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Francis Brun-Buisson : ” Si la création n’est pas rémunérée, elle dépérira “

Alors que la commission Brun-Buisson fixait la rémunération pour les supports vierges, son président devenait une figure emblématique du débat sur la copie privée. Il défend aujourd’hui les décisions déjà prises en matière de taxation des supports vierges et dévoile les autres travaux engagés par la commission.


01net. : La commission Brun-Buisson chargée de la réflexion sur la taxation des supports numériques vierges a été l’objet de nombreuses critiques. N’est-il pas difficile d’en être le président ?
Francis Brun-Buisson : Je considère que c’est une mission intéressante et très délicate mais pour laquelle je ne me sens pas désarmé1. Des quantités hallucinantes de supports vierges sont vendues. Ils sont destinés à enregistrer des données dont certaines sont protégées par les droits de la propriété intellectuelle. Or, si la création et la production ne sont pas rémunérées, elles dépériront.Comment fonctionne la commission ? La commission comporte des représentants de tous les corps concernés : les ayants-droits (auteurs), les industriels et les consommateurs. La commission a pris le soin d’étudier le secteur, l’économie, le système de production et de commercialisation, les prix pratiqués, l’évolution de la consommation et des pratiques de copiages.Les négociations ont-elles été difficiles ?Pour la première catégorie de supports, nous sommes parvenus à un consensus. Les divergences de vues au final portaient sur quelques centimes.La publication des taux a provoqué, notamment sur nos forums, de vives réactions de la part des consommateurs.Pourtant, la commission a retenu un niveau relativement modeste car les propositions initiales des ayants-droits étaient proches des 14 francs. De plus, cela ne pèse qu’indirectement sur le consommateur. Les importateurs et les fabricants peuvent jouer avec la répartition des marges. Je sais que certains distributeurs ont anticipé l’application du taux alors que d’autres ne le répercutent que partiellement ou pas du tout.N’est-ce pas une mesure pénalisante pour les entreprises ?La commission peut moduler le taux en fonction de l’usage supposé des supports. Pour les supports dont l’usage professionnel est plus important, le taux a été modulé à la baisse. Ainsi, les CD-R data se sont vu appliqués un taux de 2,15 francs au lieu de 3,70 francs pour les CD-R audio.Avez-vous envisagé de créer un organisme qui rembourserait les entreprises ?On a envisagé cette hypothèse. Mais la commission ne peut pas exonérer d’autres bénéficiaires ou assujettis que ceux prévus par la loi, c’est-à-dire les entreprises de production et de diffusion audiovisuelles.Quelles sont les prochaines étapes ? Nous travaillons en ce moment sur le reste des supports amovibles comme le Zip. En effet, la loi impose que la commission étudie tous les supports, même si rien ne l’oblige à tout retenir. Les supports qui ne sont pas utilisés de façon significative pour la copie privée seront écartés. Nous allons également étudier les matériels électroniques grand public [comme un disque dur inclus dans un magnétoscope numérique, par exemple, NDLR)].Et concernant les disques durs des micro-ordinateurs ? On a parlé de milliers de francs, c’est complètement absurde. Mais nous n’avons pas encore démarré l’étude pour ce support. Il faut avant tout que la commission se fasse une idée de l’usage réel ou probable. Mais les gens qui utilisent l’intégralité de la capacité de leur disque pour copier des ?”uvres protégées sont marginaux. Une utilisation de 1 % semble plus proche de la réalité.Les déclarations de Catherine Tasca et de Bercy n’étaient-elles pas une forme de pression sur les travaux de la commission ?Non, la commission est en dehors de ce débat. Ce sont les journalistes qui ont fait dire à Catherine Tasca que le gouvernement voulait taxer les ordinateurs. Pour ma part, je trouve plutôt judicieux que le gouvernement déclare ne pas vouloir taxer les ordinateurs. Mais il est vrai que dans la confusion que cela a provoqué, il a été nécessaire de clarifier les choses.Le Parlement européen doit statuer le 13 février sur les droits d’auteurs numériques. La directive qui va en découler pourrait-elle contredire les décisions françaises ? Cette directive reconnaît le droit à la copie privée sous réserve de compensation, ce qui revient à légaliser le dispositif français. Après, il y aura une transposition dans la loi française, mais chaque Etat est laissé libre d’organiser comme il l’entend le droit à la copie privée et sa rémunération.Combien d’Etats de l’Union européenne appliquent cette rémunération pour copie privée ?Douze Etats sur quinze. L’Angleterre, l’Irlande et le Luxembourg n’ont pas de rémunération. S’ils ne veulent pas appliquer cette taxe, ils ne le feront pas. Pour l’instant, la France est plutôt en avance, mais elle devrait être bientôt rattrapée par les autres pays européens qui sont pour la plupart en train de réviser leur taux.Les consommateurs ne seront-ils pas tentés d’aller faire leurs achats dans des pays où les tarifs sont plus intéressants ? Dans ce cas, particuliers ou entreprises deviennent aux yeux de la loi importateurs. En théorie, ils doivent donc s’acquitter de la rémunération sur les droits d’auteur lors du passage de la douane.
1 – Conseiller maître à la Cour des comptes et professeur de droit à Versailles, Francis Brun-Buisson a exercé, entre autres, les fonctions de producteur, de directeur de Paris Première, de directeur de La Lyonnaise Communication et de directeur général dAntenne 2.

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Isabelle Dumonteil et Valérie Siddahchetty