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Friture dans la communication financière

Des avertissements sur résultat qui suivent des bulletins de santé positifs, des restructurations à la place d’une fusion. Le monde financier a parfois eu l’impression d’être berné par Alcatel… et le fait payer.

Alors que l’action Alcatel tutoie les 4 euros, tout le monde semble encore marqué par septembre 1998. Le 17 septembre, très exactement. Ce jour-là, un jeudi, le cours de l’action plongeait de 38,4 % en l’espace de quelques heures. En quelques jours, le ti-tre allait perdre jusqu’à 55 % de sa valeur.Une sanction plutôt radicale pour une erreur, somme toute, secondaire : le 17, l’équipementier français annonçait en effet que les bénéfices pour l’exercice en cours ne s’élèveraient pas à 1,4 milliard d’euros comme prévu initialement, mais plutôt à 1,1 milliard. Or, peu de temps auparavant, devant un parterre d’analystes, Serge Tchuruk avait soutenu que son entreprise se portait comme un charme. Pas un mot sur une éventuelle révision à la baisse des bénéfices attendus pour 2001.Les analystes financiers et les investisseurs, notamment anglo-saxons, se sont sentis trahis. Des accusations de mensonge ont même été proférées et, sanction infiniment plus brutale, les investisseurs ont commencé à vendre leurs positions. À n’importe quel prix ?” ou presque. Avec le recul, et plus particulièrement après les affaires Enron et Worldcom, la réaction des marchés financiers en 1998 prêterait plutôt à sourire… Mais elle n’a pas fait rire Serge Tchuruk, elle l’a traumatisé.

Baladés

Aujourd’hui encore, l’ère du soupçon n’est pas entièrement terminée. Les analystes financiers n’ont pas oublié septembre 1998, ils se montrent prompts à citer des exemples de défaillance dans la communication financière. “À propos de la faillite de KPNQwest, explique Laurent Balcon, analyste chez Global Equities, Alcatel nous a d’abord dit que son exposition se limiterait à 80 millions d’euros. Puis, ce fut 100 millions et, finalement, 120 millions.” André Chassagnol n’a, en ce qui le concerne, toujours pas digéré certains événements liés à la fusion avortée avec Lucent Technologies. “À cette occasion, explique l’analyste télécoms, Serge Tchuruk a clairement cherché à utiliser la fusion éventuelle avec Lucent Technologies pour essayer de faire passer en douce une restructuration indispensable pour Alcatel. Comme par hasard, quand l’échec des négociations avec Lucent a été rendu public, Alcatel a annoncé la nécessité de mettre en ?”uvre un plan de restructuration… On nous a caché la vérité !”Pour Vincent Benard, stratégiste chez Bourse Direct, “c’est vrai, Alcatel a parfois baladé les analystes, ne leur a pas toujours dit toute la vérité. Aujourd’hui, les marchés financiers se méfient, et pas seulement d’Alcatel. La communication financière en général est perçue avec beaucoup de réticence. Certains analystes pardonnent d’autant moins un écart qu’eux-mêmes ne sont pas à l’abri de tout reproche…” Ainsi certains estiment qu’Alcatel a ” encore failli ” en diffusant un avertissement sur ses résultats le 26 juin.“Tard, trop tard”, accuse un analyste.Les critiques ne désarçonnent pas Claire Pedini, directrice de la communication financière et des relations institutionnelles d’Alcatel. Pour elle, la perception parfois négative de son entreprise provient en partie d’une certaine méconnaissance de la réalité économique d’Alcatel : “La répartition géographique de nos activités explique en grande partie le décalage que dénoncent certains analystes, argumente-t-elle. Il faut bien voir qu’Alcatel réalise quelque 20 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, alors que Nortel et Lucent en dépendent pour pratiquement les deux tiers. Or, le recul de l’activité a d’abord frappé les États-Unis, très violemment, puis l’Europe, moins profondément. Nous ne pouvions quand même pas publier un avertissement sur résultats avant d’en connaître la teneur !”

Des progrès

Claire Pedini préfère mettre l’accent sur ce qu’elle appelle “une bonne articulation entre les responsables opérationnels d’Alcatel et la communication financière du groupe, qui nous permet de transmettre aux analystes et aux investisseurs la perception qu’ont nos opérationnels du marché, quasiment en temps réel.” Un point de vue assez proche de celui de Jean-Pierre Geremy, analyste chez Fideuram Wargny. Pour lui, “depuis septembre 1998, le groupe a réalisé beaucoup de progrès dans sa communication, multipliant les rencontres avec les analystes, communiquant davantage d’éléments. Alcatel respecte les standards internationaux, même si le groupe manque parfois encore de transparence.” Mais peut-être la transparence est-elle un luxe inaccessible pour un groupe laminé par la crise ?

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Michel Gassée