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Gouvernance d’Internet : le Sénat propose un plan ambitieux pour l’Europe

Depuis les révélations d’Edward Snowden, Internet est perçu comme une arme économique et politique dans les mains des Américains. Pour rééquilibrer les pouvoirs, le Sénat multiplie les propositions pour faire de la Toile un espace respectueux des droits.

Les révélations d’Edward Snowden continuent d’avoir des répercussions sur la stratégie numérique européenne. En France, la mission commune d’information du Sénat, présidée par Gaétan Gorce, sénateur de la Nièvre, a adopté le rapport de Catherine Morin-Desailly, sénatrice de Seine-Maritime.

Intitulé « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance de l’Internet », ce document de plus de 400 pages qui a nécessité 6 mois de travail établit un plan pour un Internet moins américain et, surtout, plus respectueux des « droits de l’homme et des libertés et capable de restaurer la confiance dans Internet ». Tout un programme dont le socle est la mise en place d’une véritable diplomatie numérique.

Cette ambition est revendiquée par Gaétan Gorce pour qui la modestie n’est plus d’actualité. « Nous aurions tort d’être timides dans la défense de nos valeurs, car nous avons senti que cette préoccupation n’était pas seulement européenne », a indiqué le sénateur.

Il signale en effet qu’une réorganisation de la Toile est aussi réclamée par les Américains qui s’inquiètent des conséquences économiques post-Snowden. « Sur ce dossier, ils sont plus partagés qu’on ne l’imagine, fait remarquer Gaétan Gorce. Sur la côte ouest, Snowden est un héros, alors que du côté de New York, c’est un traitre. » Comme le pointe le sénateur, les entreprises américaines veulent « des règles claires » afin de renouer un espace de confiance avec le marché européen.

Créer un Conseil mondial de l’Internet

Le rapport propose de rédiger un texte fondateur sur « les principes de gouvernance dégagés par l’ensemble des parties prenantes réunies pour la conférence NETmundial le 24 avril 2014 à Sao Paulo ». L’idée de ce traité à portée mondiale est de « rendre ces principes opposables aux divers acteurs intervenants dans sa gouvernance ».

Pour l’auteure du rapport, il faut préserver la « nature de l’Internet » pour éviter deux risques : la fragmentation et l’opposition légale entre le droit et les conditions générales d’utilisation des éditeurs de services. « Chaque état tente sur son territoire d’exercer sa souveraineté sur Internet. Les conflits de lois se multiplient et les grandes plateformes étendent le nombre d’internautes soumis aux CGU qu’elles fixent. »

Il faudra ensuite « asseoir la gouvernance » avec la création d’un Conseil mondial de l’Internet. Cette autorité devra « formaliser les rôles et actions entre chaque intervenant de l’Internet : Icann, registres d’Internet, W3C, IETF, IAB, UIT, les gestionnaires de serveurs racine et les opérateurs de noms de domaine de premier niveau ».

Ce conseil viendra remplacer l’Internet Gouvernance Forum (IGF) dont le bilan est qualifié de « médiocre » par Mme Morin-Dessailly. « L’IGF n’a pas su produire ce que le NETmundial a réussi à accomplir : s’accorder sur les principes de gouvernance et sur une feuille de route. »

Quant à l’Icann, sa transformation commencera par un changement de nom pour devenir la Wicann (World Icann). « Cette organisation américaine devra devenir une organisation internationale régie par le droit Suisse, comme le Comité international de la Croix Rouge. Elle dépendra directement du Conseil Mondial de l’Internet qui approuvera ses nominations et ses comptes. »

L’Icann ne sera pas le seul organisme américain touché. Verisign et l’Isoc, deux opérateurs de droit américains en charge de la gestion de noms de domaine (.org, .com, .net…) devraient avoir aussi à rendre des comptes. « Il faudrait questionner la légitimité de ces organismes à être bénéficiaires des ressources financières qu’apportent la gestion de ces extensions très répandues ».

Réorganiser une France numérique

Dans son rapport, Mme Morin-Desailly n’oublie pas que pour fonctionner, l’Europe de l’Internet doit se fonder sur des organisations nationales aptes à appréhender ces sujets. En France, le rapport plaide pour la création d’une commission parlementaire permanente et transversale pour examiner tous les aspects des textes de loi.

Le gouvernement doit mieux s’adapter à ces enjeux en créant un « comité interministériel » dédié au numérique. Elle serait sous la direction d’un « Chief Technology Officer », selon l’expression consacrée, directement rattaché au Premier ministre afin d’avoir « les moyens de faire avancer les dossiers ».

Son rôle est de coordonner l’ensemble des ministères sur les projets numériques. « Ce comité devra avoir plus de poids qu’un secrétariat d’État pour faire face aux autres ministères. » Mme Morin-Desaily fait référence aux récentes déclarations d’Axelle Lemaire sur l’Hadopi. « J’ai été frappée d’entendre Axelle Lemaire renvoyer à Aurélie Filippetti la question d’Hadopi. Pour faire avancer les dossiers, il faut coordonner l’ensemble des ministères avec un comité interministériel rattaché à Matignon et un Chief Technology Officer. »

Si cette proposition concerne d’abord le secrétariat d’État au numérique qui est sous la tutelle du ministère de l’Économie, elle épingle également le Conseil National du Numérique. Apparemment, pour les auteurs du rapport, il faudrait aller plus loin… et surtout plus vite.

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Pascal Samama