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Gemplus, une entreprise à la croisée des directions

Les turbulences sociales et les alertes sur profits à répétition ébranlent le numéro 1 mondial de la carte à puce. La management actuel est contesté, tandis que le fondateur attend en embuscade.

Licenciera, licenciera pas ? L’inquiétude règne parmi les salariés du fabricant de cartes à puce, leader mondial du secteur. Seule certitude : l’année se terminera en croissance nulle et la direction a reconnu que “ les coûts d’opération devront être réajustés“. Toutefois, “si réduction d’effectifs il y a, elle serait plutôt de l’ordre de la centaine de salariés que du millier“.Les syndicats redoutent en fait une recherche de rentabilité à tout prix. Si les collaborateurs de l’entreprise ont obtenu la garantie que les équipes de production ne seront pas touchées l’année prochaine, en revanche, les équipes administratives pourraient être directement visées.

Délestages multiples

Déjà fortement affecté par le coup de frein brutal de la croissance et la stagnation du marché de la téléphonie mobile, le groupe a dû rabattre la voilure en milieu d’année, fermant d’abord l’usine allemande de Seebach, puis réduisant les effectifs du centre de recherche de Montréal. “Nous avons aussi dû nous séparer des activités non stratégiques de l’entreprise“, précise Frédéric Spagnou, directeur technique. Décision qui a entraîné la vente de la filiale autrichienne Skidata, spécialiste des pass de ski et de Tag, spécialiste marseillais des puces sans contact. Selon la direction, les cessions, le plan de départs volontaires et la fin des contrats temporaires ont réduit l’effectif de 567 personnes pour le ramener à 6 880 employés au total. Et l’ouverture prochaine à La Ciotat du centre R & D ?” un investissement de 23 millions d’euros (150 millions de francs) ?” qui va regrouper 500 chercheurs, ne suffit pas à remonter le moral des troupes. Cette brutale détérioration du climat social traduit la mutation douloureuse d’une entreprise passée du statut de start-up innovante à celui de leader mondial de la carte à puce en quelques années, tout en s’émancipant de l’emprise de son créateur, Marc Lassus.En 1988, alors qu’il dirige la division semi-conducteurs de Thomson (devenue ST Microelectronics), ce méridional quitte son poste avec quatre collègues pour lancer l’activité carte à puce que le groupe public ne souhaite pas développer plus avant.

Chiens fous

Profitant d’un plan d’aide à l’embauche proposé par Thomson, alors en sureffectif, Marc Lassus recrute 150 salariés du groupe en 18 mois. Le financement des premiers temps n’est pas facile. Les créateurs mobilisent leurs propres deniers et font appel à des capital-risqueurs étrangers (Fleming Venture, Singapore Technologies). Thomson,rémunéré en actions, possède pendant deux ans 33 % du capital de la société. Gemplus mise sur l’innovation pour se faire connaître. “ Nous étions un peu les chiens fous du secteur, commente Frédéric Spagnou, défrichant les possibilités de la carte tous azimuts. ” Plusieurs marchés se dessinent pour la société : la téléphonie mobile (dont elle est très dépendante), la banque, la sécurité. La petite française conquiert des parts de marché, assurant en une décennie sa place de leader mondial. Le cabinet Frost & Sullivan lui accordait toujours, en septembre, 35 % des parts du marché en volume. Au fur et à mesure de son expansion, Gemplus monte des usines de production au plus près des marchés, au Mexique, au Brésil, puis en Chine en 1997, pour arriver à 16 sites de production actuellement.Autant d’investissements judicieux en phase d’expansion, mais qui pénalisent une entreprise en surcapacité. Gemplus ouvre alors, début 2000, son capital à la firme d’investissement américaine Texas Pacific Group, qui injecte 500 millions de dollars (562 millions d’euros) dans le groupe contre 25,6 % du capital. La décision est prise d’amener la société en Bourse… Pour préparer cette étape, une nouvelle direction s’installe. Antonio Perez, un manager américain, issu de Hewlett-Packard, prend les rênes. Outre-Manche, où il s’est retiré, Marc Lassus supporte mal de voir la société qu’il a créée lui échapper. Décembre 2000 : Gemplus entre à la Bourse de Paris et au Nasdaq. Le montage financier alors réalisé (actions gratuites, options de souscription d’action généreusement distribuées aux dirigeants) fait tiquer la Commission des opérations de Bourse (COB), puis les syndicats. Surtout, l’opération est réalisée au pire moment : les marchés s’effondrent et la société accumule les profit warnings : quatre depuis début 2001 ! Mais c’est le volet social qui met le feu aux poudres. Force Ouvrière, le Comité d’entreprise et l’USG (Union des salariés de Gemplus), longtemps proche de la direction, dénoncent un plan social déguisé et des flux financiers douteux.

Un sauveur contesté

Le tribunal de commerce de Marseille a ordonné le mois dernier la nomination d’un mandataire social chargé de réunir le conseil d’administration de Gemplus SA. À l’ordre du jour : l’adoption d’une résolution portant révocation des membres du directoire de la société… La direction de Gemplus a fait appel. En attendant, de son exil londonien, Marc Lassus se verrait bien revenir à la tête de l’entreprise en sauveur. Il laisse ainsi entendre que la CGT réclamerait son retour. Interrogés, les syndicats se montrent moins empressés. “Marc Lassus, c’est un peu comme le soleil : de loin il vous réchauffe, mais de trop près on s’y brûle“, observe un cadre du groupe.

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Agathe Remoué