gère IBM. L’entreprise tire par ailleurs d’énormes profits de ses matériels haut de gamme, les gros serveurs types RS/6000, AS400, S/390, et de ses nouveaux superordinateurs (Deep Blue, Blue Gene) qui confortent sa place de leader dans ce domaine. Sa réputation devient planétaire avec la victoire du superordinateur Deep Blue sur le champion du monde d’échecs Garry Kasparov en 1997. Toujours à la pointe de l’innovation, IBM cumule les découvertes. Fort de ses huit centres de recherche à travers le monde employant plus de 3 000 chercheurs, la firme peut se targuer de deux prix Nobel de physique : l’un en 1986, pour le microscope à effet tunnel, et l’autre en 1987, pour la supraconductivité à moyenne température ; de plus de 37 000 brevets, dont 2 941 rien que sur l’année 2005, soit plus que les douze autres entreprises informatiques des États-Unis réunies.

Une planète plus intelligente

Sa stratégie e-Business On demand déployée en 2001 demeure un axe de développement majeur. Dépassant la simple vente de matériels, qui ne représente plus que 9 % des bénéfices du groupe, l’entreprise propose un service global et personnalisé de conseil, de déploiement de solutions professionnelles. “ Le monde devient surabondant en technologies, ce qu’il faut, c’est les optimiser, ainsi que la gestion des informations qu’elles produisent ”, a déclaré Samuel J. Palmisano, le président d’IBM depuis 2002. Sur des marchés en pleine mutation en ce début de XXIe siècle, IBM poursuit la sienne, fort d’un empire de près de 400 000 employés et d’une présence dans 170 pays. “ Analytics ” (être capable d’analyser et de donner du sens à des milliards de données) et “ Cloud Computing ” (l’informatique déportée sur les serveurs en ligne) sont les maîtres mots de la vision de Samuel Palmisano pour les cinq années à venir. L’entreprise mise sur le quasi-doublement de ses résultats d’ici à 2015. Un programme ambitieux porté par une campagne marketing, Smarter Planet (Pour une planète plus intelligente), lancée en novembre 2008. Elle est basée sur trois objectifs généraux : sensibiliser aux enjeux de la planète et la préserver ; aider à mieux travailler (clients, entreprises, universités, gouvernements) ; fournir les solutions techniques et logicielles opérationnelles pour y parvenir. Une vision politique de l’expansion technologique dont IBM serait le leader, pour faire face à un monde en crise. Rien que ça !

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Frédérique Crépin